Pekoudé – De l’Arche à l’Autel : du Concept à la Réalité

Pekoudé – De l’Arche à l’Autel : du Concept à la Réalité

Le Temple, ainsi que le Tabernacle avant lui, furent généralement départagés en trois quartiers, chacun avec sa spécificité qui lui fut propre. Le Kodech HaKodachim, ou Saint des Saints, se trouva être la partie la plus importante, avec en son sein le Aron, réceptacle de Sa Présence.

Dans le Kodech se trouvait la Menora, ou Candélabre, le Choul’han, ou Table, et le Mizbéa’h HaKetoret, ou l’Autel de l’Encens.

Dans la partie la plus extérieure, le ‘Hatser, on pouvait voir le Mizbea’h HaNe’hochet, l’Autel en Airain, et le Kior. Notre réflexion se portera sur le Mizbea’h, à travers une analyse de nos Textes.    

Dans notre Paracha, la description que la Thora fait de l’Autel nous interpelle. En effet, le verset annonce que lors de l’investiture du Tabernacle, ‘l’Autel sera Saint des Saints‘ (Chemot 40,10).

Comment accepter que cet Autel en cuivre porte le nom du lieu le plus sacré, siège de la Che’hina ?

Une autre corrélation subsiste entre le Mizbea’h et le Aron. Lors de l’énumération des divers ustensiles servant au Service Sacré, seuls ces derniers verront leurs Badim, ou barres de transport, mentionnés dans le Texte (cf. ibid 39,35). Comme si leurs barres n’étaient pas seulement un moyen de faciliter leur déplacement, mais plutôt une façon de faire dépendre l’existence de l’objet porté au porteurs. Leur raison d’être résulte donc de l’implication de l’Homme. Sans lui, ces deux ustensiles perdent de leur essence.

Il nous reste donc à déterminer leur nature en général, et celle du Mizbea’h en particulier.

L’injonction divine à la création d’un Autel permettant les différents sacrifices d’avoir lieu trouve sa source bien avant la directive de fonder un Sanctuaire. Immédiatement après le Don de la Torah, l’ordre relatif à sa construction apparaît en ces termes :

“L’Éternel dit à Moïse : “Parle ainsi aux enfants d’Israël : ‘Vous avez vu, vous-mêmes, que du haut des cieux Je vous ai parlé. […] Tu feras pour Moi un Autel de Terre, sur lequel tu sacrifieras tes holocaustes et tes victimes rémunératoires, ton menu et ton gros bétail, en quelque lieu que Je fasse invoquer Mon Nom, Je viendrai à toi pour te bénir”.

Chemot 20,18-20

L’événement historique du Don de la Torah, vecteur de la Révélation Divine, se doit d’être une source d’inspiration, non pas pour affirmer un mode de vie spirituel et désincarné, mais au contraire pour permettre au Nom de D.ieu de s’inscrire dans un quotidien terrestre, à l’image de ce Mizbea’h Adama, construit à même le sol. L’Autel symboliserait donc cette osmose entre ces deux réalités, céleste et terrestre.

En approfondissant cette notion, une autre dimension s’exprime : celle de la Kappara, ou Expiation. Outre le fait que les sacrifices consumés sur cet Autel effaçaient les fautes humaines, le Midrach relève que la poussière ayant servi à façonner l’Homme lors de sa création provint de la terre se trouvant sous l’Autel ; d’où sa conclusion : l’Homme fut créé de l’endroit même de son expiation.

La raison profonde du lien entre l’origine de l’humanité et son potentiel retour vers son Créateur est compréhensible : si le Projet Divin, cause de la Création de notre Monde, fut clairement établi à travers l’expression de Sa Volonté, l’Homme quant à lui, doté du libre-arbitre, devra fournir une implication personnelle à l’élaboration de ce Projet. Cette confrontation permanente entre l’intention et l’action, le concept et sa réalisation sera le quotidien de l’Homme aspirant à suivre ce Plan dicté par l’Architecte de notre Univers. Ainsi, concernant la mission l’incombant, nous ne pouvons la décrire qu’à travers cette idée du repentir, ou retour à la source. Revenir au projet originel, c’est en cela que l’homme définira sa propre essence.

Le Mizbea’h est donc l’emblème du travail typiquement humain, celui de l’exécution de l’idée que D.ieu eut de Son Monde.

Selon le Ramban, le Tabernacle tout entier reflète la dimension acquise lors de la Révélation au Mont Sinaï. La même Présence qui habitait la montagne se verra résider dans ce Temple. Or, en situant les différents ustensiles que ce Sanctuaire abritait, nous constatons que le Mizbea’h se trouvait exactement dans l’axe du Aron ! Comme si l’Autel n’était en réalité que la réflexion de l’Arche. Cette extériorisation exprime l’idée précitée. Le Aron, siège de la Torah, incarne ce Plan, ce projet que D.ieu à décider de transmettre à notre peuple. Il représente donc l’approche divine d’un Père vers Ses enfants.

Par contre, le Mizbea’h symbolise l’inverse – c’est l’initiative humaine allant à l’encontre du projet de D.ieu. Les deux Kelim ont pourtant un point commun ; c’est l’interaction de D.ieu avec l’Homme qui caractérise leur essence. L’implication humaine est primordiale : Dans l’Arche, c’est le destinataire de cette ébauche de la perfection requise tandis que dans l’Autel, nous sommes les investigateurs d’un Service personnel.

Nous comprenons à présent l’expression décrivant l’Autel lors de l’inauguration du Michkan. Le travail de l’homme est à même de sublimer la Adama en Kodesh Kodachim, à ramener la matière vers l’esprit qui l’habite…

Mais une condition est essentielle, c’est d’avoir une notion de ce but à atteindre. Il aura fallu la révélation proprement dite pour permettre à l’homme de diriger son labeur et son repentir vers cet objectif, d’où l’Autel qui, de l’extérieur, est dirigée vers l’Arche, se trouvant à l’intérieur.

Le Rav Shimshon Refael Hirch remarque que tous les sacrifices impliquant une ‘Avoda humaine sont décrites dans la Torah comme Kodech Kodachim. Cela rejoint l’idée que l’homme peut amener sa situation et son niveau à la sainteté des plus élevées.

Inspirons-nous du Mizbea’h pour apprendre à dans un premier temps connaître notre nature qui est sûrement différente de cette perfection prônée par notre inconscient, perfection erronée car absolue. Ce n’est qu’après avoir intégré notre normalité défaillante et notre essence terrestre que nous pourrons diriger notre Soi vers une aspiration divine, vers cet Aron, métaphore d’un Projet parfait car divin, et que lentement, nos manquements s’inscriront dans le plus beau des tableaux, celui exprimant cette sainteté non pas perçue, mais vécue.     

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.