Syndrome d’hubris
Avez-vous déjà entendu parler du syndrome d’hubris ? Il s’agit d’un terme grec, qui signifie démesure. Ce syndrome correspondrait à une « intoxication par le pouvoir ». Parmi les symptômes caractéristiques de cet état, on compte le sentiment de toute-puissance, une confiance en soi exacerbée, un refus de la critique, une faible empathie… Au vu des récents événements, certains spécialistes s’interrogent : le président russe souffrirait-t-il d’un syndrome d’hubris ?
Le choix de Poutine d’une prise de contrôle militaire de l’Ukraine relève plus d’un élan idéologique que d’un processus de planification stratégique qui examine la chaîne des conséquences. Il est clair, même pour l’œil profane, que le président Russe est parti en guerre mal informé, s’attendant à des résultats différents. Il n’imaginait certainement pas verser autant de sang parmi ses propres soldats… Il ne s’attendait pas non plus à rencontrer une telle opposition en Ukraine, considérée comme un pays faible doté d’une force militaire insignifiante par rapport à l’armée russe. Comment comprendre de telles erreurs de sa part ?
Il semble que notre Paracha a de quoi nous instruire à ce sujet.
Les quatre types de personnes qui fautent involontairement
Notre Paracha traite du korban ‘hatat – sacrifice expiatoire – qui s’impose à l’individu ou à la communauté qui a fauté involontairement. La Thora répartit en quatre groupes les différents types de sacrifice. Ils ont été répertoriés selon le niveau de l’auteur de la faute (Rabénou Bahayaï). Le premier dans l’ordre est le grand prêtre ayant reçu l’onction sainte, qui guide son peuple dans le droit chemin, et de qui ce dernier attend l’enseignement des lois de la Thora. A sa suite vient le grand Sanhédrin, les « yeux de l’assemblée », qui siège dans le Temple dans une salle connue sous le nom de Lishkat Ha-Gazith. Ensuite vient le Nassi, le roi, dont le cœur représente celui de tout le peuple. Et enfin, en dernier, vient l’homme simple qui a enfreint involontairement un commandement.
Il nous importe de comprendre pourquoi la Torah a-t-elle subdivisé le mode d’expiation ainsi que les espèces d’animaux approchés en quatre catégories ?
On peut comprendre la différenciation concernant le grand Prêtre ainsi que le Sanhédrin, car leur type de faute diffère radicalement de celle de l’individu. En ce qui les concerne, cette faute involontaire a pour origine une lacune dans la décision halachique, rouavnt sa source dans un défaut d’étude. Ce qui n’est pas le cas d’une simple personne qui faute par inadvertance, et dont la transgression découle d’une erreur au niveau de l’action et non de l’apprentissage. En effet, une telle personne n’est pas tenue d’apprendre ni d’approfondir.
C’est pourquoi le langage choisi par la Thora pour ces deux cas, est la « chguia – l’erreur » qui révèle une erreur théorique, à l’opposé du langage « chgaga – faute par inadvertance » utilisée pour les autres (Malbim). C’est également là la raison pour laquelle leur korban est identique – tous deux apportent une vache, et de même, on ne nourrit pas de leur sang l’autel extérieur, mais l’intérieur dans la tente d’assignation.
Mais concernant le Nassi, il y a lieu de se demander en quoi diffère-t-il de tout citoyen qui faute, et pour quelle raison la Thora a-t-elle fixé une loi différente ? On peut également chercher à comprendre pourquoi le Nassi apporte-t-il un bouc alors que le particulier offre une chèvre ?
Le Roi serait-il prédestiné à fauter ?
Il semblerait que pour apporter une réponse, il faille se concentrer sur la manière dont la Thora introduit la section du Nassi. En effet, elle fait ici exception par rapport à l’introduction des sections relatives aux autres fauteurs. Pour ces derniers, la Thora commence par les mots « Si le Cohen oint en arrive à fauter », « Si toute l’assemblée d’Israel commet une erreur », « et si une personne envient à fauter par inadvertance ». Relativement au Nassi, la Thora a choisi d’introduire le sujet différemment : « Quand un Nassi fautera ». Il est question ici d’une réalité sans recours, il s’agit là d’une certitude!
Ainsi, Rabbi Ovadia Seforno écrit que l’exercice du pouvoir a la capacité de banaliser la faute. Même si la faute appartient au domaine du possible, autant pour un homme simple que pour le grand prêtre, elle n’est en tout cas pas une certitude inévitable. Quant au Nassi, en revanche, c’est une évidence qu’il pêchera. Pour quelle raison ? Tout simplement parce que la nature-même du pouvoir a pour effet d’abîmer l’homme.
