Punir toute la communauté pour le péché d’un seul homme ?!
Lorsque Moché et Aaron apprirent de Dieu son intention de punir sévèrement la congrégation de Korah, leur réaction immédiate, comme le décrit le verset (bamidbar 16 : 22), fut celle d’un profond étonnement et d’un profond questionnement. « ils tombèrent sur leur face et dirent: “Seigneur! Dieu des esprits de toute chair! Quoi, un seul homme aura péché, et tu t’irriterais contre la communauté tout entière! »
Leur réponse reflète une profonde préoccupation morale et éthique concernant le concept de punition collective basée sur les actions de quelques individus. Ce dilemme est approfondi dans le Midrach (vayikra raba 4 :6), où rabbi Chimon ben Yochaï présente une parabole sur des individus dans un bateau, illustrant comment les actions d’un individu peuvent avoir un impact sur l’ensemble de la communauté. Cette analogie met en évidence l’interdépendance et la responsabilité partagée au sein de la nation israélite.
Néanmoins, cette enseignement du midrach qui tire sa source de notre verset, paraît à première vue déroutante car elle plonge dans le dialogue entre Moché et Dieu concernant l’intention de Dieu de punir l’ensemble de la congrégation. Dieu a finalement cédé à l’appel de Moché, modifiant sa conduite, comme le montrent les versets (23 et 24) : « Et l’Éternel parla ainsi à Moïse : Parle à la communauté et lui dis: Ecartez-vous d’autour de la demeure de Kotah, de Datan et d’Avirâm! ». Finalement, l’intercession de Moché s’est avérée efficace, seuls les rebelles étant engloutis par la terre. Alors comment Rabbi Shimon ben Yochaï tire-t-il son enseignement à partir d’une présomption non acceptée ?
Il serait aussi instructif d’approfondir l’essence du dialogue entre Moché et Hachem, ainsi que la signification des mots d’introduction que Moché choisit lorsqu’il s’adresse à Dieu dans son plaidoyer en tant que « Dieu des esprits de toute chair » ?
Malgré le désastre, Moché fut confronté à de nouvelles accusations.
La suite des événements est assez étonnante. Malgré les conséquences désastreuses, le comportement des enfants d’Israel est resté inchangé ; rien ne s’est avéré efficace pour provoquer un changement. Une fois de plus, toute la congrégation a exprimé ses doléances le lendemain, accusant Moché et Aaron d’être responsables de la mort du peuple de Dieu. Il est remarquable qu’en dépit des événements tragiques récents, tels que le châtiment de Datan et d’Aviram et la mort de deux cent cinquante individus à cause de leur rébellion, les bnei israel ont repris leur habitude de se plaindre et de blâmer leurs dirigeants.
Hier, dans un moment de peur et de désespoir, ils ont appelé Moché, implorant : « Notre Seigneur, sauve-nous ! ». Aujourd’hui, cependant, ils accusent Moché et Aaron d’avoir causé la mort du peuple de Dieu. Il serait fascinant de comprendre qu’est-ce qui a provoqué une telle fureur, qui a incité les bnei israel à défier Moché et Aaron, déclenchant un fléau catastrophique qui a coûté la vie à 14 700 personnes ?
Moché reste silencieux et charge Aaron d’utiliser de l’encens
En réponse à cette situation désastreuse, Dieu proposa une fois de plus d’anéantir Israël avec colère, ordonnant à Moché : « Eloignez-vous du milieu de cette communauté, je veux l’anéantir à l’instant ». Étonnamment, cette fois, Moché ne s’est pas directement engagé mais a plutôt envoyé Aaron avec l’encens. Ce changement d’approche de Moché peut signifier un changement de stratégie ou une réflexion plus approfondie sur la manière de faire face aux tensions croissantes au sein de la communauté. Mais finalement, comment expliquer ce changement notable ? Contrairement à avant, Moshe n’exige pas avec assurance « justice » mais assume plutôt un rôle passif en déléguant la tâche à son frère Aaron.
