Parachat Mikets – Hanouka : Yossef ou la sagesse Grecque

Parachat Mikets – Hanouka : Yossef ou la sagesse Grecque

Notre Paracha raconte comment Pharaon, grandement impressionné par la sagesse de Yossef, réunit ses serviteurs et s’exclame: Peut-il exister un autre homme habité par l’esprit divin comme celui-là ! C’est ainsi que le jeune esclave Hébreu est nommé vice-roi et prend la direction de toute l’économie égyptienne. Plus de mille ans plus tard, l’empereur Alexandre le Grand descendra de son char pour se prosterner devant Chimon Hatsadik. Face à l’étonnement de ses courtisans, il répondra: Le visage de cet homme me donne la force de triompher de mes ennemis. Curieusement, ces deux personnages ont mérités le titre de ‘Hatsadik’ (le juste). La question se pose: Qu’auraient-ils trouvé de si ingénieux et si séduisant dans la sagesse de ces Hébreux, à priori manquant d’expérience en la matière d’économiste ou de guerrier?  Pour tenter de donner une explication, il semblerait intéressant en ces jours de Hanoucca de se pencher sur la question de la sagesse juive face à la sagesse grecque.

Du Mythos au Logos

« C’est de l’essence divine en effet que tiennent le savoir et la pensée». Non, il ne s’agit pas des paroles de Yossef prononcées à Pharaon avant de lui expliquer ses rêves, mais simplement de l’interprétation de Platon (Alcibiade 133b) à l’injonction socratique : « connais-toi toi-même ». Pour Platon, l’être humain est une âme bien plus qu’un corps, une âme enchaînée dans un corps prisonnier des apparences sensibles.

La civilisation grecque, qui aura une grande influence sur la culture occidentale à venir, marque une rupture avec les discours mythologiques, religieux et poétiques qui existaient jusqu’alors. Jusqu’à sa création, une vision du monde mythologique et païenne dominait ses quartiers, et les civilisations humaines étaient plongées dans l’adoration du monde matériel, de la nature et du corps. La révolution de la philosophie, connu sous le nom de la transition du Mythos au Logos, a pour la première fois pénétrer à travers l’écran de la matière et des sens, révélant un royaume invisible de vérité spirituelle et de beauté au-delà. La philosophie a reconnu l’existence de l’esprit et de l’âme éternels. Platon expose dans son allégorie de la caverne une distinction fondamentale entre le monde sensible, accessible aux sens, et qui n’est qu’une apparence, une ombre, une copie d’un monde intelligible, accessible à l’âme, seul vrai, seul réel.

On ne peut ignorer qu’une certaine similitude règne entre le monde des philosophes grecs et le monde des érudits juifs. La croyance en l’existence d’une vérité absolue, ou l’existence d’une âme éternelle par exemple, est au centre du judaïsme comme elle l’était pour la sagesse grecque. Pourtant, les sages ont décrit cette civilisation comme « obscurcissant les yeux d’Israël », définissant ainsi le sens du conflit qui s’était dressé entre l’identité grecque et l’identité juive, au prix de s’en faire la guerre.

Il est vrai qu’à l’époque de Hanoucca, régnait une culture grecque populaire, connue pour être très extravertie, adorant le corps et la nudité et croyant en des dieux immoraux. La disqualification de cela par le judaïsme est évidente. Mais pourquoi rejeter pour autant l’ensemble de la sagesse grecque, y compris la philosophie.

D’ailleurs, le Talmud (Meguila 11a) explique que des dirigeants spirituels étaient prédisposés depuis toujours par la Providence divine au rôle de conservation morale de la communauté d’Israël, pour faire face aux exils et à l’oppression des Nations. Chimon Hatsadik y est présenté comme le personnage que Hachem avait placé pour contrer l’empire macédonien, au même titre que Mordehai et Esther à l’époque de Haman ou Daniel, Hanania, Michaël et Azaria à l’époque des Chaldéens. Or nous savons que Chimon Hatsadik vivait plus de cent cinquante ans avant que la situation des Juifs se dégrada durant les douze dernières années de l’Empire macédonien, à l’époque d’Antiochus Epiphane. C’est qu’en fait cette rivalité entre Athènes et Jérusalem qui explosera dans la bataille de Hanoucca, était déjà implantée depuis l’époque de Chimon. Nous voyons donc que la naissance de la philosophie grecque, à l’époque de Chimon qui, lui-même, rencontre Alexandre le grand, disciple de Aristote, est présenté comme étant au cœur du conflit Greco-Juif. Comment comprendre cela?