Le Seforno cite les mots du cantique Haazinou « Yéchouroun s’est engraissé et s’est révolté » (Dévarim 32; 15). Ainsi, tout celui qui se trouve en position de supériorité par rapport aux autres est susceptible de perdre de sa sensibilité à l’éthique morale. Il y a là, un message pour chacun, quel que soit son niveau. Et tel que l’exprime le Hizkouni : en toute situation où l’homme se place en position de supériorité par rapport à son prochain, il ne manquera pas de trébucher, et cela même sans préméditation.
Dans les lois concernant la Téfila, il est dit que toute personne doit se prosterner dans la Téfila de la « amida » comme nous en avons l’habitude. Le Cohen Gadol quant à lui, se prosterne au début et à la fin de chaque brakha. Le roi doit s’agenouiller et non pas se courber. Ce qui signifie que le roi doit rester agenouillé toute la téfila, afin d’affermir sa vertu de modestie et d’humilité. En effet, plus une personne est haut placée, plus le risque d’arrogance se sa part est grand et doit être combattu.
La solitude du pouvoir
Mais au-delà du risque d’orgueil que le roi peut porter à l’égard de ses frères, il existe une autre raison qui risque de dégrader ses qualités et le dévaloriser aux yeux du peuple.
En examinant les versets, l’on peut remarquer qu’en ce qui concerne le grand prêtre, sa faute est présentée comme étant en rapport avec le peuple – « au détriment du peuple » (Vayikra 4; 3). A l’identique, il existe une relation avec le peuple pour la faute des membres du Sanhédrin, dans le sens où ils ont été la cause d’une faute chez le peuple. Concernant le Nassi, on ne trouve nulle part un tel lien. Il est pour ainsi dire coupé du peuple.
Un roi, isolé dans son palais, entouré de gardes du corps qui l’éloignent physiquement et spirituellement de l’échange avec le public, se coupe de la réalité. Il se retrouve retranché et au fil du temps ne se concentre plus que sur lui-même. De ce fait, il nous est permis de dire que de cette rupture, germe la faute.
Il est vrai que d’une certaine manière, la solitude fait partie de la fonction du pouvoir. Aucun chef d’État, qu’il soit dictateur ou démocrate, n’échappe à cette règle de vivre l’essentiel de sa vie quotidienne seul, et surtout dans les périodes de crise. Même s’ils sont conseillés, les gouvernants doivent toujours au bout du compte assumer seuls les décisions dont la responsabilité leur incombe. Mais justement, face à cette solitude, les grands acteurs politiques sont amenés à tomber dans le piège du narcissisme, et ainsi se couper de la réalité ainsi que du peuple qui les a élus.
Quoi qu’il en soit, il nous reste encore à comprendre pourquoi fixer par avance la chute inévitable du Nassi ? De plus, avons-nous vraiment besoin de fauteurs comme dirigeants ? Pourquoi ne pas espérer avoir des dirigeants droits qui remplissent leurs fonctions fidèlement ?
Bienheureuse la génération dont le Nassi offre un Korban
Il semble que la réponse à cette question se trouve dans les paroles de Rabbi Yohanan ben Zakaï, qui donne une autre interprétation aux termes choisis par la Thora « Acher Nassi yé’héta – Quand un Nassi fautera », contrairement aux autres types de fauteurs. Son explication a pour origine l’étymologie du mot « Acher » qui vient du mot « Achrei – heureux », l’intention de la Thora étant de nous enseigner que « Bienheureuse est la génération dont le Nassi apporte un Korban pour sa faute par inadvertance » (Horayot 10a).
Il est vrai qu’il existe un danger, et même une très forte présomption, qu’un homme aux pouvoirs étendus en viendra forcément à fauter. Néanmoins, il existe un remède à cette problématique. Le dirigeant idéal est justement celui qui sait assumer pleinement la responsabilité de ses actes.
Un gouvernant qui ne faute pas, c’est en fait un gouvernant qui n’est pas disposé à reconnaître sa faute, qui est prêt à falsifier la réalité aux seules fins de justifier ses actions. Un tel homme qui veut camoufler ses faiblesses, qui se sert de son pouvoir pour masquer ses fautes, n’est pas digne de diriger, il ne convient pas au peuple. Par contre, le Nassi qui est capable de se mesurer à la vérité et la reconnaître, au point de dire « je me suis trompé », « j’ai commis une erreur », heureux soit-il et bienheureux est son peuple.