De plus, il convient de noter le changement dans la formulation de l’avertissement de Dieu aux pécheurs de « ‘Hibadelou – écartez-vous de la communauté » à « ‘Hiromou – levez-vous de la communauté », ce qui mérite une exploration plus approfondie.
Une fois séparé du corps, un membre malade cesse de propager la contamination
Pour tenter d’éclairer ce passage, j’ai pensé m’appuyer sur une explication extraordinaire du Baal Ha’akéda (Rav Ytshak ‘Arama, XVème siècle) dans son livre Akeidat Itshak. Il présente une perspective stimulante sur la question perplexe posée par Moché et Aaron : « un seul homme aura péché, et tu t’irriterais contre la communauté tout entière! ». Cette pensée contraste avec des situations similaires dans les récits bibliques, comme l’incident du veau d’or où il est déclaré : « cesse de me solliciter, laisse s’allumer contre eux ma colère et que je les anéantisse » (Exode 32 : 10), même si tous n’étaient pas impliqués dans la transgression. De même, dans le cas du péché d’Akhan, il est déclaré : « Israël a péché » (Josué 7 : 11), ce qui conduit au châtiment de tous, malgré sa faute individuelle. Cela souligne l’interdépendance des Israélites, comparée aux organes d’un même corps. Compte tenu de cela, comment pouvons-nous donner un sens à l’étonnement de Moché et d’Aaron dans le récit de Korah ?
Le rav Yitzhak Arama explique que le péché de Korah le distingue des autres transgressions. L’acte d’auto-séparation de Korah est mis en évidence dans la Torah dès le début du récit : « Et Korah prit », un choix de mots distinctif noté par les commentateurs. Le Onkeloss interprète cela comme une séparation de Korah de la communauté pour semer la discorde. Cette séparation signifie la déconnexion de Korah du collectif, semblable à un membre séparé d’un corps.
Et telle était l’intention de Moché dans sa controverse : « Un individu, dépourvu de tout lien ou sentiment d’unité avec la communauté, semblable à Korah, peut-il réellement influencer les autres ? ».
À partir de là, nous pourrons éclairer le dialogue entre Moché et Dieu, conduisant à une compréhension plus profonde des deux étapes des événements.
Moshe visait à illustrer directement au public l’innocence du public
Dans son premier plaidoyer, Moché cherchait à démontrer que le public général n’était pas activement engagé dans la rébellion. En employant le terme « Dieu des esprits de toute chair », son intention était de faire comprendre que même si les instigateurs ont pu déclencher une inflammation temporaire au sein de la population, les croyances de l’esprit et les valeurs fondamentales du peuple sont restées intactes et non affectées par la rébellion. Moché voulait signifier que même si certains individus de la communauté ont pu être influencés par la rébellion de Korah, ils ne s’étaient pas « séparés » de la communauté pour s’aligner sur la faction de Korah.
En réponse à la question, Hachem a demandé à Moché de faire un test à l’assemblée. Il leur ordonna de s’éloigner physiquement des habitations de Datan et d’Aviram. Essentiellement, il incombait à la congrégation de démontrer sa dissociation totale de ces individus. Cette séparation symbolique était cruciale pour garantir que seuls les coupables soient confrontés aux conséquences de leurs actes, un peu comme retirer les parties malades d’un corps pour préserver le tout.
Cependant, alors que tous les instigateurs disparaissent et que les revendications persistent, Moché se rend compte profondément que les esprits ont effectivement été affectés et changés. Ils ne sont plus simplement influencés par la rhétorique manipulatrice des instigateurs. Au lieu de cela, cela représente le véritable noyau de leur esprit.
La symbolique de l’Encens
En réponse, Moché introduit une nouvelle approche : la symbolique de l’encens. Par ce geste, il vise à démontrer aux gens que même si le doute persiste dans leurs esprits, leurs âmes sont restées pures et résilientes. L’importance de l’encens réside dans le sillage parfumé qu’il laisse derrière lui, reflet des aspects les plus profonds de l’être. C’est pour cette raison que l’autel de l’encens était placé dans les limites sacrées, à l’intérieur du tabernacle, symbolisant le lien entre le physique et le spirituel, et le pouvoir de la force intérieure pour prévaloir face à l’incertitude.
