« Et tu seras bénédiction – Par toi on conclura »
La première braha de la ‘Amida’ est « Maguen Avraham – Bouclier d’Avraham » – C’est elle qui introduit toute la téfila du ‘Chmonei Essré’ que nous récitons trois fois par jour. Elle repose sur la bénédiction du Maître du monde à Avraham avinou mentionnée dans notre paracha. Cette première braha de la Amida débute par la mention de nos trois Patriarches, chacun nommé séparément : « Elokei Avraham, Elokei Ytshak, Elokei Yaacov ». Ils ne sont pas regroupés sous une même appellation, de sorte à faire ressortir la spécificité personnelle de chacun des trois Avot. Chacun avait sa particularité et son axe de travail et d’élévation. Néanmoins, nous pouvons relever que cette braha se conclut par les mots : « Maguen Avraham », selon la Promesse faite à Avraham par HKBH : « tu seras une braha » que nos sages interprètent: « par toi on conclura ».
Le représentant de la bénédiction, symbole du bien et de l’abondance, est précisément Avraham avinou ! A quel moment ? Justement maintenant, dans cette épreuve qui lui est infligée, dans cette ordonnance d’Hachem de partir de chez lui « lekh-lekha ». Alors qu’il devient alors errant, sans toit, sans passé et sans perspective de futur, c’est pourtant en cet instant précis qu’il devient entièrement braha ! Il y a vraiment de quoi méditer…
On peut également se demander en quoi HKBH calme l’inquiétude d’Avraham en lui disant « par toi on conclura ». Peut-on imaginer un seul instant qu’Avraham éprouve de la jalousie envers son fils Ytshak et petit-fils Yaacov et souhaite en écarter les noms de la conclusion de la bra’ha !? Nos Sages ne nous enseignent-ils pas « Rabbi Yossi bar Hiti dit : par nature tout un chacun éprouve de la jalousie envers autrui, hormis le père envers son fils et son élève » (Sanhédrin 105).
En réponse à cette interrogation, Rav Elhanan Wasserman explique que le sens profond de cette promesse concerne la galout – à comprendre par : « par toi se conclura la galout ! ». Quelle est la signification de cela ?
Seul face au monde entier
Avraham avinou est, de toute l’histoire de l’Humanité, l’exemple du « révolutionnaire » par excellence. Il osa se lever contre les principes d’un culte voué aux dieux étrangers et s’opposa à la société tout entière qui était imprégnée de cette culture idolâtre. Fort de ses idées propres, il se sépara radicalement de son entourage et même de sa famille pour poser les bases de sa foi – une procédure au-delà de l’entendement humain.
En effet, l’être humain est par nature un être social extrêmement influencé par son milieu environnant. « La nature de l’homme est d’être influencé par les idées et les actes de ses proches et ses compagnons, et de se conduire comme le font les gens de son pays » (termes du Rambam). C’est pourquoi, le rav Yéhouda Achlag – auteur du « Baal Hasoulam » soutient que la seule chose qui dépende de notre libre arbitre est le choix de notre environnement. Car à partir de là, tout est déjà affecté par l’environnement que vous avez choisi.
En dépit de tout cela, Avraham lutta contre une civilisation entière, l’affronta et la combattit, en brisa les sculptures d’idolâtrie et alla jusqu’à initier les gens à la Émouna en Hachem, en totale contradiction avec les us et coutumes environnantes. C’est ce qui lui valut le qualificatif de « Avraham Ha’ivri » – le monde entier d’un côté et Avraham de l’autre côté. La qualité définissant notre père Avraham était cette force lui permettant d’aller à contre-courant et de s’opposer aux conceptions de son époque.
La lutte d’Avraham est un combat qui donne la possibilité d’être différent ! Avraham a fait hériter pour toutes les générations à venir cette aptitude à nous différencier des toutes les cultures ambiantes dont nous sommes supposés subir les influences. Notre Paracha nous décrit justement comment Avraham a combattu pour ses idées, comment lors de conflits d’idéologie il s’est séparé radicalement et sans en éprouver aucune honte de sa famille paternelle, et par la suite de Lot son neveu, et de Yichmael et Hagar. Avraham, qui par nature influençait le plus grand nombre et enseignait à chacun la Thora, cette nouvelle Emouna en Hachem, sut également placer des frontières claires à ne pas dépasser, jusqu’à en arriver à se séparer et s’éloigner des influences contraires.
Ce ne fut pas le cas de Ytshak son fils, qui détenait déjà en lui la force intérieure de son père et avait été dirigé et éduqué en ce sens par ce dernier. Dès lors, il ajouta à cela sa propre spécificité. De même concernant Yaacov avinou, troisième pôle instigateur de Emouna, qui puisait la force de ses pères et grandit sur leurs genoux, et y ajouta également sa propre ligne conductrice.
Il convenait que s’associent ces forces des trois Avot pour être transmises au Peuple Juif tout au long des générations et leur permette de résister fermement dans leur Emouna au fil du temps. C’est là le sens de la question de nos Sages qui s’interrogent « il aurait été possible de conclure la bra’ha au nom de tous ». Nos Sages répondent et en même temps témoignent : il n’en va pas ainsi, « par toi nous concluons et non par eux ». Il est dit ici qu’à la fin des temps reviendra et règnera l’impulsion originelle de Avraham avinou. La même ambiance qui régnait alors, rébellion généralisée contre la Royauté divine, mais également nombreux seront ceux qui reviendront à la source et feront téchouva de leur propre chef.
