Un agent chargé d’achats qui gagne et reçoit des suppléments – à qui reviennent-ils?

Un agent chargé d’achats qui gagne et reçoit des suppléments – à qui reviennent-ils?

Questions:

Cas n°1: Une personne demande à son ami de lui acheter de la lessive. Cet ami, qui sait que dans un certain magasin, celui qui achète de la lessive reçoit également un savon pour le même prix, s’est alors rendu dans ce magasin, sans que le propriétaire ne soit au courant. Peut-il garder le savon pour lui? Et qu’en est-il si le vendeur lui a rajouté un savon en tant qu’ami?

Cas n°2: Cinq personnes demandent à un coursier de leur acheter une part de pizza à chacune d’elles, pour le prix de dix shekels la part, et elles lui avancent l’argent. En arrivant à la pizzeria, le délégué remarque que pour le prix de six parts individuels, il peut obtenir un plateau entier, et donc il décide d’ajouter de sa propre poche dix shekels supplémentaires, afin de recevoir un plateau entier – huit portions. La question se pose de savoir: Qui d’entre eux mérite les deux portions supplémentaires ? Et concernant le prix de dix shekels: Peuvent-ils prétendre qu’ils ne sont pas censés payer dix shekels par portion, mais seulement le prix d’une portion dans un plateau, qui ne s’élève qu’à sept shekels et demi ?

Cas n°3: Daniel Confie une grande somme d’argent à Laurent, Trader amateur, afin qu’il l’investisse dans une action précise. Finalement, Laurent décide de placer cette somme dans une autre action, plus avantageuse à ses yeux. A la fin de la période d’investissement, Laurent constate que son choix s’est effectivement révélé avantageux, et que la progression de son action était bien plus fructueuse que l’action prescrite par Daniel, lui obtenant un gain de 7% supplémentaire. Laurent se demande s’il peut garder la différence sous prétexte que ce bénéfice n’est que le fruit de son initiative personnelle.

Réponses:

Dans le traité Ketouvot (98b) la Guémara traite de la question concernant celui qui envoie un agent sur le marché pour lui acheter de la marchandise à un certain prix, et qu’en plus des articles achetés par l’agent, le vendeur lui ajoute un article supplémentaire, à qui revient la totalité du profit. La conclusion de Rav Papa est qu’en ce qui concerne des articles qui ont des prix fixes, il est clair que l’objet supplémentaire ajouté par le vendeur, est un cadeau, et il sera donc divisé entre le propriétaire de l’argent et l’agent. Par contre, pour des articles n’ayants pas de prix fixes, mais qui se vendent selon une estimation, on ne pourra pas considérer l’ajout comme un cadeau mais comme faisant partie de l’affaire, et donc tout reviendra au propriétaire de l’argent.

C’est ainsi que tranchent le Rambam et le Choulhan Arou’kh :

Un mandant qui donne de l’argent à un agent pour acheter du blé… Si le prix de la marchandise était fixé et qu’une quantité, un poids ou une mesure supplémentaire était donné à l’agent, tout ce qui était ajouté par le vendeur devait être réparti entre les deux; c’est-à-dire que la mesure supplémentaire doit être répartie entre l’agent et le mandant. Si l’objet vendu n’a pas de prix fixe, tout doit être donné au donneur d’ordre.

Hochen Michpat 183; 6

Pourquoi partager entre le propriétaire et l’agent?

Cependant,  nous trouvons une discussion entre les Richonim quant à l’explication de cette loi concernant des articles qui ont des prix fixes, au sujet desquels nous tenons que le supplément doit être partagé entre le propriétaire et l’agent.

D’après Rachi, pour des articles à prix fixes, il est évident que le supplément  est une offre de la part du vendeur, mais toutefois, il reste incertain à qui le vendeur avait l’intention de pourvoir ce surplus, à l’agent qui se tient devant lui, ou bien au propriétaire de l’argent.

En revanche, le Rif explique, que même s’il est possible que le vendeur avait l’intention de rajouté à l’agent, malgré-tout, puisque sans l’argent de l’envoyeur il n’aurait pas reçu cet excédent, cela sera considéré comme « causé par les deux », et le supplément devra être partagé entre l’agent et le propriétaire.

