Parachat Vaye’hi – Lorsque notre « bassesse » fait notre grandeur

Parachat Vaye’hi – Lorsque notre « bassesse » fait notre grandeur

La tribu la plus « basse »

« Dan sera l’arbitre de son peuple, comme l’une des tribus d’Israël. Il sera, Dan, un serpent sur le chemin, un aspic dans le sentier : il pique le pied du cheval et le cavalier tombe renversé. J’attends ton salut, Éternel »

(Berechit 49:16-18)

Ce verset signifie que la tribu de Dan fermait la marche du camp dans le désert, et devait se battre contre les poursuivants des nations, ainsi que contre les ennemis qui attaquaient par derrière. C’est pourquoi il est comparé à un serpent, car il était rusé comme le serpent qui mord les pattes du cheval et fait tomber son cavalier, de même eux savaient trancher de leur glaive les pattes des chevaux afin de faire tomber leurs cavaliers (cf. Rachbam et Malbim).

Examinons la nature de cette tribu. Selon nos sages (Tanhuma Ki Tissa 13), la tribu de Dan est la plus « basse » des tribus. Cela semble confirmé par le fait que le verset doit souligner qu’il est « comme l’une des tribus d’Israël », ce qui implique que ce n’est pas évident puisqu’il convient de le préciser. De plus, le symbole de la tribu de Dan est le serpent, l’animal le moins apprécié dans le Tanakh.

Les mots « J’attends ton salut, Éternel » (ibid 18) semblent également témoigner d’une faiblesse de la tribu de Dan, nécessitant cette prière que l’on ne trouve pour aucune autre tribu.

Points communs entre Dan et Yéhouda

D’un autre côté, nous trouvons une comparaison entre la tribu de Dan et la tribu de Yéhouda:

1. Les deux artisans mentionnés dans le contexte de la construction du Michkan sont Betzalel fils d’Ouri fils de `Hour de la tribu de Yéhouda, et Aholiav fils d’A’hisama’h de la tribu de Dan.

2. Le Machia’h de la maison de David – son père vient de Yéhouda et sa mère de Dan.

3. Ces deux tribus sont appelées “lion”, comme il est dit « Yehouda est un lionceau » et « Dan est un lionceau ». (Berechit rabba 97:9)

4. Le midrach raconte que lorsque Yossef prit Binyamin, Yéhouda se mit très en colère et rugit d’une voix forte qui porta à quatre cents parasanges, jusqu’à ce que ‘Houchim fils de Dan l’entende et saute de Canaan pour rejoindre Yéhouda et ils rugirent tous les deux et la terre faillit se renverser… (Berechit rabba 93:7)

5. Le territoire de la tribu de Dan est adjacent à celui de la tribu de Yéhouda.

Dan et Yéhouda, les deux extrémités de la nation

En fait, le midrach Tanhuma fait explicitement la comparaison entre eux en ces termes : « Il n’y a pas de tribu plus importante que la tribu de Yéhouda, et il n’y a pas de tribu plus basse que la tribu de Dan, qui descend d’une des servantes. HKBH a dit : Qu’il vienne et s’unisse à lui, pour que son esprit ne soit pas arrogant, car petit et grand sont égaux devant Lui. »

Autrement dit, la connexion entre eux vient précisément du fait que l’un est le plus élevé et l’autre le plus bas dans la hiérarchie des tribus, afin de nous démontrer qu’ils sont égaux devant D-ieu.

Et il semble qu’il y ait ici quelque chose de plus profond. Yéhouda est à la tête et Dan est à l’autre bout, et le lien qui les unit englobe donc toutes les autres tribus. C’est pourquoi on trouve leur association précisément dans des questions d’intérêt commun à tout le peuple, comme la construction du Michkan, ou l’identité du Machia’h.

La force de Dan se manifeste toujours à la fin. Il est le dernier dans la marche du camp. Lorsque toutes les tribus ont reçu leur part dans le pays, c’est celui qui a reçu la sienne en dernier (Yeochoua 19:40). Le juge Chimchon, de la tribu de Dan, est le dernier des juges. Et sa force ne s’est complètement manifestée qu’à la fin de sa vie : « Et ceux qu’il tua dans sa mort furent plus nombreux que ceux qu’il avait tués pendant sa vie » (Choftim 16:30). Le symbole de la tribu de Dan est le serpent, qui mord à l’extrémité, c’est-à-dire au talon.

