Les policiers israéliens étaient ils obligés d’obéir au président E. Macron ?
Cette semaine a été marquée par un événement qui sera gravé dans l’Histoire. 40 chefs d’états ont parcouru des milliers de kilomètres pour être présent lors du soixante-quinzième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz.
Sans vouloir atténuer le coté grandiose de cet événement, je voudrais m’attarder dans cette synthèse sur une question bien précise: avons nous l’obligation selon la Torah d’honorer les dirigeants non juifs ou Juifs mais n’observant pas les Mitsvot ?
On pourrait préciser notre question sur une anecdote qui s’est produite ce mercredi au sujet du président français Emmanuel Macron. Alors qu’il s’apprêtait à rentrer dans une église située dans la vieille ville de Jérusalem, Il s’emporta sur les forces de l’ordre Israélien qui insistaient pour l’accompagner à l’intérieur afin d’assurer sa sécurité. Le président s’exclama en haussant le ton “je n’aime pas ce que vous avez fait devant moi, Sortez d’ici! vous connaissez les règles!…” (le domaine de l’église étant un territoire français).
Il y’a lieu de s’interroger si les policiers israéliens avaient le devoir d’obéir aux ordres de Macron, par obligation de “respecter au roi”, ou pas ?
L’obligation de respecter un roi non juif ou non pratiquant
La réponse semble être explicite dans la Paracha de la semaine, au sujet du verset:
“Alors l’Éternel parla à Moché et à Aaron; il leur donna des ordres pour les enfants d’Israël et pour Parô roi d’Egypte…”
(Chemot 6, 13)
Selon Rachi au nom des Sages (Zevahim 102A), les ordres de Dieu consistaient à respecter et honorer le roi Parô.
Ainsi nous trouvons sur le verset “Va trouver Parô le matin, comme il se dirigera vers les eaux; tu te tiendras sur son passage” (Chemot 7, 15). Il s’agissait d’honorer Parô, comme le précise Rachi.
Il ressort clairement que l’obligation d’honorer un roi ne se restreint pas au roi juif uniquement, mais cela concerne aussi les rois des autres nations.
Les sages apprennent aussi du verset “Poussé par la main de Dieu, Elie ceignit ses reins et courut en avant d’A’hav jusqu’à l’entrée de Yizréel” (Melachim 1; 18,46), que même un roi athée comme A’hav mérite d’être respecter.
L’avis du rav Yonathan Eibechits
Pourtant le rav Yonathan Eibechits (Toumim 17) tranche qu’il n’y a aucun devoir d’honorer un roi non pratiquant. Il prouve cela d’un enseignement cité dans le traité Sanhedrin (19,1) qui relate le moment où le roi Yanai s’est fait jugé par Chimon ben Chetah qui était alors le président du tribunal. Il ordonna alors au roi d’un ton autoritaire: “Yanai! lève toi!”.
Le rav Eibechits explique que la raison pour laquelle on ne considère pas que Chimon ben Chetah ait enfreint au devoir d’honorer un roi, est tout simplement parce que Yanai était un Tsdouki (Saducéen), et qu’il nous est tenu d’honorer qu’un roi observant les Mitsvot.
Pour prouver son opinion, il s’appuie sur le fameux enseignement (Sanhedrin 85A) tiré du verset “ne maudis point le chef de ton peuple” (Chemot 22, 27), sur lequel les sages déduisent “seulement s’il se comporte comme ton peuple”, en d’autres termes s’il est pratiquant.
Parô, A’hav et Yanai: quelle différence ?
Comment concilier l’avis du rav Eibechits avec les sources précitées où nous voyons clairement qu’il y’a une obligation d’honorer des rois tels que Parô ou A’hav ?
Nous pouvons répondre à cet interrogation de plusieurs façons:
1. Il est possible de distinguer entre un roi juif qui n’observe pas les Mitsvot et un roi non-juif. L’explication à cela est que nous ne pouvons pas considérer un non juif comme étant non pratiquant, contrairement au juif qui a le devoir d’accomplir les Mitsvot.
C’est pourquoi, bien que Yanai ne méritait d’être respecté du fait de son statut de Tsdouki, cela est différent en ce qui concerne Parô qui était non-juif.
[Certains apportent un autre argument pour différencier le cas de Parô, en prétendant que cela ne venait pas par obligation mais uniquement pour l’inciter à libérer le peuple d’Israël. Mais cela ne semble pas être l’intention de nos Sages qui mettent en relief la royauté de Parô].
Cependant cela n’est pas suffisant pour le cas de A’hav qui était juif, et malgré cela Elie s’empressa vers lui ?
Toutefois, pour A’hav il y’a lieu de différencier comme le propose le Ralbag, que l’honneur que lui accorda Elie était au moment où il accepta de tuer les prophètes de Baal, qui étaient des idolâtres. A ce moment là précis, A’hav était comme un Tsadik, mais avant cela Elie n’aurai jamais agi ainsi.