Un ajout donné expressément pour l’agent

Entre ces deux explications, il ressort une différence pratique comme le souligne le Ran, dans le cas où le vendeur donnerait explicitement l’excédent au messager. Selon l’opinion de Rachi, qui explique la raison du partage en général en raison du doute sur l’intention du donneur, dans ce cas tout reviendra au messager. Alors que d’après l’approche du Rif, on devra partager le gain même si la donation a été faite clairement en faveur du messager, car finalement, le profit n’aurait pas été obtenu sans l’argent du propriétaire.

Au niveau de la Hala’cha, le Rama (183; 6) tranche comme l’opinion de Rachi, que si le vendeur indique clairement qu’il donne cette prime à l’intention de l’agent, celui-ci pourra la garder. Le Ktsot Hachochen ajoute que tel est l’avis de Rav Haï Gaon, ainsi que celui du Ramban qui a même justifié le raisonnement de Rachi. En revanche, le Cha’h (12), ainsi que le Taz et le Nétivoth s’ étonnent sur cette décision du Rama, qui contredit l’avis du Rif, du Roch et du Ytour, et va aussi à l’encontre du Yérouchalmi. C’est pourquoi, on ne pourra obliger l’agent à remettre le bonus au propriétaire, mais s’il lui a déjà donné, il ne pourra réclamer que la moitié.

Il convient de noter que dans une situation où nous savons que l’attribution du supplément par le vendeur au coursier était en retour d’une faveur que ce dernier lui avait fait dans le passé, dans un tel cas, le supplément sera à l’avantage du coursier seulement. Ainsi il ressort clairement des paroles du Ramban (cité dans le S’ma 22), qui traite d’un cas où les habitants d’un village avaient nommé Réouven comme messager pour collecter les impôts afin de payer le gouverneur, et qu’à la réception du paiement, le gouverneur avait attribué un avantage de son propre argent, à Réouven. La question s’était posée auprès du Ramban de savoir qui mérite cet avantage. La conclusion du Ramban est que dans ce cas, le bonus reviendra uniquement à Réouven. Car, même d’après la logique du Rif, finalement ce bonus n’a pas été octroyé pour le bien du public mais comme une récompense personnelle en faveur de Réouven, qui lui avait rendu service en lui prêtant de son argent quand il y avait un manque dans la collecte d’impôts.

Les offres promotionnelles, d’usages aujourd’hui

La plupart des promotions qui sont présentées dans les magasins aujourd’hui, ne sont pas inclus dans cette loi que la Guémara nous enseigne concernant l’ajout d’un article supplémentaire etc. Et la raison de cela, parce qu’elles ne sont pas donnés particulièrement à telle ou telle personne, mais elles sont exposées à tous ceux qui viennent acheter. C’est pourquoi, on ne peut considérer ces promotions comme des offres détachées du prix des articles, mais plutôt comme une nouvelle définition du prix des articles. L’intention de ces magasins est que pour celui qui achète une grande quantité, ils réduisent le prix. D’après cela, dans toutes les offres promotionnelles coutumières aujourd’hui, comme : ‘deux produit achetés = un produit offert’, ou  ‘achetez pour 300 shekels, ne payez que 200’, le profit reviendra  au propriétaire.

Néanmoins,  aujourd’hui aussi il existe parfois des extras qui sont considérés comme des bonus au-delà du prix. Par exemple dans  les annonces comme quoi celui qui achète pour tel ou tel prix, reçoit un article en cadeau, un bon d’achat, ou même un abonnement au zoo. Dans ces formes là on pourrait à priori appliquer la loi de la Guémara, et exiger le partage entre l’agent et le propriétaire.  Mais il semble toutefois, que même dans ces exemples-là, l’avantage appartiendra uniquement au propriétaire. Car finalement, ces promotions ne sont pas des offres à l’attention d’une personne en particulier, mais à tous ceux qui viennent acheter. Et donc il semble plus juste de considérer que l’intention de ces magasins est d’attribuer ces bonus aux propriétaires de l’argent. Ainsi conclut le Rav S. Zafrani dans son livre Chimrou Michpat (tome II §33).

Dans le cas du plateau de pizza, où le coursier a acheté un plateau afin de recevoir deux parts supplémentaires pour le même prix, ce supplément appartiendra au propriétaire de l’argent. Et donc dans notre cas où le messager a également payé une part afin d’obtenir un plateau, ils devront également partager les parts supplémentaires avec lui, et chacun recevra un morceau en proportion de l’argent qu’il a donné.