C’est pourquoi Yéhouda mérita la royauté pour sa tribu pour l’éternité, et David mérita la royauté pour lui et sa descendance à jamais. Ils ont su reconnaître leurs erreurs et sont parvenus à dire : ‘nous nous sommes trompés’, ‘nous avons fauté’. C’est là, la seule vraie et authentique façon de diriger.
Comment encourager le Nassi à reconnaître sa faute ?
En réalité, la difficulté pour le dirigeant de reconnaître les fautes commises est bien plus grande que pour tout un chacun. Le Nassi va éprouver le besoin de dissimuler sa faute par crainte de l’écho public qui se produirait si son péché était divulgué. Cependant, quoi qu’il arrive, cette capacité de reconnaître ses erreurs doit faire partie des forces du Nassi.
Deux types de courage sont exigés d’un dirigeant : l’audace de prendre des risques, et la modestie de reconnaître que le risque n’en valait pas la peine. Qu’est-ce qui exige le plus de courage ? La réponse vous appartient.
Mais finalement, même cela, la Thora l’a pris en compte. Si l’on réfléchit au type de korban ‘hatat du Nassi, il ressemble au type du korban ‘ola – l’holocauste – et non pas au korban ‘hatat – expiatoire.
Le Mechekh Hokhma explique pourquoi la Thora a ordonné au Nassi d’apporter un bouc mâle contrairement aux ‘hatat classiques qui sont des femelles ? En fait, la Thora prend en compte l’honneur du dirigeant et ordonne qu’il apporte un mâle pour que l’on puisse penser qu’il s’agit d’un korban ‘ola et non pas d’un ‘hatat. Au moyen de cette différence entre son sacrifice et celui de tout homme d’Israel, la Thora désire encourager le dirigeant à regretter ses mauvaises actions et l’engager à améliorer sa façon d’agir.
La réparation et le regret du dirigeant au regard de ses actes ne doit pas être la propriété du public ni son sujet du jour. C’est une initiative qui doit venir du dirigeant lui-même, c’est pourquoi, il n’est nul besoin de souligner publiquement son déshonneur.
De nos jours, si le Président de la République se présente pour dire : « j’ai commis une erreur, je désire la réparer », il se verra aussitôt attaqué tous azimuts, et peut-être même devra-t-il être confronté à la justice pour cela ! Face à une telle réalité, il est clair que celui qui faute fera l’impossible pour couvrir et cacher sa faute. Ce genre de situation ne laisse aucune place à la réparation, et comme il est quasiment impossible de ne pas en arriver à fauter, notre dirigeant est cerné de tous côtés.
Isolé au sommet
Isolé dans sa tour d’ivoire, auto-confiné par une peur bleue du covid, le président Russe semble enfermé dans sa propre logique guerrière, hermétique à toute remise en cause. Aucun obstacle ne se dresse sur son chemin alors qu’il se construit une réalité alternative toute virtuelle. Les quelques personnes encore autorisées à entrer dans sa cour et à chuchoter un mot ou deux à l’oreille du gouvernant réfléchiront cent fois avant d’oser lui signaler que la situation à l’extérieur est différente de la réalité telle qu’elle apparaît dans le bunker.
Pour reprendre les mots du directeur de l’INSS, dans toutes les images de l’activité diplomatique qui ont précédé l’invasion militaire de l’Ukraine, Poutine apparaît comme un ‘leader solitaire’ au sommet de la Russie. Inspiré par le modèle de l’Union soviétique sous Joseph Staline, il s’est efforcé de démontrer qu’il prenait seul les décisions, montrant une confiance absolue dans l’utilisation de la force pour faire avancer ses objectifs. Il s’agit d’un phénomène récurrent dans l’histoire où un dirigeant qui siège sur le trône pendant de nombreuses années – 22 ans dans le cas de Poutine – perd la capacité de discerner ses désirs personnels des besoins de ses citoyens.
Notre Paracha nous enseigne qu’il n’y a pas plus grand que celui qui sait reconnaître et dire « j’ai fait erreur ». Cette aptitude à entendre d’autres opinions et à changer sa façon de voir, est l’une des qualités requises pour un dirigeant ; Et bienheureuse est la génération dont le dirigeant est un tel homme. Une génération qui sait estimer un homme capable de reconnaître la vérité même lorsqu’il commet une faute, donne à son dirigeant la possibilité d’y remédier. Une telle génération est apte à mettre en place un dirigeant qui non seulement sera en mesure de reconnaître ses fautes, mais également pourra prêter oreille et être attentif aux besoins de son peuple.