L’entêtement d’une fille face à son entourage
Il est possible d’éprouver ce ressenti à travers cette histoire racontée par l’un des participants au séminaire « Arakhim » :
Nous sommes une famille de parfaits hilonim, qui habitons Beer Cheva. Un beau jour, mon frère et sa famille entamèrent un processus de téchouva et comme on peut s’y attendre, changèrent radicalement leur mode de vie. Nous sommes une famille très unie, et nous avons l’habitude de nous retrouver le chabbat pour des réunions familiales, avec tout ce que cela peut malheureusement comporter comme profanation du chabbat… L’absence de mon frère à ces réunions m’affecta profondément et je lui fit d’amers reproches. Il me demanda instamment de reporter ces réunions au motsé chabbat, mais nous avons catégoriquement refusé ! Dès lors, la rupture fut totale entre nous. Quant à moi, raconte-t-il, je finis par cesser de pratiquer purement et simplement le peu de mitsvot que j’accomplissais, comme le kiddouch du vendredi soir. Mais « celui qui siège au Ciel s’en moque ». Ma propre fille, une jeune fille de 14 ans, fit elle-même téchouva sans m’en informer ! Je ne décrirais pas la colère que j’en éprouvais. Mais fille pour sa part est une personne déterminée, elle fait ses études dans un lycée `hiloni et s’y rend jour après jour revêtue de vêtements conformes au plus haut niveau de la halakha. Elle n’hésite pas à interroger ses enseignantes en les mettant face à des questionnements difficiles. Ses camarades se sont mises à se moquer d’elle et la tourner en ridicule. De son côté, elle se tint aussi ferme qu’une muraille. Le pic de la « guerre » entre nous se jouait le soir de chabbat. Chaque vendredi soir, ma fille se rendait au Beith Kenesseth du Rav Batsri chlita pour prier et écouter le discours du Rav. La choule se trouve à une distance d’une heure de marche de notre maison ! Chaque vendredi soir, elle préparait son repas pour sa séoudat chabat. Elle avait elle-même acheté sa petite « plata » de chabbat sur laquelle elle déposait son repas. Lorsqu’elle rentrait de la choule le vendredi soir, elle découvrait que « quelqu’un » avait retiré la prise de la « plata ». Ainsi, chaque chabbat, je coupais la plaque de son arrivée électrique. Elle ne se mit jamais en colère ni ne se désespéra. Elle chantait « chalom aleikheim », faisait son propre kiddouch alors que tous les membres de la famille se moquaient d’elle en la ridiculisant. Cela durant deux ans. Deux ans d’entêtement et de ferme volonté, jusqu’à ce que peu à peu nous comprenions qu’en réalité, nous étions nous-mêmes les malheureux dans cette histoire. Elle revenait à sa source, à ses ancêtres qui avaient donné leur vie pour garder le chabbat et les mistvot. Finalement, c’est nous qui nous sommes « pliés » et sommes arrivés au séminaire ! Baroukh Hachem, toute la famille fit une complète téchouva, par le mérite de cet entêtement purement juif de ma fille !
De qui cette jeune fille reçut-elle cette force et cette détermination extraordinaires et irréversibles ?
D’Avraham avinou bien évidemment – Par toi nous conclurons la galout !
La solitude du Croyant
A la veille de la seconde guerre mondiale, Rabbi Chimon Chkop s’exprima ainsi : « En voyant la situation du judaïsme aller en s’affaiblissant, en voyant ceux qui abandonnent leur foi bien plus nombreux que ceux qui la préservent, nous ne devons pas désespérer ! Car telles sont les paroles prophétiques de nos Sages qui nous préviennent que cela se passera ainsi dans le futur ; les parents s’éloigneront des mitsvot mais le cœur des enfants s’éveillera à la Emouna de leur propre initiative, à la manière d’Avraham avinou, pas de celui de Yitshak et Yaacov qui se sont élevés grâce à la force des Avot et de leurs directives ».
Il nous est permis de dire qu’en cela tient le secret de la braha par laquelle nous commençons la Amida chaque jour, celle de « Maguen Avraham – Bouclier d’Avraham ». Elle représente notre protection en galout et la promesse que nous survivrons jusqu’à la fin des temps. C’est en soi quelque chose de spécifique à Avraham.
Il est dit dans le midrach qu’au moment où l’impie Nimrod fit jeter Avraham dans la fournaise ardente, le malakh Gavriel dit à HKBH : « Maître du monde je vais descendre et refroidir la fournaise, et je sauverai le tsadik de la fournaise ardente. HKBH lui dit : ‘Je suis Unique dans Mon monde et il unique dans son monde, il convient à l’Unique de sauver l’unique’.
Le Juif intègre dans sa Emouna ne se laisse pas influencer par les idées et les courants du monde environnant. Il est unique dans sa conviction et sa Emouna. Grâce à cela, il gagne la protection particulière de l’Unique. La nature de chaque yéhoudi est d’être une personne unique – il a une mission spécifique, et lui seul uniquement, est apte aux épreuves qui lui sont tout particulièrement destinées et spécifiques, et c’est vers lui qu’Hachem se tourne et dit « lekh-lekha – va pour toi – pour toi personnellement ».