Vaét’hanan – Chiv’a Déné’hamta – Le Beit Hamikdach: Façonner un désir ardent

Vaét’hanan – Chiv’a Déné’hamta – Le Beit Hamikdach: Façonner un désir ardent

Cette année, le sentiment de deuil relatif à la destruction du Beit Hamikdach revêt un caractère plus particulier. Si chaque année, il nous est difficile de ressentir l’ampleur du désastre que constitue la perte de la demeure de la Chekhina, aujourd’hui nous avons pu ressentir l’avant-goût de cette frustration avec la fermeture imposée des synagogues. Nous avons été forcés de nous tenir à distance des endroits sacrés. Ces mêmes lieux, qui pour nous représentent de petits sanctuaires, se sont retrouvés désertés ! Terminés les minyanim, enfermés les Sifrei Torah, annulés les Kadichim, disparus les Rabanim, envolés les chiourim…

Ajoutons à cela, l’amertume d’un exil vécu de façon plus aigüe avec la fermeture des frontières d’Erets-Israël. Le Peuple Juif resté au-delà des frontières se languit, il aspire à gagner sa terre ne serait-ce que pour quelques instants… Dans de telles conditions, comment ne pas penser au désir brûlant de Moché Rabénou qui ne cessa de supplier pour entrer en Erets-Israël, cette Terre Promise !

Nous nous trouvons actuellement à l’aube des semaines de « consolation », sept semaines où sont lues dans la Haftara des versets de consolation. Cette période est plus longue que celle fixée pour le deuil, car elle est par essence l’objectif de ce deuil. La consolation vient donner tout son sens à la destruction du Sanctuaire, elle vient nous rappeler qu’il existe un but à tout ce manque. Et cette année plus que jamais, elle nous apporte son enseignement en cette période spécifique, où nous sommes encore aujourd’hui sous l’emprise de cette épidémie.

Hachem a déversé Son Courroux sur le bois et les pierres

Un des aspects de la consolation nous est proposé par nos Sages au sujet du verset du téhilim (79 ;1) « מזמור לאסף אלוקים באו גויים בנחלתך טמאו את היכל קדשיך – Psaume d’Asssaf ; O D-ieu, des païens ont envahi Ton héritage, souillé Ton Sanctuaire… ». Nos Sages s’interrogent s’il convient vraiment de parler de psaume sur le fait que les nations ont envahi et détruit la Beit Hamikdach ?! Ne serait-ce pas plus approprié de parler de lamentation ? Et les sages répondent à partir du verset dans Eikha (4 ;11) : «Hachem a déversé Son Courroux », ce qui signifie qu’Il a déversé sa colère sur le bois et les pierres et n’a pas détruit ses enfants.

Cela nous fait savoir que s’il n’y avait eu le Beit Hamikdach pour « amortir », la faute impardonnable d’idolâtrie aurait valu la destruction des Bnei-Israël – à D-ieu ne plaise. Le Saint Temple a permis à Hachem d’épancher sa colère sur le bois et les pierres de ce dernier pour épargner Ses enfants.

Mais cela est fort étonnant ! Comment concevoir que Hakadoch Baroukh Hou ait besoin de déverser Son Courroux sur des pierres et du bois ? La colère de Hachem ressemblerait-elle à celle d’un être de chair et de sang, qui éprouve le besoin de s’en dégager et s’en débarrasser en détruisant des objets ?

Michkan: même étymologie que Machkon (gage)

Le Midrach (Tanhouma; Pékoudei 2) s’interroge sur le sens de la répétition du mot Michkan dans le verset : « Voici les comptes du Michkan, le Michkan du témoignage ». Et explique que cela tient au fait que le Michkan servira de Machkon (gage) à deux reprises, du temps du premier et du deuxième Beit Hamikdach.

Nous voyons ici que le terme Michkan se rapproche de Machkon (un gage). Cela voudrait dire que la nature même du Michkan est de servir de caution pour Hachem en nos périodes d’infidélité. En d’autres termes, un des buts du Michkan est dans sa destruction.

