Michpatim –  Quelle dignité pour le coupable ?

Michpatim – Quelle dignité pour le coupable ?

La peine d’emprisonnement

La Parachat Michpatim, consécutive aux « dix commandements », présente au Peuple d’Israel une série de lois civiles qui régissent tous les litiges et autres frictions qui peuvent surgir au sein de la société. Parmi la liste des sanctions recensées dans notre paracha, nous pouvons remarquer que l’une des peines contemporaines les plus courantes en termes de droit pénal – la peine d’emprisonnement, n’existe pas et ne fait pas partie du monde juif. Dans le prisme des nations, la prison n’est pas seulement utilisée comme moyen intermédiaire pour s’assurer une procédure appropriée, mais également et surtout comme la forme de sanction majeure de tout pays développé. Apparemment, la Thora ne partage pas ce point de vue, et ne soutient pas, au sens général, une telle application.

En réalité, la peine d’emprisonnement est mentionnée dans la Thora en deux endroits. Le premier, dans la section qui traite de l’homme qui a coupé du bois pendant chabbat – « on le mit en lieu sûr car il n’avait pas été précisé comment il fallait agir à son égard » (Bamidbar 15; 34). Le deuxième, concerne celui qui maudit Hachem « On le mit en lieu sûr, jusqu’à ce qu’une décision intervint de la part de l’Eternel » (Vayikra 24; 12). Dans les deux cas, on ne parle pas de « peine de prison » en tant que châtiment, mais comme garde à vue du fauteur jusqu’à ce que son verdict soit définitivement établi.

Le plus proche de cette peine dans la Thora est l’exil pour le meurtrier involontaire, qui consiste à l’obliger de fuir vers une ville refuge pour y rester jusqu’à la mort du Cohen Gadol. Cependant, cette sentence ne doit pas non plus être considérée comme une sanction. Au contraire, elle a été conçue pour protéger le coupable et éviter qu’il ne soit tué par le vengeur du mort.

Apparemment, le déni de liberté d’une personne n’est donc jamais défini comme sanction, car cela reviendrait à nier l’essence même de cette personne, ce qui ne trouve pas sa place dans la Thora d’Hachem.

Bien qu’il existe dans la Torah des châtiments corporels, comme la Malkout (flagellation) et même la peine de mort de quatre manières différentes (la lapidation, le feu, l’épée et la strangulation), malgré tout, la peine de prison qui se prolonge sur des années s’apparente comme une punition immorale, une souffrance continue, largement plus cruelle que celles mentionnées. Il nous importe d’en comprendre la raison.

Préserver l’honneur d’un condamné !

La Thora vient nous enseigner ici une notion élevée. Il est vrai que des sanctions et des moyens d’exécution spécifiques sont fixées pour les fauteurs en tous genres. Cependant, elles ne sont pas destinées à humilier l’homme ou annuler son kavod en tant qu’inculpé. Au contraire, une attention extraordinaire doit être exercée quant à la dignité et la sensibilité d’une personne, et cela malgré son inculpation même sur les actes les plus graves.

La sensibilité de la Thora pour le respect de l’honneur de l’homme, même s’agissant de délits relevant du droit pénal, se fait également sentir à travers le célèbre propos en réponse à la question de Raban Yohanan ben Zakai : Pourquoi un homme qui a volé un agneau doit-il payer quatre fois la valeur de l’objet volé alors que celui qui a volé un taureau, lui, doit payer cinq fois ? Et Raban Yohanan explique : « Hachem a pitié du kavod de ses créatures. Un taureau qui marche sur ses pattes ne cause pas de honte à son voleur qui se contente de le tirer, il en paiera donc cinq fois sa valeur. Un agneau qui est porté sur les épaules ne coûtera que quatre fois le prix du larcin, car le voleur a déjà été humilié en le portant ».

Ce propos nous enseigne à quel point la Torah tient compte de la dignité d’une personne, même lorsqu’il s’agit d’un voleur. Il n’empêche que cela n’a de cesse nous interpeller : un tel voleur, à qui peu importe d’être tenu de porter un agneau sur ses épaules en plein marché aux yeux de tous – sans parler du profit qu’il va tirer de son larcin, éprouve-t-il le moindre ressenti d’infériorité en agissant ainsi ?

