Vayehi – La richesse par le don

Vayehi – La richesse par le don

Le riche patrimoine d’Acher

Dans notre Paracha, la Thora relate les brahot que Yaacov dédie à ses fils avant sa mort. Lorsque arrive le tour du dernier d’entre les fils des servantes, en l’occurrence Acher, Yaacov lui prédit une richesse matérielle débordante : « Pour Acher, son pain sera gras, c’est lui qui pourvoira aux délices des rois ». Cette expression correspond à l’octroi d’une production agricole particulièrement abondante et d’une grande richesse.

De même, dans la Parachat VéZot Habérakha, dans la bénédiction formulée par Moché Rabénou envers Acher, nous retrouvons cette insistance sur sa profusion d’huile « Et au sujet d’Asher, il dit: Béni entre les fils soit Asher! Bienvenu auprès de ses frères, et baignant son pied dans l’huile ». Nos sages nous enseignent que le territoire de Acher « fait couler l’huile comme une source ». Certes, son territoire, situé dans les hauteurs de la Galilée, est réputé pour ses multiples oliveraies et de même, la vallée de Beit Hakerem doit son nom aux très nombreux oliviers qui la couronnent. C’est l’apanage de Acher, dont l’emblème du drapeau est la figure de l’olivier, sur la base de la bénédiction de Yaacov.

Acher contente ses frères

Moché ajoute dans sa bénédiction « Béni entre les fils soit Acher », que le Ramban interprète comme étant une brakha supérieure à celles des autres Chevatim. En effet, tous se rendront en son territoire pour acquérir cette huile sans pareille en échange du produit de leurs territoires respectifs. Acher bénéficiera donc de tous les bienfaits reçus par les autres tribus. Sur ce, Moché ajoute « qu’il soit apprécié par ses frères », ce que le Sforno explique par le fait que malgré toute sa richesse, les Chevatim ne le jalouseront pas ni ne le haïront comme c’est le cas vis-à-vis de toute personne riche. Ses frères ne le regarderont pas d’un mauvais œil, au contraire, il sera aimé de tous.

C’est en réalité extraordinaire ! En général, les gens ont coutume de jalouser les riches, le sage dit « J’ai observé que le labeur [de l’homme] et tous ses efforts pour réussir ont pour mobile la jalousie qu’il nourrit contre son prochain » (Kohelet 4; 4). Dans ce cas, quel est le secret de Acher, et comment est-il épargné de la jalousie de ses frères ?

Il est également intéressant de s’arrêter sur la formulation spécifique de la brakha de Yaacov à Acher – en effet, elle est la seule à présenter la lettre « מ » devant le nom Acher. Toutes les autres brakhot débutent aussitôt avec le nom de chaque enfant sans préalable : « Réouven tu es mon aîné, », ou « Yéhouda, tes frères te reconnaîtront etc… » et ainsi de suite. Il n’y a que pour la bénédiction de Acher que cette lettre « מ » a été ajoutée, et pour laquelle tous les commentateurs se sont interrogés sur sa raison d’être. Que fait donc cette lettre précisément à cet endroit ?

Être riche et se faire passer pour pauvre

Pour apporter une réponse à ces questions, rapportons ce que racontent nos sages dans le Talmud (Menahot 85b) à propos d’un homme de la ville de Lodika (Lattaquié) envoyé en mission pour rapporter de l’huile d’Erets Israel en échange de la fabuleuse somme d’un million de pièces. Il se rendit d’abord à Yérouchalayim, d’où on l’envoya dans la ville de Tsor. De là, il fut finalement envoyé à « Gouch Halav » sur le territoire de Acher. Là, les gens de l’endroit lui indiquèrent de se rendre chez untel pour y trouver ce qu’il cherchait. Il trouva cet homme qui travaillait durement dans son champ sous ses oliviers. L’émissaire proposa à notre homme de lui acheter une quantité d’huile pour une fortune. Mais le propriétaire du champ, nullement impressionné, demanda à l’homme de l’attendre jusqu’à ce qu’il ait achevé sa besogne, comme s’il n’était pas intéressé par la proposition alléchante. Une fois qu’il eut terminé le binage, le propriétaire plaça ses outils de travail sur son dos, à la manière des ouvriers de modeste condition, et se mit en route vers sa maison tout en débarrassant les pierres de son champ sur le chemin. Notre émissaire commença à s’étonner et se demander pourquoi on l’avait envoyé vers un homme se comportant comme un indigent… Il se prit même à émettre des doutes sur les possessions de l’homme… se pouvait-il qu’il détienne l’énorme quantité d’huile dont il avait besoin ?!

Lorsqu’ils arrivèrent en ville, le propriétaire du champ se conduisit tout à coup très différemment. Sa servante le devança et l’accueillit avec une bassine d’eau chaude pour qu’il se lave les mains et les pieds. Elle lui apporta ensuite un bassin en or rempli d’huile pour y faire tremper ses mains et ses pieds et ainsi accomplir ce que dit le texte « son pied sera trempé dans l’huile » (Dévarim 33; 24).

Finalement, le messager acheta pour une valeur d’un million d’huile, puis comme il en restait prit encore la quantité correspondant à 180.000 pièces supplémentaires à crédit. Lorsqu’il repartit, il était si lourdement chargé qu’il ne resta ni cheval, ni chameau, ni âne dans tout Israël qu’il n’avait loué pour transporter sa marchandise en retour vers sa ville.