En récoltant les objets perdus, Dan englobe toutes les tribus

Celui qui est à la queue est donc considéré au même titre que celui qui est à la tête. Tous deux sont aux extrémités de la nation, ils englobent l’ensemble des tribus.

Dan ramassait en effet les objets perdus pour tous les camps (Bamidbar 10:25). Étant donné que la tribu de Dan était très nombreuse en population, elle voyageait en dernier et quiconque perdait quelque chose le lui rendait (Rachi).

Il y a là une dimension plus profonde : par cette fonction de collecter les objets trouvés, la tribu de Dan en réalité s’associe à l’ensemble des tribus. Et plus encore, elle est responsable de l’intégrité de la nation, faisant en sorte de retrouver tous les objets perdus. Ce que Yéhouda et les autres tribus ne parvenaient pas à conserver, la tribu de Dan le leur rendait.

On peut donc interpréter le verset ainsi : « comme une, les tribus d’Israël », non pas pour dire qu’il est inférieur aux autres tribus, mais pour exprimer son rôle d’unifier toutes les tribus en une seule unité. Rachi l’interprète également ainsi : « Tout Israël sera comme un avec lui », parce que Chimchon, son descendant, vengera tout Israël en même temps.

Rachi propose une autre interprétation, à savoir que le sens de « comme l’une des tribus d’Israël » signifie « comme LA tribu la plus importante, en l’occurrence Yéhouda ». On peut ajouter que cette ressemblance avec Yéhouda vient précisément du fait que tous deux représentent l’union des tribus et leur ensemble.

Dan est le seul à connaître l’ennemi et savoir le vaincre

Toutes les tribus ne sont pas capables de fermer la marche, il faut pour cela la qualité de jugement de Dan, sa bravoure et sa ruse. 

Dan est capable de rester à la frontière avec l’ennemi, d’être en contact permanent avec lui, et de rester intact. Il se trouve à la frontière entre le peuple d’Israël et ses ennemis, et sert de tampon entre Israël et les nations.

La tribu de Dan connaît mieux que quiconque l’ennemi car elle est en contact avec lui. Pour cette raison, il sait le vaincre par la ruse, comme il est dit « qui mord les pattes du cheval, et son cavalier tombe à la renverse », c’est-à-dire qu’il réussit à faire en sorte que l’ennemi tombe à la renverse et n’ait aucune emprise sur lui. 

Plus tard, au temps des Juges, nous trouvons la bravoure de la tribu de Dan en la personne de Chimchon, qui prend une femme parmi les filles des Philistins. « Son père et sa mère lui dirent : N’y a-t-il point de femmes parmi les filles de tes frères et dans tout notre peuple, que tu ailles prendre une femme chez les Philistins, les incirconcis ?… Or, ses parents ne savaient pas que cela venait de Dieu, et qu’il cherchait une occasion de nuire aux Philistins, qui dominaient alors sur Israël.» (Choftim 14:3-4). On voit bien à nouveau que Chimchon n’hésite pas à entrer en contact avec l’ennemi, et tout cela comme ruse pour se venger d’eux.

Nous retrouvons la bravoure de Dan à un autre endroit. La Guémara (Sota 13a) raconte que lorsque l’on vint enterrer Yaacov dans la grotte de Makhpéla, Essav contesta la propriété de ladite grotte jusqu’à ce que les fils de Yaacov soient obligés de faire rapporter l’acte de vente du droit d’aînesse depuis l’Égypte. Lorsque ‘Houchim, fils de Dan, arriva, il dit : « Et en attendant que Naftali revienne d’Égypte, mon grand-père restera exposé ainsi ? » Aussitôt, il prit son épée et trancha la tête d’Essav.

Ici encore, Dan a montré qu’il connaissait l’ennemi mieux que personne, comprenant qu’il fallait l’écarter immédiatement sans autre forme de procès. Sa compréhension de l’adversaire l’a empêché de se laisser distraire par des arguments a priori rationnels et juridiques. Il voyait mieux que quiconque que Essav se moquait des enfants d’Israël, et que chaque minute qui passait était un affront intolérable pour leur père.