La Thora ne se fie pas aux apparences, elle creuse jusqu’aux profondeurs de la conscience. Hachem sonde les entrailles et le cœur de l’homme, et sait qu’aux tréfonds de son cœur, règne chez ce méprisable voleur un sentiment de malaise et un déshonneur en portant cet agneau sur ses épaules au vu et au su de tous. C’est pourquoi HKBH, prend en compte cette donnée dans le calcul de sa peine – et la diminue d’un cinquième. Finalement, le voleur détient également en lui une étincelle – même minime – d’estime de soi.

L’essence même de l’homme c’est son kavod

Tâchons d’approfondir. Le Kavod de la personne, c’est tout son être, son existence-même. La spécificité de l’homme est d’avoir été créé « Bétsélem Elokim – à l’ « Image » de D-ieu, et comme le dit la michna « l’homme est précieux car il a été créé à Son image » (Avot 3; 14). Quelle est cette Image ? Elle correspond à la faculté qu’a l’homme de choisir ; c’est son libre-arbitre entre le bien et le mal, ainsi que l’explique le Néfech Hahaïm (Chaar 1).

De cette manière il nous est possible de comprendre la gravité de l’interdit de faire honte à une personne et la faire rougir, au point que nos Sages disent qu’une personne qui agit ainsi est considérée comme « ayant versé le sang », soit comme ayant tué son protagoniste (Baba Metsia 58). En fait, un homme qui subit une honte, quelle qu’elle soit, est un homme dont la lumière intérieure a été éteinte, son image divine qui s’exprime par son libre-arbitre et sa réalité personnelle ont été frappées.

L’on peut ajouter que l’image divine d’une personne a pour sens, le fait qu’a été confiée à chaque individu par le Créateur une mission à réaliser dans son monde, dans le cadre du potentiel et des forces qui lui ont été attribués. Une atteinte à son kavod refrène la personne dans la réalisation même de cette mission. C’est ce qui constitue en soi, une atteinte à son image divine.

De cette manière, l’auteur d’une honte exprimée envers autrui ressemble au meurtrier qui verse le sang, comme l’explique le Maharal. En agissant ainsi, celui-ci ôte à sa victime son Kavod intrinsèque et le libre-arbitre qui en résulte. C’est l’annulation même de l’être. C’est également la raison pour laquelle l’homme doit se retenir de se ridiculiser et de se déshonorer lui-même, en vertu du principe : « personne ne doit se considérer comme un méchant » (Yébamot 25), car l’homme n’est pas autorisé à abîmer son image divine.

Peut-on se servir d’une chose tout en la méprisant ?

A la lumière de ces données, il nous est possible de comprendre un point extraordinaire concernant les faux-témoins, dont il est également question dans notre paracha. La Thora avertit et met en garde de ne pas tendre la main ou prêter main forte aux faux-témoins pour ne pas qu’ils puissent en venir à mener à bien leur complot (Chémot 23; 1). Il est même décrit dans le talmud la façon dont le Tribunal mettait en garde les témoins, en les faisant entrer dans une pièce pour les menacer de ne pas mentir. Mais en ce qui concerne le “contenu de la menace”, la Guemara évoque plusieurs possibilités et les rejette, jusqu’à ce qu’elle conclue et indique la manière appropriée de procéder (Sanhédrin 29a).

Il ressort des paroles de la Guemara, que les menaces de sécheresse et d’arrêt des pluies s’avèrent inefficaces. Après tout, qu’est-ce qu’ils en ont à faire de la responsabilité publique. La menace d’une épidémie ou de maladies qui peuvent les atteindre n’est pas non plus un moyen de dissuasion pour ces faux témoins. Ceux-ci jouent avec l’espoir que « chaque balle a une adresse » même en cas d’épidémie. Curieusement, le seul moyen de dissuasion qui fait ses preuves, est résumé dans la phrase de Rav Ashi : « nous leur disons que les faux témoins sont rabaissés même par ceux qui les engagent ». C’est-à-dire que ceux même qui les embauchent les mépriseront lorsqu’ils exécuteront leur complot.

Observons de près cette idée extraordinaire !