La guémara conclut cette histoire en vertu du verset de Michlei (13; 7) : « Tel fait le riche et n’a rien, tel fait le pauvre et possède une grande fortune » ; ce qui signifie qu’il existe des gens qui se comportent comme des riches alors qu’il leur manque de tout, alors que d’autres se conduisent comme des pauvres et possèdent une véritable fortune.

On peut à partir de cette histoire comprendre plus en profondeur le personnage de Acher, qui s’apparente à ce propriétaire du champ : un homme fortuné mais qui travaille son champ comme un pauvre salarié.

« Donne lui de ce qui lui appartient »

Il nous faut rapporter ici l’interprétation originale du Alchikh Hakadoch, qui vient éclairer les termes de la bénédiction de Yaacov envers Acher. L’ajout de la lettre « מ » au début de la bénédiction nous apprend, selon lui, que la qualité exceptionnelle du territoire d’Acher ne se justifiait pas par la qualité naturelle de son sol, cette terre s’apparentait à n’importe quelle autre terre d’Israel, « terre où coule le lait et le miel » ! C’est le propre mérite d’Acher qui lui attribuait cette richesse particulière.

De quel mérite s’agit-il ? La suite du verset nous l’apprend : « Il pourvoira aux délices des rois » – cela signifie que Acher lui-même consommait uniquement ce qui lui était nécessaire – « son pain » et n’était pas porté vers le faste et le superflu. En revanche, pour les autres, « il procurait les délices des rois » et prélevait à l’intention des pauvres avec un œil bienveillant.

Acher inculqua cette façon d’agir au peuple juif. Car en réalité, les possessions d’un homme ne lui appartiennent pas, c’est pourquoi, il doit donner ce qu’il détient à qui de droit, et lui-même peut se contenter de peu. C’est ce que nous apprend la michna (Avot 3; 7) : « Rabbi Elazar de Bartota dit : donne lui de ce qui lui appartient, car toi et ce qui t’appartient êtes à lui ». Ce Rabbi Elazar n’était pas un simple « beau prédicateur », mais également « un beau réalisateur ». Il est raconté dans le talmud à son sujet (Taanit 24) que lorsque les collecteurs de Tsédaka le voyaient, ils se dérobaient à ses yeux, car il se dépouillait de tout ce qu’il possédait pour le leur donner.

Partager les bon goûts ou Le bon goût de partager

Le Alchikh ajoute une dimension supplémentaire essentielle. Il ne suffit pas de dire que Acher se contentait de peu et se suffisait du goût du pain le plus simple. Les mots du verset « Pour Acher, son pain sera gras », nous révèlent que Acher ressentait véritablement dans le pain le goût d’un met délicieux. Pourquoi ? Parce que « il pourvoira les délices des rois ». Lorsqu’un homme se contente de peu pour lui-même, et qu’il gâte les autres d’un œil bienveillant et de tout cœur, le peu dont il se sustente prend le goût du meilleur. Le mérite du don octroyé à autrui bonifie ce qui reste à la personne.

Acher subvenait aux besoins de ses frères durant la Chémita

Le Targoum Yonathan rapporte une explication intéressante concernant la bénédiction de Moché « il sera bienvenu auprès de ses frères, baignant son pied dans l’huile », car la tribu de Acher est celle qui sustentait ses frères durant l’année de Chemita, c’est pour cette raison qu’elle est apprécié de ses frères. On retrouve là encore la même idée.

Tous ces acres chargés d’oliviers sur le territoire de Acher, toute cette abondance, Acher ne le gardait pas pour « se remplir les poches ». Une fois venue la septième année, il ouvrait grand toutes les barrières et ainsi tout le peuple d’Israel pouvait profiter de l’extraordinaire huile produite par sa terre.

Une question néanmoins, en quoi consiste donc la brakha de Yaacov envers Acher dans ce cas ?

Moché Rabénou ressentit le besoin de souligner la juste appréciation de la fortune ; le fait de donner constitue la braha en soi. Cette aptitude à toujours se trouver du côté du donneur est un présent bien plus important que toute la richesse du monde.

Comment neutraliser la jalousie

Il est désormais facile de comprendre ce qui permettait à Acher de se préserver de la jalousie naturelle qui aurait dû percer chez ses frères. La générosité particulière qui le caractérisait lui fit mériter d’être béni et apprécié de tous ses frères.

De la conduite de Acher, nous apprenons la manière de neutraliser la jalousie, en gratifiant de compliments celui qui est susceptible de jalouser, en trouvant des occasions de lui donner. Ce principe fonctionne également à contrario, le jaloux qui désire extirper la jalousie de son cœur, se fera un devoir de s’investir pour celui qu’il jalouse ; en lui donnant, en l’aidant, en priant pour sa réussite, il mettra ainsi fin à sa jalousie.

Puissions-nous mériter de faire chacun partie des généreux et bienveillants donneurs. Et nous habituer à répéter en nos cœurs ce fameux dicton de Rabbi Moché de Kovrin (Hassidout de Slonim, il y a 150 ans) : « un jour où je ne fais pas de bien à un yéhoudi n’est pas un jour à mes yeux ».

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.