Nous pouvons retrouver cette idée dans les propos du Or Ha’haim (Devarim 1 ;37) qui cite un Midrach proposant une raison originale pour laquelle Moché rabénou n’est pas rentré en Erets-Israël : s’il était effectivement entré en Terre Sainte et avait construit le Beit Hamikdach, celui-ci n’aurait pu être détruit. Le Or Ha’haim ajoute que Hachem n’aurait pas pu déverser Sa Colère sur ce Sanctuaire, et aurait été forcé de détruire Israël. Il ressort de cela que la destruction du Beit Hamikdach était prévue depuis son origine

Ces propos se retrouvent explicitement dans le Midrach (Psikta Rabati, 2) à propos du roi David qui questionna Hachem sur le fait qu’il n’était pas autorisé à construire le Beit Hamikdach. Dieu lui répondit : « Si tu le construis, il sera éternel et indestructible ! » David répliqua alors : « Magnifique, c’est parfait ! », sur quoi Dieu rétorqua : « Il est clair et dévoilé devant moi que les Bnei Israël seront appelés à fauter, Je répandrai alors ma Colère sur le Sanctuaire que Je détruirai, et Israël sera sauvé ! »

Nous avons bien là, la preuve que le mot Michkan contient en lui toute sa réalité et sa racine affiliée au mot machkon (gage).

Il nous faut cependant comprendre quel est le réel sens de ce « gage ». La nature du Mikdach est pourtant d’établir une connexion et un lien d’attachement entre Israël et Hakadoch Baroukh Hou. Lorsque Israël faute, ce lien est rompu. Dans un tel cas, que devient donc cette caution entre les Mains d’Hachem dès lors qu’elle est dénuée de sens ? Le Sanctuaire n’a-t-il pas déjà cessé d’exister ?!

L’exil façonne le désir du retour

Il semble que la réponse à cette interrogation se trouve dans les versets de notre Paracha (4 ; 25-30) :

« Quand tu engendreras des fils et des fils de fils, vous vieillirez dans le pays, vous vous corromprez, vous ferez une sculpture, image de tout, vous ferez le mal aux yeux de Hachem, ton Elokim, pour Le mettre en colère. Le prendrai à témoin contre vous, aujourd’hui, le ciel et la terre, que perdre vous serez perdus rapidement de sur le pays etc.. Hachem vous dispersera dans les peuples, vous resterez un petit nombre dans les nations où Hachem vous conduira etc… Vous servirez là, des dieux, œuvres de mains d’homme, de bois et de pierre, qui ne voient pas et n’entendent pas, et ne mangent pas ni ne respirent. Vous chercherez de là Hachem ton Elokim, tu trouveras car tu Le demanderas de tout ton cœur et de toute ton âme. Dans ta détresse, lorsque te trouveront toutes ces choses à la fin des jours, tu retourneras jusqu’à Hachem ton Elokim, et tu écouteras Sa voix. »

Ces versets sont une allusion au futur, car après plusieurs générations sur la Terre d’Israël, les Bnei-Israël oublieront les miracles et commenceront à faire le mal aux yeux de Hachem et à croire en d’autres dieux. Hakadoch Baroukh Hou les exilera alors de leur pays jusqu’à ce qu’ils se mélangent aux nations et servent des dieux de bois et de pierre.

Malgré tout, aussitôt après, nous avons la promesse que de là où ils sont, Israël recherchera Hachem de tout son cœur et de toute son âme. Ainsi retourneront ils jusqu’à Hachem !

Suite à ce propos, la question ne manque de se faire entendre : Qu’est-ce qui appellera à ce revirement soudain, et semble-t-il inexplicable, de repentir ?!

La réponse se résume en un seul mot : le languissement.

Les Bnei-Israël réaliseront que le bois et la pierre des autres nations ne voient, pas plus que n’entendent, qu’ils ne mangent, pas plus qu’ils ne respirent. Ils se souviendront alors du bois et de la pierre d’Erets Israël, c’est-à-dire du Beith Hamikdach, et de la Chekhina qui demeurait dans cette Maison, leur Temple. Ils se souviendront de la combustion des korbanot par le Feu du Ciel envoyé par Hachem, de leur odeur agréable, et des miracles permanents de ce saint lieu. Alors ils retourneront vers Hachem de tout leur cœur.