Dan veille à ce qu’aucune âme d’Israël ne se perde

Selon la Hassidout (Likoutei Moharan), les objets perdus que la tribu de Dan doit rassembler symbolisent les âmes perdues d’Israël, qui sont sans personne pour les chercher et les récupérer. La tribu de Dan s’occupe de les ramener dans le droit chemin. 

La tribu de Dan, selon les propos de nos sages, est une tribu “secondaire” car de basse extraction. Cela signifie qu’elle se tient à la base de la pyramide socio-spirituelle. Elle connaît bien les difficultés de la vie, les vents violents qui peuvent déraciner notre identité, et le véritable ennemi qui est le mauvais penchant. Pour cette raison, elle sait mieux que quiconque comment y faire face. De même que le mauvais penchant est comparé à un serpent, la tribu de Dan est comparée à un serpent. Dan sait très bien que pour faire face au mauvais penchant, il faut être rusé comme lui, et ne lui donner aucune prise. 

C’est pourquoi la tribu de Dan est responsable de la sauvegarde de ces âmes d’Israël qui se sont perdues en cours de route à cause du mauvais penchant, car en effet ce domaine ne lui est pas du tout étranger.

Contrairement à Yéhouda qui est le leader debout en tête, montrant le chemin et la marche à suivre, Dan veille à ce qu’aucune âme d’Israël ne se perde. Dan est peut-être plus une queue qu’une tête, mais c’est aussi une sorte de leader. Alors que Yéhouda dirige la nation par son sommet, la tribu de Dan conduit Israël depuis son extrémité.

Notre génération, « la tribu de Dan » des générations

De la même façon qu’il y a une extrémité chez le peuple, il y a également une extrémité des générations. J’ai lu au nom du Rabbi de Loubavitch que notre génération, qui est l’une des dernières de l’exil, est en quelque sorte la tribu de Dan. C’est la génération qui “ramasse pour tous les camps”, et qui comble les lacunes de toutes les générations précédentes.

Ce n’est un secret pour personne qu’il y a, selon les sages, un déclin des générations. Selon cette conception, nous sommes la génération la plus basse de toutes. Cela rappelle en fait ce que nos sages disent : la tribu de Dan est la “plus basse” des tribus. 

À la lumière de ce qui précède, cela nous confère une énorme responsabilité. Tout comme la tribu de Dan est responsable de ramener tous les égarés d’Israël dans le droit chemin, nous sommes en fait l’extrémité de toutes les générations, et en cela nous sommes responsables de l’ensemble des générations.

La bassesse extérieure permet une élévation intérieure

Je conclurai avec ce que j’ai vu rapporté au nom du Arizal : bien que nos sages disent qu’il y a un déclin des générations, ce n’est que pour la dimension extérieure, mais intérieurement il y a une élévation de niveau !

On peut expliquer ses paroles ainsi : les deux sont liés. Plus une génération est basse et vide extérieurement, plus celui qui parvient à surmonter la bassesse de cette génération s’élève intérieurement.

Peut-être est-ce le sens des propos de nos sages, qui affirment que Dan est la plus basse des tribus. Ils ne voulaient certainement pas mépriser par-là cette tribu, mais au contraire, relever le fait qu’elle se tient à l’extrémité du peuple et a un contact avec l’ennemi qui est le mauvais penchant. Cela signifie forcément qu’intérieurement elle est d’un niveau très élevé, et on peut donc dire que sa “bassesse” fait sa grandeur. Par cette force spéciale, Dan peut ramener les éléments égarés du peuple, ce que Yéhouda lui-même ne peut réussir à faire. Et cela grâce à son intériorité.

C’est pourquoi les bénédictions de Dan s’achèvent par le verset « J’attends ton salut, Éternel ». Il est la seule tribu pour laquelle le tétragramme est mentionné. Car c’est précisément au sein de l’aspect le plus désespérément bas que jaillit l’espérance profonde et intérieure du salut de D-ieu. 

Le Machia’h de la maison de David vient certes de la tribu de Yéhouda, mais la grandeur extérieure de Yéhouda ne suffit pas, il faut aussi la grandeur intérieure de Dan, et c’est pourquoi sa mère sera de la tribu de Dan.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.