Et Chem et Yefet prit un manteau…

La dimension de ressemblance entre le juif et le grec est magnifiquement illustrée dans l’histoire biblique de leurs ancêtres – les frères Chem et Yefet. Le texte soulève une pleine coopération entre eux, dans leur souci commun pour la pudeur de leur père, s’opposant au blasphème de Ham. Ce souci reflète fidèlement leur sensibilité commune à l’existence d’une réalité invisible, dans ce cas – l’âme de leur père. L’idéale de la Tsniouth découle du sentiment que l’essence d’une personne réside dans son intérieur, et donc son extérieur doit être humilié. Ainsi se sont distingués le père du judaïsme et celui de la sagesse Grèce qui connaissait l’origine divine du monde, de la culture de Ham, père de Cush, de Mitsraïm et de Canaan, qui étaient les foyers de l’idolâtrie et de la sorcellerie dans le monde antique, un monde de paganisme.

Cela ne fait qu’accentuer notre interrogation: pourquoi la sagesse de la Grèce est-elle traitée de façon si négative de la part des érudits juifs? Mais avant d’essayer d’y répondre, je voudrais poursuivre notre réflexion sur le symbole de la bataille de Hanoucca: La Ménorah. C’est elle que choisissent les Grecs pour représenter leur combat avec la tradition Juive – ‘ils avaient souillés les huiles’, et c’est également elle qui met en exergue la victoire des Hasmonéens, à travers le miracle de la fiole d’huile. Quel est le secret de cet ustensile?

Le Témoignage de la Ménorah

Au sujet de la Ménorah, nous pouvons constater que la Torah souligne son emplacement au sein du Tabernacle comme étant « en dehors de la Paroh’et Haédouth ». Et Rachi explique l’indication de « édouth » (témoignage) comme relatif au Paroh’et, sur le nom de l’ustensile caché derrière ce rideau, l’Arche de l’alliance. En effet, cet Arche contenait en lui les Panneaux du Témoignage. Mais alors pourquoi associer cela au placement du Candélabre. Pour cela, Rachi ajoute un autre commentaire où même la Ménorah portait en elle un témoignage, et ce par l’intermédiaire de la Bougie de l’ouest allumée continuellement, témoignant ainsi aux nations du monde la présence de la providence divine au sein du peuple. Cependant, cela n’explique toujours pas pourquoi le texte n’a pas explicité « édouth » sur la Ménorah elle-même, qui constituait un témoignage à travers sa bougie continuelle?

En faie, explique le Maharal de Prague, le nom Paroh’et Haédouth est principalement rattaché à l’Arche, véritable gardien du Témoignage et de notre alliance avec Hachem. Toutefois, cet Arche appelé pourtant ‘Aron’ de la racine de ‘Or’ (lumière), se situait derrière le Rideau, dans un endroit couvert et caché, un endroit où tout est en essence, et donc sa lumière n’était pas manifesté. En fait, Le rayonnement de cette même lumière contenu, était révélé par la Ménorah, de l’autre côté du rideau, dans le monde de l’extérieur, le monde de l’action.

Cette connexion extraordinaire entre l’essence et le rayonnement, semble être l’élément fondamental de la sagesse juif. Cette Paroh’et qui va faire le pont entre le cerveau et le corps, entre le disque dur et l’écran, et va permettre à cette essence de lumière absolu et indivisible de pouvoir rayonner sur sept branches, dans un monde de finitude et de pluriel, est un des plus grand secret de la tradition juive, et c’est peut-être ainsi qu’elle se distingue fondamentalement de la philosophie des grecs.