Lorsque nous somme dans Sa Maison, le lien avec Hachem n’exige pas d’efforts

Essayons de comprendre ce qui changea à travers la construction du Beit Hamikdach. Pourtant, bien avant l’édification du Temple, il était déjà possible à l’homme de nouer une relation avec Hachem et s’attacher à Lui. Et ainsi qu’il est écrit (Chémot 20 ;21) : « En tout endroit où Je mentionnerai Mon Nom, Je viendrai vers toi et Je te bénirai ». (Le Sforno s’allonge à ce sujet pour expliquer que le Mikdach a été instauré à cause de la faute du veau d’or. Dès lors que les Bnei Israël fautèrent, ils ne parvinrent plus à créer cette connexion avec Hakadoch Baroukh Hou si ce n’est par le fait du Beit Hamikdach.)

Mais en réalité, comme nous enseignent nos Sages, Hachem a désiré se faire une demeure dans les mondes inférieurs, le Beit Hamikdach est donc la Maison d’Hachem sur terre. Hakadoch Baroukh Hou nous a offert ainsi une proximité particulière. De cette manière, il devient plus facile à l’homme de créer son lien d’attachement avec le Divin.

En cette période de « Corona », il n’est pas très difficile d’établir un parallèle. Nous avons tous été éloignés de nos familles. Bien souvent, les parents sont restés dans leur pays et leurs enfants dans un autre. Actuellement, le moyen de garder le contact nécessite de plus gros efforts qu’avant cette interruption du lien concret. Sous le toit paternel, chez ses parents, la relation parents-enfants est des plus naturelles, elle ne demande aucun effort particulier. A distance les uns des autres, il nous appartient d’être plus actifs et même créatifs pour préserver ce lien.

Il est clair que la relation entre l’homme et son Créateur ne dépend pas de l’existence du Beit Hamikdach, mais au temps où le Sanctuaire existait, le seul fait de pouvoir s’y rendre générait tacitement ce lien entre la personne et son Créateur. Tout avait pour objectif de faire ressentir cette étroite relation, que ce soit les lois spécifiques au Mikdach, le design de chaque élément constitutif : tentures, formes, couleurs etc., les sacrifices, les encens, les Cohanim, les Léviim. Mais sans lieu de résidence, cette relation demande un travail et un investissement bien plus important, des efforts permanents et inépuisables par le biais de la Torah et des mitsvot.

On comprend que l’innovation apportée par le Beit Hamikdach fut de permettre à Israël une proximité accrue avec Hachem. Fournir au Peuple Juif une Maison sur cette terre du patrimoine personnel du Maître du monde. Lui accorder un bien qui suffise pour aussitôt introduit, se connecter à Hachem. C’est ainsi que se conçoit la maison !

S’il en est ainsi, la destruction de la Maison a pour sens, la disparition de cette possibilité de s’attacher à Hachem. C’est ce qui explique que depuis, la relation avec Hachem demande des efforts inlassables.

Beit Hamikdach : l’origine d’un désir ardent

Mais là, se trouve un secret qui n’existait pas avant que le Beit Hamikdach ne soit construit. Dès lors, s’est créé une aspiration profonde pour cette Demeure.

Même lorsque Israël faute et s’éloigne de Hachem, son désir brûlant de retrouver sa Maison, perdure. Le Sanctuaire du Maître du monde est un cadeau puissant dans lequel la relation entre la personne et son Créateur se fait naturellement et sans effort particulier. Hachem nous fait rentrer dans Sa demeure.

Il en résulte que le « gage » en question, restant entre les mains d’Hachem consiste en ce désir ardent qui brûle encore en Israël, même lorsqu’il faute. Ce désir profond provient du Beit Hamikdach et de sa destruction.

Le Beit Hamikdach créa en l’homme un désir et un languissement. Même celui qui s’éloignera de son Créateur par ses fautes au point de ne plus ressentir aucun lien avec Lui, finira par languir profondément le Beit Hamikdach.

