Parachat Chemot – L’exil, le début même de la délivrance

Parachat Chemot – L’exil, le début même de la délivrance

Dans notre Paracha, Hachem se dévoile à Moché au cœur d’un buisson ardent. Il lui ordonne alors de se rendre en Egypte pour dire à Paro de faire sortir les Bnei Israël de l’esclavage. Après quelque insistance de HKBH auprès de Moché, les versets nous disent :

« Moché dit à D-ieu, voici que je vais venir auprès des Bnei Israël et je leur dirai, le D-ieu de vos Pères m’a envoyé vers vous. Et ils me diront, quel est son Nom, que leur dirai-je ? D-ieu dit à Moché « Je serai Celui qui sera ». Il dit, ainsi diras-tu aux Bnei Israël Je serai m’a envoyé vers vous » (3; 13-14).

Le Ramban demande : si les Bnei Israël refusent de croire en Hachem, à quoi cela leur servira-t-il que Moché leur dise Son Nom ? Et de toute façon, qu’apportera de plus le Nom qu’il leur dira ? Par ailleurs, il faut également comprendre quel est le sens de ce Nom « Je serai » ?

Rachi rapporte les propos de nos Sages « Je serai avec eux dans cette détresse comme Je serai avec eux dans la servitude des autres empires ». Pourquoi déjà leur annoncer d’autres malheurs ? Selon nos Sages, c’est justement ce qu’a répliqué Moché rabénou à cette réponse « Maître du monde, comment vais-je leur annoncer d’autres malheurs ? Celui-ci n’est-il pas déjà suffisant ? » Il lui répondit : « Tu as bien parlé, ainsi diras-tu aux Bnei Israël, Je serai etc. » C’est-à-dire que Hachem accepta de raccourcir et de dire aux Bnei Israel uniquement « Je serai », sans faire appel aux autres empires.

Cela appelle une explication. Pour quelle raison Hachem mentionne-t-il les autres empires ? Et quel est donc le sens de cette négociation avec Moché ?

Il semble que l’une des inquiétudes de Moché porte sur le fait que les Bnei Israel ne lui obéissent pas et ne croient pas à sa mission de sauveur du Peuple. Après tant d’années passées sous l’impact de l’impureté de l’Egypte, après tant de souffrances, ils auront déjà oublié Elokim, ou tout au moins, la Promesse Divine de leur délivrance. Ils seront à même de penser que c’est de sa propre initiative que Moché intervient. C’est ce qui fait dire à Moché « comment ferai-je sortir les Bnei Israel de Mitsraïm ? » (3; 11). Le Malbim explique ce questionnement sous cette forme : « comment vais-je réussir à les extraire de l’impureté d’Egypte, alors qu’ils y sont profondément trempés et qu’ils pratiquent l’idolâtrie ? »

Comment Moché Rabénou parviendra-t-il à convaincre le Peuple ? C’est à cette interrogation profonde que Hachem vient répondre en lui précisant le Nom « Je serai ».

Quel en est le sens ?

La servitude, processus vers la délivrance

Le Midrach demande « Pourquoi HKBH s’est-Il révélé dans le buisson ardent en non pas à travers un plus grand arbre ou bien une vision ? Et HKBH de répondre « J’ai écrit dans Ma Thora ‘Je serai avec lui dans la souffrance’ (Téhilim 91), eux sont soumis à l’esclavage, et Moi également Je suis dans un buisson étroit, c’est pourquoi Je te parle depuis un buisson rempli d’épines » (Tanhouma Chémot 14; 2).

Le Midrach nous apprend que le dévoilement de Hachem précisément dans un buisson vient nous enseigner que c’est une erreur de ne voir HKBH qu’à travers le prisme du Libérateur de nos souffrances. Il se trouve déjà avec nous durant l’esclavage, ainsi qu’Il l’a déjà promis à Yaacov avinou (Béréchit 46; 4) « Je descendrai avec toi en Egypte ».