2. Une autre explication est proposée par le rav Eliezer Waldenberg (Tsits Eliezer 19, 50) qui estime que seul un roi de l’envergure de Parô ou A’hav, détenteur d’une royauté universelle, dépassant totalement les limites d’un pays, et qui n’est soumis à aucune autre autorité , mérite d’être respecté bien qu’il soit non-juif ou athée. Mais pour un roi d’une autre dimension comme dans le cas de Yanai, qui était lui-même soumis aux autorités romaines, cela dépendra de son statut de juif et de son accomplissement des Mitsvot.
Deux formes d’honneur
3. Nous pouvons apporter un nouvel élément de réponse en faisant une certaine dichotomie. Honorer un roi comprend deux obligations distincts : la première est de l’honorer pour accomplir la Mitsva de nommer un roi comme ils est dit “tu dois te placer un roi” (Devarim 17, 15). Le fait de le respecter, le craindre et l’honorer est la meilleure façon d’accomplir sa nomination. Naturellement, cette Mitsva ne comprend qu’un roi juif observant Torah et Mitsvot.
Il existe toutefois une autre obligation, celle d’honorer tout roi quelle que soit sa nature. Le sens de cette obligation semble être, comme l’explique le Maarcha (Zevahim 102A), pour honorer l’autorité qui lui a été offerte par Dieu. Il ne s’agit pas d’un respect sur la personne, mais sur une généralité, sur l’autorité que Dieu peut accorder à un humain. Ceci vient mettre en exergue la Royauté Divine. Pour cette raison, il n’y a pas lieu de différencier entre un roi juif pratiquant ou pas, ou même un non juif.
Si cela est juste, il y’a lieu de faire une différence entre ces deux obligations, dans la façon même d’honorer. Ainsi nous pouvons résoudre la contradiction précitée.
Le statut des chefs d’état
Il nous reste à vérifier qui est inclut dans ce statut de roi ? Comment considérer les chefs d’états dans un monde démocrate comme aujourd’hui, où leur pouvoir est remis en cause sans cesse par l’élection du peuple ? Sont-ils des simples dirigeants où alors ils ont un statut de roi ?
Le Raavad (cité dans Or’hot ‘Haim Berachot 49) établie la règle suivante : tout dirigeant qui a le même pouvoir qu’un roi, étant impliqué dans les questions de vie et de mort, et que personne ne peux s’opposer à lui, est considéré comme un roi. Ainsi tranchent le Radbaz (2, 296) le Hatam Sofer (responsa Ora’h Haim 159) et le Michna Beroura (224).
A partir de cette règle, le rav Kalfon Moché Hacohen (Choel Venichal 3, 73) estime que les chefs d’états élus de façon démocratique comme les présidents ou premiers ministres d’aujourd’hui, étant donné qu’ils possèdent les pleins pouvoirs, et qu’ils ont la possibilité d’intervenir dans tout domaine, ont le même statut qu’un roi, bien que leur pouvoir dépend de l’élection du peuple. Ainsi est l’avis de rav Ovadia Yossef (Yéhavé Daat 2, 28), qui ajoute que par le fait que le chef d’état peut intervenir pour accorder une grâce pour repousser une peine de mort, ou inversement pour annuler une grâce, il est donc inclut dans la règle du Raavad, est prend le statut d’un roi. Le rav Moché Stern (Béer Moché 2, 9) est du même avis.
Cet avis est contesté par le Rav Moché Sternbuch (Techouvot Veanagot 2, 139). Pour lui, à partir du moment où son pouvoir dépend d’une élection, et son autorité est sans cesse remis en cause, il ne rentre pas dans les critères du roi.
Conclusion
Il ressort que selon la plupart des décisionnaires, les dirigeants d’état d’aujourd’hui ont un statut de roi.
Cependant, bien qu’ils soient considérés comme roi, il n’est pas évident que nous sommes tenus de les respecter. Car dans le cas où il s’agit d’un non juif ou non pratiquant, il est vrai que la lecture simple des textes du Talmud et du Midrach, nous amène à conclure que nous ne sommes pas dispensés, comme ont tranché certains décisionnaires (Maarcha, ‘Hatam Sofer et autres). Malgré tout selon le rav Eibechits il n’y a pas d’obligation.
Pour le rav Waldenberg, bien qu’on ne fait pas de distinction entre un juif ou pas, ou entre pratiquant ou pas, tout cela n’est que pour un roi qui domine le monde entier, mais pour un simple roi, l’obligation de l’honorer n’existera seulement pour un roi juif et observant les Mitsvot.
Certains décisionnaires proposent de distinguer entre un non-pratiquant et un non-juif, seul le roi juif n’accomplissant pas les Mitsvot ne mérite pas ce respect qu’on accorde au roi.
Nous avons proposé une dernière possibilité, que tout roi doit être respecté quel que soit son identité ou sa croyance, il y’aura tout de même une différence dans la nature et dans la façon d’accomplir cet honneur.