Vayigach – 12 Chevatim : indispensables pour l’unité de D.

Vayigach – 12 Chevatim : indispensables pour l’unité de D.

Rencontre étonnante entre Yossef et Yaakov

Cette semaine, nous avons tous été impressionnés par le ‘Siyoum HaChass’ (ou Clôture du Talmud) qui fut célébré en grande pompe à travers le monde, que ce soit en Israël ou en Diaspora. Il est la conclusion du cycle d’étude du Daf HaYomi (Une page de Talmud par jour), cycle instauré il y a de cela plus d’un siècle par le Rav Yehouda Méir Chapira zatsal. Ainsi, nous étions tous témoins de l’engouement général pour ce projet grandiose, engouement qui ne cesse de croître.

En réalité, notre Paracha traite aussi d’une clôture, de la conclusion d’un récit prenant : la rencontre tant attendue entre Yossef et son père, après des années de séparation, nous est contée. Cependant, la narration de ce dénouement nous emplit de déception. Nous nous serions attendus à une description détaillée des sentiments de joie et de soulagement éprouvés à cet instant, du débordement d’amour de la part d’un père qui retrouve son fils chéri. Certes, la réaction de Yossef est décrite dans le Texte, ‘il tomba sur son cou et pleura longtemps à son cou’, mais celle de Yaacov est inexistante. Rachi commentera cette absence en disant qu’à ce moment précis « il était occupé à réciter le Chéma’ » !

Au lieu de l’excuser, cette explication nous étonne. Pour quelle raison Yaacov choisit-il précisément ce moment pour réciter le Chema’, ignorant par cela son fils qu’il a tant langui ?

Afin d’apporter un élément de réponse, attardons-nous sur cette phrase si fondamentale que nous récitons plusieurs fois par jour. « Ecoute Israël ! l’Eternel est notre D.ieu, l’Eternel est Un ! » Pourquoi cette déclaration de l’unicité divine doit-elle être précédée par cet avertissement : « Ecoute Israël ! » ? Affirmer que D.ieu est Un n’a a priori aucun besoin d’être introduit par une injonction à l’écoute.

Les sages nous enseignent que la première mention de cette phrase sortit de la bouche des tribus, à la fin de la vie de leur père, quand celui-ci les réunit pour leur révéler les évènements de la fin des temps.

A cet instant, l’inspiration divine se retira. Yaacov imputa alors ce refus divin à une déficience spirituelle de la part de sa descendance. Ses enfants témoignèrent alors : « Ecoute Israël ! l’Eternel est notre D.ieu, l’Eternel est Un !  De la même façon que dans ton cœur il ne réside qu’un seul, ainsi dans le nôtre il n’y en a qu’un ! » (Cf. Talmud Pessa’him 56a)

Les Patriarches et les Chevatim: du Vertical à l’Horizontal

Pour nous permettre de comprendre la réponse des tribus, ainsi que le sens profond de la garantie de leur foi, il nous faudra introduire les paroles de nos Sages (tirées du Talmud Sanhédrin) qui déclarent qu’avant la faute originelle, Adam HaRichon était haut jusqu’aux cieux et large comme le monde entier. Après la faute, le Saint-béni-soit-Il le rapetissa de long comme de large. Il est évident que prendre leurs dires au sens simple serait absurde, nos Maîtres ont juste voulu imager leur message.

En effet, le but de l’Homme à l’origine était de se connecter aux cieux (- au monde de l’esprit) d’une part, et d’autre part de propager la Royauté de D.ieu dans le Monde. Tel semble être le sens de sa hauteur et de sa largeur.

À la suite de sa décadence, l’humanité devra réparer son erreur. Il faudra donc restaurer ces deux dimensions que l’Homme a perdu : la dimension verticale, ou la relation intime avec le Créateur, et la dimension horizontale, ou la diffusion de Son message.

Les patriarches seront ceux qui privilégieront cette relation verticale. En tant qu’individu, ils feront en sorte de se réapproprier du lien entre la Terre et le Ciel, d’être l’élément de fusion entre ces deux réalités. Cette union atteindra son paroxysme avec Yaacov, lors de son songe avec cette fameuse échelle, solidement fixée au sol mais avec son sommet qui atteignait les cieux…

Ensuite vint la naissance des futurs tribus, prémices d’une nation. Ils étaient la réalisation de la promesse divine faite à leur père, ‘Et tu te propageras à l’Est et à l’Ouest, au Nord et au Sud’. Contrairement à leurs ascendants, le rôle des Chevatim se trouvait dans la dimension horizontale. Ils n’étaient plus des individus, mais le début d’un peuple.

L’histoire de Yossef et de ses frères prend sa place dans le passage entre la dimension verticale à celle horizontale. En fait, c’est une véritable révolution, un changement radical. Jusqu’alors, il n’y avait pas de notion de communauté dans le judaïsme, la pérennité de la Tradition se faisait à travers une seule personne, en écartant le reste de la famille (comme avec Ichmael et Essav).

Cette transition devait se faire dans des difficultés, par la création d’une nouvelle conception du monde. Une conception qui permettait à un groupe d’individus, avec leurs qualités qui leur étaient propres, d’être associé à une seule cause, en se complétant l’un à l’autre.

Yaakov : au carrefour entre l’individu et le collectif

La seule chose qui rendait cette association possible était le fait qu’ils étaient tous les enfants de Yaacov. D’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, les membres de notre peuple se nomment ‘les enfants d’Israël’, car il est celui qui se trouve au carrefour entre l’individu et le collectif. Ainsi, Yaacov sera la seule personne qui trouva l’immortalité à travers sa progéniture, comme nos Sages l’enseignent (Talmud Taanit 6) ‘Yaacov notre Père n’est pas mort ; De la même façon que ses enfants sont en vie, de même lui est en vie’.

