Après le deuil de Ticha Béav, nous entamons une période de consolation appelée “Chiva Déné’hamta”. Durant sept semaines nous lirons dans la Haftara, des textes du prophète Yéchaya. Il ne s’agit pas simplement de réconfort faisant disparaître notre tristesse, mais plutôt d’espoir. Nous prenons conscience que les larmes que nous avons versées seront les garantes de notre délivrance.
Parmi les nombreux textes de Yéchaya, essentiellement portés sur la consolation de Jérusalem, on peut remarquer que le prophète a choisi d’illustrer ce sentiment par un sein nourrissant, comme dit le verset “Afin que vous soyez allaités et rassasiés du sein de ses consolations“ (Yéchaya 66 11).
Essayons d’approfondir le sens de cette comparaison:
Il existe une discussion entre les décisionnaires, au sujet du terme à employer pour débuter la troisième bénédiction du Birkat Hamazon, pendant Chabat :
Selon le Rif, nous employons spécialement pendant Chabat le verbe “Nahem” – consoler, non pas comme dans la semaine où nous supplions “Rahem” – avoir pitié. Ce dernier d’après le Rif, a une connotation négative et évoque une certaine douleur, que nous ne souhaitons pas rappeler pendant Chabat.
Tossfot s’oppose à cela et estime que le verbe “Nahem” est aussi une forme de supplication, non moins que le terme “Rahem”. Il pense donc qu’il n’y a pas lieu de changer de terminologie pendant Chabat.
Comment comprendre l’opinion du Rif ? il est pourtant clair, comme dit Tossfot, que la consolation aussi fait référence à un évènement triste et douloureux. Pourquoi préfère-t-il ce terme pour être récité Chabat ?
Les sages nous enseignent que l’habitude du père est d’être miséricordieux, alors que celui de la mère est de consoler. Au sujet du père il est écrit : “comme un père prend pitié de ses enfants (Téhilim 103 13), et concernant la mère nous trouvons : “Comme un fils que sa mère console, ainsi vous consolerai-je” (Yéchaya 66 13).
Ces deux verbes ont certes un sens différent, mais partagent une même idée, celle du rapport à la douleur. L’une au futur et l’autre au passé. Alors que la miséricorde prévient, la consolation répare. Et c’est justement pour cela que chacune de ces notions est attribuée à un parent diffèrent, car le rapport entre le parent et l’enfant diffère entre le père et la mère.
Le papa, qui détient ce statut dès la conception de l’enfant comme nous disent les sages (traité Méguila), a un rapport de futur avec son enfant. Ce rapport est déjà installé alors que l’enfant n’est pas encore né. La maman quant à elle, obtiendra ce statut à la naissance seulement. C’est un rapport de présent, beaucoup plus physique et concret.
Le devoir du père est d’installer des objectifs, de tracer des voies et de transmettre des inspirations. La maman, elle, s’occupe des besoins journaliers, de la transmission de valeurs au quotidien. L’homme est incapable d’effectuer des taches répétitives, il a besoin d’avoir le sentiment qu’il avance dans le temps. Seule la femme est capable de vivre dans la réalité absolue, autrement dit le présent.
Nous comprenons ainsi que bien que le papa soit capable d’anticiper, de prévenir et de donner toutes les conditions à l’enfant pour réussir, face à la difficulté ou la douleur, la seule réponse ne peut venir que de la maman, qui est déjà expérimentée dès la naissance de son premier enfant. Après le traumatisme vécu par le bébé lors de la naissance, son réconfort viendra par le contact physique. Ou plus exactement par le biais de l’allaitement qui est en réalité, la continuité de la grossesse.
Ici réside la différence profonde entre “Rahem” et “Nahem”, la miséricorde et la consolation. Alors que la miséricorde met en relief la douleur pour ainsi prévenir et protéger, la consolation l’efface. Vivre au présent signifie transformer des problèmes en solutions, des questions en réponses. Consoler ne veut pas dire accepter ou oublier, mais au contraire apprendre et créer.
C’est la raison pour laquelle le Rif a choisi le terme “Nahem” – console ! – pour Chabat, car contrairement à “Rahem” – miséricorde – la consolation annule, ou plus exactement transforme la douleur.
Nous comprenons ainsi la métaphore du prophète Yéchaya. La maman en allaitant, réconforte son bébé, le console du traumatisme de l’accouchement. En fait, elle le fait grandir, de la meilleure façon.
Ainsi nous prions pour que cette période, où les premiers mots de la Haftara ordonnent “consolez, consolez mon peuple, Dit votre Dieu” (Yéchaya 40 1), soit pour nous une occasion de grandir et accéder ainsi à la prophétie de Zé’haria “le jeûne du quatrième mois, le jeûne du cinquième… se changeront pour la maison de Juda en jours d’allégresse et de joie, en fêtes de réjouissance (Zé’haria 8 19).