L’obligation de sauver autrui – certes, mais à quel prix ?

L’obligation de sauver autrui – certes, mais à quel prix ?

Mais les sages-femmes craignaient Dieu: elles ne firent point ce que leur avait dit le roi d’Égypte, elles laissèrent vivre les garçons »

(Chemot 1, 17)

Mercredi, 8 janvier, aucun homme n’est resté insensible face à la  grandeur d’âme de Moti Ben Shabbat.

C’était dans la ville de Nahariya, alors que Moti âgé de 38 ans essayait de sauver trois passagers d’un véhicule renversé par une inondation qui a recouvert toute la ville. Malheureusement, c’est lui-même qui sera finalement emporté par les eaux. Son corps fut retrouvé plusieurs heures plus tard, sans signe de vie.

Naturellement, cette tragédie réveilla la question existante en chacun d’entre nous. Devant un tel dilemme, où le fait de sauver peut tuer, avons-nous l’obligation de prendre un risque pour aller au secours de gens en détresse ?

Sommes-nous obligés de prendre un risque pour sauver autrui ?

Il arrive parfois que nous sommes confrontés à une situation où nous nous trouvons face à une personne en danger. Il est clair que dans le cas où nous sommes en mesure de lui apporter secours, nous avons l’obligation de le faire immédiatement, comme l’apprennent les Sages (Sanhedrin 73a) du verset Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain” (Vayikra 19, 16) et comme ils le déduisent aussi du verset Alors tu le lui rendras” (Devarim 22,2). Ainsi tranche le Choul’han ‘Aroukh (426,1).

Inversement, nous connaissons le fameux enseignement de Rabbi Akiva (Bava Metsia’ 62b) qui tranche sans hésitation “Ta vie passe avant celle de ton prochain”. Il ramène le cas où deux personnes se promènent dans le désert sous un soleil ardent et se rendent compte que l’un d’eux a oublié sa gourde, l’unique gourde du second ne suffisant que pour une seule personne. Selon Rabbi Akiva, le propriétaire aura le droit et même le devoir de boire sa gourde jusqu’à la dernière goutte afin de rester en vie, bien qu’il laisse ainsi son ami sans aucune chance. 

La question se pose dans un cas où la seule possibilité de secourir son prochain est en prenant un risque. Avons-nous le devoir d’intervenir malgré le risque, étant donné que le danger n’est pas certain pour nous, contrairement à la personne qui se trouve déjà en détresse, où alors dans ce cas aussi sommes-nous dispensés par la règle de Rabbi Akiva “Ta vie passe avant” ?

Doit-on sauver une personne d’une noyade dans un cas où il y a un certain risque pour le sauveteur également ?

A-t-on le droit d’offrir un rein pour sauver un malade ?

Un médecin peut il se dispenser de guérir ses patients par crainte d’être contaminé ? En d’autres termes un danger existant passe-t-il avant un risque de danger ?

Les différents avis

Le Rav Yossef Karo z”l (Beit Yossef §426, Kessef Michné Lois du Rotsea’h) s’attarde sur cette question et rapporte à ce sujet les propos du Hagahot Maimoniot au nom du Talmoud Yerouchalmi, qui oblige toute personne à prendre un risque pour secourir son prochain. Le risque possible ne justifie pas l’absence d’intervention face à un danger réel et existant.

Cependant cette Halakha n’apparaît pas dans le Choul’han ‘Aroukh. A partir de cela, le Sem’a (426, 2) estime que la décision précitée au nom du Talmoud Yerouchalmi n’est pas retenue. Le Pit’hei Techouva juge également que le Talmoud Bavli est en désaccord avec le Yerouchalmi.

Ainsi résume le Rav Chnéor Zalman de Liady z”l (Choul’han ‘Aroukh HaRav) :

“Certains disent que nous avons l’obligation de nous mettre en danger pour sauver notre prochain et d’autres contestent cette opinion, c’est pourquoi nous suivrons le fameux principe : dans les doutes concernant des questions de vie ou de mort, il ne faudra prendre aucun risque”. Le Michna Beroura (329, 19) est du même avis. 

Cependant, le Pit’hei Techouva nous met tout de même en garde de ne pas nous dédouaner trop facilement avec ce genre de raisonnement en considérant chaque circonstance comme étant un risque potentiel.

Est-il permis de prendre le risque ?

Néanmoins, bien qu’il ressorte clairement de ces décisionnaires qu’il n’y a pas d’obligation de sauvetage, on pourrait encore s’interroger si cela est tout de même permis ou alors cela reviendrait à l’interdiction de se mettre en danger comme il est dit Prenez donc bien garde à vous-mêmes !” (Devarim 4,15) [voir traité Bera’hot (32b)] ?

A ce sujet nous trouvons une divergence d’opinion entre les décisionnaires. Alors que le Min’hat ‘Hinoukh(Ch. 237) et le Radbaz (3, 627) prétendent qu’il est carrément interdit d’intervenir en prenant un risque, et que celui agissant ainsi est considéré comme un ‘Hassid Choté (adepte stupide). le Netsiv (Emek Cheela 129) ainsi que le Rav Moché Feinstein z”l  (Igrot Moche, Yoré déa 2, 174) autorisent cela bien qu’il n’y ait pas d’obligation.

Degrés du risque

Malgré tout, le Radbaz dans une autre responsa (5, 218) fait une distinction importante. Selon lui, tout dépend du degré du risque. Dans le cas où un véritable doute existe, il sera non seulement dispensé du sauvetage mais également dans l’interdiction d’agir, en revanche si le doute est minime et que logiquement il sortirait sain et sauf, alors il sera obligé d’intervenir.

A partir de cet avis, le Rav Ovadia Yossef z”l (Ye’havé Da’at 3,84) tranchera qu’il sera permis d’offrir un rein à une personne malade, étant donné que le risque pour le donneur est minime. (1% seulement de danger réel…)

[Il est important de préciser que pour le Rav Zilberstein, l’intention du Radbaz n’est pas d’évaluer le danger en pourcentage, mais plutôt d’analyser honnêtement si nous aurions pris ce même risque pour une affaire personnelle, comme pour gagner de l’argent ou pour une question d’honneur. Si tel est le cas, on ne pourra plus se dispenser de sauver autrui].

Exceptions

Mais nous trouvons une exception à cela dans le cas du médecin, où les décisionnaires trancheront qu’il a le droit de soigner un patient même si le risque de contagion est élevé. Selon l’explication du Rav Eliezer Waldenberg z”l (Tsits Eliezer 8, 15), étant donné qu’il ne s’agit que d’un risque, la Torah a donné la permission au médecin de guérir, cela faisant partie de son gagne-pain et qu’ainsi est l’ordre des choses.

Il existe d’autre exceptions comme en temps de guerre, ou alors pour sauver du monde et non plus un individu, mais cela mériterait un sujet en soi.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.