Ceci nous entraîne vers une réflexion plus profonde. L’esclavage est un cheminement vers la délivrance, destiné à soumettre les Bnei Israel à travers « un creuset de fer » et les amener à la condition d’esclaves, pour finalement devenir les serviteurs d’Hachem. La sortie d’Egypte ne commence pas avec les dix plaies, mais elle démarre dès le début de l’esclavage ! Le Maharal nous révèle (Nétsah Israel 1) que la plus grande preuve de la délivrance, c’est l’exil lui-même, et c’est pourquoi la racine des mots « גלות » et « גאולה » sont fondamentalement similaires.

A partir de cela, on pourrait voir la mission de Moché d’un nouveau regard. Il ne s’agit pas d’annoncer simplement aux Bnei Israel leur délivrance, comme quelqu’un qui viendrait délivrer des prisonniers. Une telle déclaration, ils ne l’auraient pas accepté. L’essentiel du message était de leur faire savoir que l’esclavage était voulu par Hachem, et que Celui-ci se trouvait parmi eux, au cœur de Mitsraim. Il n’est pas arrivé soudainement pour les délivrer. Paro est tout autant un émissaire d’Hachem que Moché.

Un tel regard vient changer toute la compréhension du peuple. Jusqu’alors ils s’étaient considérés comme simples prisonniers en terre égyptienne, faisant partie intégrante du peuple égyptien jusqu’à oublier la possibilité d’une délivrance. L’intervention de Moché et son annonce leur fait prendre conscience qu’ils sont déjà dans un processus divin. Tant qu’ils se voyaient comme un peuple endurant mille souffrances et soumis au régime égyptien, ils ne pouvaient rien espérer ni croire à un quelconque sauvetage. En envoyant Moché comme émissaire, HKBH avait pour intention de modifier leur façon de voir les choses. Il les invitait à réaliser que toutes ces années d’esclavage avaient une dimension divine. Hachem était Lui-même associé à cette servitude, et était donc « obligé » d’en conduire la délivrance. Cette approche avait pour finalité de les amener à se représenter la délivrance non pas seulement comme une libération mais comme un rachat.

L’homme, associé dans le dévoilement Divin

C’est toute la profondeur du Nom ‘Je serai’, employé au futur. L’intention est que la présence de Dieu en ce monde se dévoilera dans le futur. Pour nous enseigner qu’au moment où Hachem parle à Moché, Il se trouve en quelque sorte Lui-même en exil (comme l’exprime le Zohar Hakadoch), et Son Nom se dévoilera et grandira en même temps que sera délivré Israël. Quant à Israël, c’est lui qui révélera la réalité de Son Nom.

En y regardant de plus près, le mot « galout – exil » a la même étymologie que le mot « guilouy – dévoilement ». De même « Paro » peut s’associer avec le sens de « découvrir » que nous trouvons dans l’expression « par’a ett roch ha-icha – il découvrira la tête de la femme » (Bamidbar 5; 18). Comme pour nous dire que tout le but de la Galout consiste à nous amener à dévoiler le Nom d’Hachem, car le véritable dévoilement ne peut se faire qu’à partir d’un endroit où Sa Face est cachée. C’est précisément à travers la rébellion de Paro contre Hachem qu’il est donné aux Bnei Israel d’arriver à un dévoilement de Dieu. C’est là, le sens même du mot Paro – « dévoiler ».

Le principe du dévoilement existe lorsque c’est l’homme qui révèle le Nom d’Hachem, et donc tout particulièrement lorsqu’il se trouve en galout. C’est l’explication de ce Nom « Je serai Celui qui sera », dont l’intention est de dire que l’homme est associé dans le dévoilement divin. L’étendue du Nom d’Hachem dans le monde dépend de la compréhension de l’homme, et c’est pourquoi elle est au futur.

C’est certainement l’intention de nos sages – dans un autre midrach – qui expliquent ce Nom ainsi « de même que tu es présent avec Moi, Je suis présent avec toi; s’ils ouvrent leurs mains et donnent de la tsédaka, J’ouvrirai également Ma Main ».

On peut également retrouver cette idée dans le commentaire du Rav Ch. R. Hirsh z”l qui explique en des termes précis : « ces mots ‘Je serai Celui qui sera’ brisent les chaînes qui entravent l’homme, l’érigent comme un homme libre et le rendent disponible pour Dieu, afin qu’il construise son avenir comme partenaire avec Lui ».