La raison de cette exclusivité est que, a contrario de son père et de son grand-père qui eurent un successeur, lui se trouve dans la rencontre entre le singulier et le pluriel. Mais comme ce même pluriel ne pourra être considéré comme un peuple qu’à travers sa filiation avec Yaacov, il se trouve donc que lui-même persiste à subsister.

12 Chevatim : pour former l’unité

C’est cela le sens profond de la réponse des tribus au patriarche : ‘Ce même D.eu unique qui réside dans ton cœur unique a trouvé sa place dans nos cœurs à nous, bien qu’eux-mêmes soient multiple.’ Il n’y a donc rien à craindre en la création d’un peuple, car il sera bien à l’image du père fondateur.

C’est cela la véritable unité, quand l’ensemble des tribus se trouve réuni. D’ailleurs, le Maharal de Prague a écrit que le mot ‘E’had’ (exprimant l’unicité) se trouve être composé de la lettre ‘Alef’ correspondant à Yaacov, et des lettres ‘’Het’ et ‘Dalet’ qui symbolisent respectivement les huit enfants des matriarches et les quatre enfants des servantes. En d’autres termes, c’est à travers Yaacov et ses fils que la véritable unité a lieu d’être. En approfondissant, l’Unité Suprême ne peut se révéler qu’à travers le passage entre le singulier et le pluriel, le collectif qui assimila le message du simple.

Ce n’est pas un hasard si les tribus sont au nombre de douze. [Par ailleurs, ce chiffre est récurrent dans la Nature, tels que les mois, les mazalot…] C’est la propagation vers les quatre points cardinaux du message des trois patriarches. Des années plus tard, le campement du peuple d’Israël se déplacera selon ce schéma : trois tribus à chaque point cardinal.

A présent, nous comprenons que la mention de « Ecoute Israël ! » avant la proclamation de l’Unité de D.ieu est une partie intégrante de cette dernière. En effet, un peuple ne peut viser à l’unité que s’il se rattache à son ancêtre, Yaacov/Israël. Ce n’est qu’en étant uni lui-même par sa noble filiation qu’il pourra appréhender ce concept et le placer en D.ieu.

Sur ce même ordre d’idée, le Maharal de Prague (Netivot ‘Olam, Netiv Ha’Avoda) ajoute que seules les tribus purent arriver à cette déclaration du Chema’, ce à quoi les patriarches furent incapables, car la véritable unité se trouve chez un collectif qui prend ses racines de l’individu.

A l’aide de ce développement, nous pouvons apporter un éclairage sur le comportement étonnant de Yaacov lors de cette rencontre. En fait, Yaacov savait que le peuple juif se formera à partir de se descendance, ainsi que lui promit Son Créateur. Ce fut son principal souci et sa source unique d’inquiétude quand il apprit la disparition de son fils Yossef. Dès lors qu’un maillon manquait à la chaîne de ses enfants, l’Unité ne pouvait être atteinte. Seules les douze tribus dans leur ensemble pouvaient prétendre à réaliser cela. C’est seulement grâce à l’apport de chacun, à l’association de différentes personnalités, avec leurs différents rôles (comme le montre les différentes bénédictions de la Parachat Vayé’hi), que cette mission pouvait être accomplie.

C’est pour cela que tant Yossef était absent, il ne pouvait prendre sur lui le joug divin. Il manquait dans la Révélation de l’Unité. Mais quand il se rendit compte de l’existence de Yossef et de son intégrité préservée, il put ainsi concevoir la mission accomplie par ses propres enfants et intégrer la Royauté Divine dans toute sa sublime unité. Pour la première fois de sa vie, il pouvait réciter le Chema’, intégrer cette unité dévoilée. Le Texte nous dit qu’alors ‘Yaacov retrouva le souffle de vie’, cette vie éternelle car garantie par la pérennité de ses enfants enfin réunis.

A nous de réaliser et d’intégrer que dans la vie, l’absence d’un petit élément peut faire saboter le système. Comme dans toute machine où l’absence du moindre boulon empêche son fonctionnement, dans la vie en société l’apport de chaque individu est vital pour tout l’ensemble.

Le Siyoum HaChass

C’est aussi l’une des plus grandes qualités de ce ‘Siyoum HaChass’, ce n’est pas simplement l’amoncellement de nombreuses pages de Talmud, mais c’est la réunification de toutes ces pages, tous ces traités, qui devient une seule entité, qui amène l’Homme à une nouvelle dimension. Ne pas délaisser le moindre détail, l’ensemble en dépend.

Pour conclure, nous retranscrirons une partie du discours prononcé en 1923 par l’investigateur du concept du Daf HaYomi, lors de la première assemblée de la Agoudat Israel. Cela rejoint bien le message de cette réflexion, à savoir que l’unité dans notre peuple exprime et diffuse l’Unité divine :

« Si toute la Maison d’Israël, où qu’elle se trouve, étudiait le même jour la même Page (de Talmud) y’aurait-il une expression plus concrète de l’Union Suprême entre le Saint-béni-soit-Il, la Torah et Israël ?! […] Un Juif voyage et sous son bras le traité de Bera’hot, il quitte durant deux semaines Israël pour les Etats-Unis […] Enfin, quand il se trouve en Amérique, il entre dans un Beit HaMidrach et trouve des autres Juifs occupés avec la même Page que lui. Il s’associe alors à eux et étudie avec délectation, discute avec les autres et ceux-ci lui répondent. Son Grand Nom se trouve alors unifié, grandit et sanctifié ! »

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.