Moché voulait prouver au peuple que cette nouvelle plainte n’était que le fruit d’un sentiment d’humilité et de solennité qui a envahi le peuple. C’est ce qui explique d’ailleurs que cette fois, ce n’était pas seulement une faction de mécréants, mais « toute l’assemblée des enfants d’Israel » qui exprima son mécontentement, déplorant : « Vous avez amené la mort sur le peuple du Seigneur ». Les sombres conséquences du péché de Korah et les décès qui en ont résulté ont jeté un voile sur la communauté, suscitant des murmures de mécontentement. Ce mécontentement, noté par Dieu dans son avertissement de « levez-vous de cette congrégation », a été exprimé en contraste frappant avec le terme « écartez-vous » utilisé auparavant dans la paracha. Il s’agissait essentiellement d’une directive visant à se distancier de la négativité dominante.
Mais cependant, cette plainte alla au-delà du simple mécontentement ; elle incita aussi à un rassemblement comme exprimé dans le verset qui suit (7) : « Or, comme la communauté s’attroupait contre Moché et contre Aaron », évoquant une assemblée séparée du peuple, à l’instar de l’événement historique impliquant Korah. La menace d’anéantissement planait à nouveau sur le peuple.
Comprenant cela, Moché a immédiatement demandé à Aaron d’offrir de l’encens afin de changer l’atmosphère dominante. Afin d’élever les esprits découragés du peuple, Moché a eu l’idée d’utiliser de l’encens. L’encens, symbolisant l’âme est aussi porteur de bonheur et de joie, comme le décrit le Midrash (Tanhouma tétsavé) : « Parmi tous les sacrifices, aucun ne m’est aussi précieux que l’encens… Il n’est pas offert pour l’expiation ou le mal, mais pour la joie. »
Aharon s’élança au milieu de l’assemblée
Mais il semble que l’acte d’offrir de l’encens ait une profondeur supplémentaire, servant potentiellement de correction au péché primaire de Korah et de ses disciples, qui, comme expliqué précédemment, se sont éloignés et séparés de la communauté.
Malgré la perte tragique de ses deux fils alors qu’ils offraient de l’encens, le prêtre Aaron fait preuve d’une détermination sans faille. Lorsque la situation l’exige, il s’engage rapidement auprès de la communauté du Klal Yisrael, démontrant aux générations futures l’essence du véritable leadership : la volonté de se consacrer de manière altruiste pour le bien de la communauté. C’est ce que résume avec éloquence le verset (17 :12) : « Aaron prit l’encensoir, comme l’avait dit Moïse, et s’élança au milieu de l’assemblée ».
Pour conclure
Dans notre société moderne, avec l’omniprésence des plateformes médiatiques qui nous bombardent constamment d’informations majoritairement négatives, il existe une influence subtile mais puissante qui prédispose les individus à porter plainte. Les Français, rompus aux révolutions et adeptes de la contestation et de la dissidence, manifestent une sensibilité particulière à ce phénomène.
Cette forte tendance à se « rassembler » autour des médias, et à interpréter la réalité à travers leur prisme, peut parfois entrainer chez certains de perdre espoir en l’humanité et se couper des couches populaires. La nature même des reportages tend à mettre en lumière les problèmes, les crises et les injustices, éclipsant ainsi les innombrables événements positifs et édifiants qui se produisent quotidiennement. Il est donc important de s’inspirer de l’exemple de Moché. Même dans les périodes les plus sombres et pessimistes, il est crucial de se rappeler de l’encens, de mettre en lumière notre âme, et de reconnaître que nous sommes tous liés par une seule âme.
Une autre leçon cruciale en matière de leadership que nous avons glanée est que le leader exemplaire est quelqu’un qui s’immerge dans la communauté, met de côté les questions personnelles et tisse des liens avec tous les membres du groupe. Cela favorise non seulement l’unité, mais contraste également fortement avec le récit de Korah, où il est raconté qu’« disparurent du milieu de l’assemblé ».