Une personne est capable, par avidité pour l’argent, à descendre à des résolutions aussi basses que le « faux témoignage » envers son prochain. Même les menaces du Tribunal, en mentionnant aux témoins des versets explicites sur les terribles malheurs qui pourraient survenir dans le monde s’ils menaient à bien leur complot, n’ont rien de quoi les décourager ! La seule chose qui les effraie, c’est le mépris de ces méchants escrocs qui les embauchent ! Mais après tout, recherchent-ils le respect ? Ne sont-ils pas plutôt complètement engloutis dans la cupidité ?!

Le R.Y Milounil (12ème siècle) va même plus loin dans l’interprétation de cette Guémara, et explique que la Cour a également l’intention de leur dire, qu’en refusant de témoigner faussement, ils se rendront « importants » aux yeux de leur bailleur. Mais finalement, comment deviendraient-ils importants en faisant le contraire de ce qui leur est demandé !?

En fait, nos sages nous dévoilent par là ce qui se cache dans la profondeur de l’âme humaine. Même si nous avons affaire à un escroc qui a l’intention de témoigner à tort et qu’aucune menace tangible n’affecte plus, malgré-tout il est toujours possible de parler à sa véritable image humaine, celle de l’image de Dieu qui est en lui.

Toute personne, même si elle a choisi la voie la plus obscure, garde son “image” importante pour elle, et est constamment désireuse d’être vénérée par son entourage. C’est ainsi que nous voyons que lorsque les criminels sont conduits devant le tribunal, ils prennent souvent le soin de se couvrir le visage.

Entre la détention provisoire et la condamnation perpétuelle

Pour en revenir à la peine d’emprisonnement, il semble qu’il n’y a rien de plus humiliant pour un homme que son enfermement dans une cellule. Mise à part la privation de sa liberté, il devient objet plutôt que sujet. Par la force des choses, le détenu se trouve en situation d’infériorité et de soumission, et est conduit à comprimer son espace personnel, aussi bien sur le plan psychique que physique.

Aujourd’hui, nous entendons bien souvent la justice utiliser la détention, dans des conditions déplorables, comme moyen de pression sur des suspects. Ainsi les enquêteurs recueillent de nombreux aveux, certains de coupables et d’autres d’innocents (selon un récent rapport du Défenseur des lois, dans les deux tiers des cas aucun acte d’accusation n’est déposé à la suite de l’arrestation).

Ce piétinement des droits des suspects et ces « méthodes » d’incrimination sont radicalement opposées à l’esprit de la Thora. Lorsqu’il a été dit dans le Talmud de Jérusalem (Sanhedrin §7) qu’un suspect soupçonné d’avoir tué une personne peut être détenu, R. Yossi s’est immédiatement étonné: « Comment-est-il possible que l’on se saisisse d’un homme publiquement et qu’on le dénigre ainsi ?! »

La Thora respecte une personne ne serait-ce que pour sa raison d’être. Rien ne peut justifier la torture et l’atteinte à la dignité et à la liberté humaine, pas même la charge des tribunaux.

Sur le même sujet, nous pouvons évoquer aussi le débat de fond sur l’emprisonnement à perpétuité. Une incarcération de longue durée est peut-être moins révoltante, en apparence moins barbare sans doute que la peine de mort, mais non moins réelle. Comme le soutiennent certains, les méthodes traditionnelles de châtiments corporels, en un certain sens, accordent plus de respect aux condamnés que l’envoi du contrevenant à la réclusion à perpétuité. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre parfois des détenus condamnés à la perpétuité demander à être exécutés à la place.

Nous conclurons cette article par les paroles du Rambam

Toutes les mesures ci-dessus doivent être appliquées selon la perception du juge… Ses actions devront être au nom du ciel, et l’honneur des hommes ne devra pas être léger à ses yeux, car nous trouvons que la dignité humaine emporte sur le respect d’une interdiction rabbinique. Et a fortiori celui des descendants d’Avraham, d’Itshak et de Yaakov qui détiennent une Torah de vérité, il devra veiller à ne pas ruiner leur honneur et n’agir que pour accroître l’honneur de l’Omniprésent…

Rambam – Lois relatives aux juges (chap 24 §10)

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.