Quant au prix que le coursier peut facturer pour chaque part: Etant donné qu’il  a acheté ces parts selon la prescription des expéditeurs, il se trouve alors que ces derniers ont acquis automatiquement les parts aux prix que le coursier à payer sur place, à savoir, le prix par plateau, soit: 7.5 shekels la part.

Cependant, si le messager a décidé de ne pas utiliser leur argent mais d’acheter avec son propre argent, dans ce cas, c’est lui qui aura acquis le plateau entier, et il pourra vendre chaque part pour le prix de dix shekels. Mais dans cette situation, il se peut que l’expéditeur  ne soit pas obligé de lui acheter à ce prix, sous prétexte qu’il a permuté sa mission en achetant les parts pour lui-même.

Un agent qui a changé sa mission et a obtenu un gain, à qui revient-il?

Le Rambam écrit :

Celui qui donne de l’argent à un agent pour lui acheter du blé (que ce soit pour sa consommation ou pour l’utiliser comme marchandise), et que l’agent achète de l’orge: Si le prix de l’orge devient inférieur au prix du blé, l’agent doit supporter la perte, car il a dérogé aux instructions qui lui ont été données. Par contre si le prix de l’orge augmente plus que le prix du blé, le profit appartient au propriétaire de l’argent.

lois relatives aux émissaires chap 1 loi 5

Tel est également l’avis du Rif ainsi que du Choul’han Arou’kh (183; 5).

En revanche, le Baal Haytour ainsi que le Métivoth ne partage pas cet avis, et selon lui, puisque sans le changement opéré par l’agent, il n’y aurait pas eu de bénéfice, alors ce profit sera considéré comme le cas du bonus accordé par le vendeur, et devra donc être partagé entre l’agent et le propriétaire, comme en est la loi pour les articles à prix fixes.

Au niveau Hala’cha, le Cha’h (13) écrit que même si la plupart des Richonim (Rambam, Rachi, Tossefoth, Roch) tiennent comme le Rif, malgré-tout, le Mouhzak (détenteur d’argent) pourra revendiquer kim li (je tient) comme l’avis du Ytour et garder la moitié du bénéfice pour lui.

Conclusion

dans le cas n°1 : le savon reviendra au propriétaire, même si lui-même ne connaissait pas cette offre et que son ami s’est rendu spécialement dans ce magasin pour l’obtenir. Toutefois, si l’agent a obtenu cette offre suite à une certaine recherche et en s’efforçant à trouver un bon prix, il semble que le propriétaire devra lui payer des honoraires pour ce service.

Dans une situation où il ne s’agit pas d’une offre promotionnelle, mais que le vendeur a attribué à l’agent un bonus en tant qu’acte amicale, en retour d’un service qu’il lui a rendu, l’agent pourra garder le savon pour lui.

Dans le cas n°2 : Les parts supplémentaires appartiennent automatiquement aux propriétaires de l’argent. Et donc dans notre cas où le messager a également payé une part afin d’obtenir un plateau, ils devront tous partager ces parts, chacun en proportion de l’argent qu’il a avancé.

Concernant le prix que le coursier peut facturer pour chaque part, cela dépandra de la façon dont il a acheté le plateau: S’il a payé avec l’argent des expéditeurs et intentionnellement pour eux, il ne pourra chiffrer la part qu’à son prix en fonction d’un plateau, soit: 7.5 shekels. Par contre, s’il a payer de son propre argent en mettant de côté l’argent du groupe, il pourra vendre chaque part pour le prix de dix shekels. Mais dans cette situation, il se peut que l’expéditeur ne soit pas obligé de la lui acheter, sous prétexte qu’il a permuté sa mission en achetant les parts pour lui-même.

Dans le cas n°3: Il est vrai que selon le Choul’han Arou’kh, Laurent doit rapporté l’ensemble des bénéfices obtenus sur son investissement à Daniel, mais toutefois, d’après la conclusion du Cha’h, s’il ne les a pas encore versés à Daniel, il pourra revendiquer kim li (je tient) comme l’avis du Ytour et du Métivoth, et on ne pourra l’obliger à donner uniquement la moitié du retour qu’il a obtenu sur son investissement.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.