Le « languissement » de manière générale, est une notion que nous pouvons créer et anticiper, bien qu’il fasse partie d’un ressenti émotionnel de la personne. Comme en matière d’éducation, où il est important de créer des attaches qui pourront susciter un manque dans le futur, tels qu’une ambiance agréable au foyer, une nourriture goûteuse et soignée, des chants du chabbat etc… Ce sont des choses qui peuvent paraître superflues, mais qui ont le pouvoir de renverser une situation, permettre à l’enfant de rester dans le cadre souhaité et ne pas chercher à en sortir. Même si ce dernier aura quelque peu dévié du chemin, il reviendra grâce à ce désir nostalgique de retrouver cette ambiance familiale agréable.

Le Beith Hamikdach et tout ce qu’il contient, avec sa beauté, sa splendeur, ses instruments variés, sa majesté, ses différents matériaux, ses couleurs, le service des korbanot, ses senteurs, les Cohanim et leurs vêtements, les mélodieux chants des Léviim, et toute cette atmosphère indescriptible, a permis de façonner une nostalgie très forte dans le cœur de chaque être humain.

Ainsi, nous comprenons que le fait qu’Hachem a déversé Sa colère sur le bois et les pierres, ne consistait pas à apaiser Son courroux envers Son peuple. Mais que grâce à ça il n’y a plus de raison à cette colère, car cette destruction du Beit Hamikdach est justement le catalyseur qui suscite le retour du Peuple Juif vers son Père au Ciel.

Sans le Beit Hamikdach, si le Peuple Juif avait fauté dans le domaine de l’idolâtrie, il aurait rompu le lien avec son Créateur, causant par là-même sa destruction. Il n’y aurait pas eu d’autre issue. Le fait que le Beit Hamikdach ait été édifié a permis cette extraordinaire opportunité qu’en cas de faute, Israël puisse encore emprunter la voie du retour. Cette issue de secours ne fut possible que par la destruction de la demeure d’Hachem sur terre ! En lui enlevant son Beit Hamikdach, est garantie l’aspiration permanente d’Israël pour son Sanctuaire, malgré ses fautes.

En cette période d’épidémie, Hachem a déversé Sa Colère sur les Synagogues pour épargner son peuple

Ces jours de consolation viennent renforcer en nous cette aspiration à la ré-édification du Beit Hamikdach, et nous amener à ressentir la Présence Divine très proche de nous. Il nous appartient d’intérioriser ce merveilleux cadeau du Beit Hamikdach, qui ne se résume pas en monument fait de bois et de pierres, mais symbolise cette Maison qui nous permet une relation intime avec Hachem.

Ainsi, peut-être est-il permis d’affirmer en cette période de pandémie, que Hachem a épanché Sa Colère sur les Synagogues pour épargner le Peuple Juif. Le Kli Yakar écrit dans la Parachat Ki Tétsé (23; 6) au sujet des malédictions de Bilam qui se sont transformées en bénédictions pour Israël, que les termes de la malédiction elle-même : « Ils n’auront pas de Beit Knesset » se sont concrétisés en bénédiction, dans le sens où cette destruction du Beit Hamickdach sauva les vies. On l’apprend justement des mots de Bilam : « Comme elles sont bonnes tes tentes Yaacov, tes demeures Israël » – son intention était d’exprimer « votre bien consiste en le fait que tes demeures te sont enlevées et tu seras épargné ».

Il se peut que nous n’ayons considéré les synagogues que comme des bâtisses de bois et de pierres, que nous ayons pensé que leur sainteté ne résidait que dans leurs murs, et que même si nous parlions pendant la prière, la Kédoucha continuerait à y résider malgré tout… Mais maintenant que nous en sommes exclus, nous languissons tous cette prière authentique, faite dans les conditions de concentration et de respect qui l’exigent, cette téfila collective, communautaire ! Dans la même mesure, nous n’avons pas suffisamment apprécié le niveau de Kédoucha de la Terre d’Israël. Nous n’avons peut-être pas assez réfléchi avant de la quitter pour voyager. Le prix bon marché des billets d’avion a généré des voyages même sans but précis, avec comme seul prétexte un prix avantageux… Avions-nous songé au mépris de la Terre entrainé ?

Utilisons cette opportunité pour développer ce désir ardent pour notre Terre et le Beit Hamikdach, et renouer ainsi ce lien unique et privilégié avec Hakadoch Baroukh Hou !

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.