Le Dieu de la philosophie

A la connaissance de l’existence d’une seule divinité cachée derrière de nombreux phénomènes, fait reconnu dans la culture grecque, il y avait un deuxième côté: c’était un dieu impersonnel qui n’était pas intéressé par le sort des humains et n’a pas fait d’alliance de connexion et d’engagement avec eux. Le dieu des philosophes était associé à l’esprit rationnel, le «logos», qui réside dans un monde d’idées abstraites et élevées, bien au-dessus du monde terrestre. Il ne pouvait pas développer une relation personnelle de prière et d’autocorrection, il n’était pas intéressé à sanctifier le monde matériel, et son attachement n’était que par l’étude philosophique des idées de la pensée.

Dans la tradition juive, notre attachement à D.ieu est dû à son intérêt personnel et attentionné pour les êtres humains en général et son peuple en particulier. C’est un créateur qui non seulement organise la nature mais perturbe également ses actions en réponse aux actions humaines. Notre créateur ne se révèle non seulement au philosophe ou au bon sens mais aussi et surtout au cœur brisé par un repentir réfléchi. Hachem notre roi est surnommé dans le judaïsme «le porteur des contraires», car il contient en son sein des contrastes que nous pensons contradictoires. D’une part, il est exalté de tout accomplissement et attribut, mais de l’autre il nous a été révélé, a fait une alliance avec nous et nous a donné une Torah qui parle en langage humain. Au cœur de la foi juive se trouve précisément la même paradoxalité que l’intellect grec a essayé d’éviter par toutes les manières, et la rationaliser.

D’ailleurs, depuis la période des «Paires» (qui a commencé à l’époque hasmonéenne), la pensée juive a émergé surtout par la multiplicité des opinions, souvent sans même besoin de décisions au niveau de la Hala’ha. C’est précisément cette multiplicité qui exprime l’intégrité et la plénitude de la Torah, car elle exprime l’attribut divin de porteur des contraires, valable aussi concernant les paroles des sages, en vertu du principe “celles-ci et celles-ci sont les paroles d’une vie vivante”.

Yossef Hatsadik et Chimon Hatsadik

Pour revenir à Chimon Hatsadik, le Talmud (Yoma 39a) nous dévoile que durant ses quarante ans en tant que Cohen Gadol, le Ner maaravi restait allumé en permanence. C’est donc qu’il incarnait parfaitement cette cohésion entre une beauté intérieure soumise à la volonté divine, reflété par une beauté extérieure. De même, Yossef Hatsadik apparait dans la Torah comme interpréteur de rêves. Un rêve est un état de l’esprit dans lequel il n’y a pas de pensée ordonnée, un endroit où des forces opposées peuvent coexister et où l’on peut rapidement se déplacer d’une extrême à l’autre. Yossef arrive à lire les deux rêves de Pharaon en un seul rêve: les bonnes et les mauvaises années font partie d’une même histoire, et la coexistence des vaches grasses et des maigres en même temps, contenait la solution pour la famine menaçante etc. Yossef ne se laisse pas impressionner par la multitude des détails, car pour lui ils ne sont qu’une révélation d’une résolution divine unique. Devant cette force-là, aussi bien Pharaon que Alexandre sont forcés à avouer: il n”existe pas d’homme sage et lucide tel que toi!

De la même manière qu’une œuvre musicale est le fruit de la vision du compositeur qui donne vie et énergie aux notes qui sont joués. Pourtant, les notes elles-mêmes sont comme le corps exprimant la vision et le sentiment de l’âme en son sein. Ainsi, Chaque âme est une manifestation de l’intention et de la vision d’Hachem de créer cette chose spécifique. En ce sens, La Grèce c’est réduire la réalité aux structures de mon esprit, et devenir sourd à la poésie divine. Tachons en ces jours de Hanoucca de ranimer les connexions entre le corps et l’âme pour nous rattacher à notre beauté intérieure, et ainsi nous défaire un peu de la culture du marketing tellement dominatrice aujourd’hui, où on est même amené a achète un objet pour son emballage plutôt que pour son contenu.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

Comments (1)

  • Emmanuel

    Magnifique !
    Même si une bonne partie du dvar torah m etait familière (😉) la connexion avec yossef est tres belle. Yachar koah !

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