Nous comprenons dès lors pourquoi les autres empires sont mentionnés sous ce nom (selon Rachi), C’est pour préciser que cette servitude est une partie du processus voulu par D-ieu pour l’édification de la nation Juive. En conséquence, la sortie d’Egypte ne constitue pas seulement une libération, mais elle est la continuation de ce processus de transformation des Bnei Israel en serviteurs d’Hachem. Une fois que cette servitude d’Egypte constitue une part dans l’édification du Peuple juif, s’y incluent également tous les exils futurs, également nécessaires à notre Peuple. C’est sur ce point précis que Moché a réagi en disant de réserver chaque épreuve en son temps. Sur quoi Hachem lui a répondu : ‘tu as bien parlé, car il ne faut pas forcément parler de cet aspect, bien qu’il n’en soit pas moins réel’.

Il est possible de déceler cette idée dans un autre Midrach qui interprète au nom de Rabbi Ytshak ce Nom ‘Je serai Celui qui sera’ ainsi : « J’étais, et maintenant Je suis, et Je serai dans le futur ». Le Ramban explique que puisque le passé et le futur font partie du présent pour Hachem, c’est pourquoi le même Nom est employé pour tous les temps. L’intention du Ramban est de préciser que le changement au niveau du temps ne concerne que les créatures, ce qui n’est pas le cas pour le Créateur, pour qui il n’existe pas de différence. Ainsi pour Lui, la servitude et la délivrance se confondent en une seule et même réalité.

La signification des trois signes

A la lumière de ces éléments, nous pouvons donner un sens nouveau aux trois signes que Hachem dit à Moché de réaliser pour que les Bnei Israel aient foi en lui. 1/ de transformer son bâton en serpent et de le ramener en bâton. 2/ d’atteindre la main de Moché de lèpre et la ramener à parfaitement saine. 3/ de transformer les eaux du Nil en sang.

L’intention était de prouver aux Bnei Israel à travers ces signes le fait que HKBH se trouve déjà avec eux depuis le début de l’esclavage. C’est pourquoi ce bâton se transforme en serpent, puis à nouveau en bâton. Pour nous montrer que l’asservissement et la guéoula sont une et même chose. Pareil pour la main de Moché qui devient lépreuse puis redevient saine, le but est de prouver que tout a une seule et même origine.

Il reste à comprendre pourquoi ne pas s’être contenté d’un seul signe ? Et que représente le troisième signe ?

Il semble qu’il s’agisse de démontrer cette idée aussi bien du côté de Paro et Mitsraim, que du côté des Bnei Israel. Car dans la mesure où l’esclavage est le fait de Hachem, Paro lui aussi devient un acteur dans le projet de Dieu.

Le bâton qui se transforme en serpent représente Paro et Mitsraim, car l’Egypte est symbolisée par le serpent (Yirmyia 46; 23). Ce bâton devenu serpent redevient bâton lorsque Moché l’attrape par la queue. La transformation du bâton en serpent lorsque Moché le jette à terre vient témoigner que Paro et l’Egypte sont également des envoyés de HKBH. Et pour cette raison, lorsque Moché le saisit par la queue, il redevient bâton. Comme pour dire que tout comme l’esclavage est le fait d’Hachem, ainsi viendra la guéoula. Il est erroné de penser que l’esclavage est un phénomène dissocié d’Hachem. En saisissant le serpent par la queue, celui-ci redevient bâton. Cela signifie que servitude et délivrance sont à la fois contenues dans le bâton. Lorsqu’on le jette à terre – lorsqu’on le sépare de HKBH, on obtient l’esclavage d’Egypte, et lorsqu’on le tient – c’est à dire lorsque on se rapproche de Lui, nous sommes délivrés.

Le deuxième signe, celui de la main lépreuse, symbolise les Bnei Israel, car la main est une partie de Moché rabénou qui image les Bnei Israel. Cela vient nous enseigner que bien que les Bnei Israel soint enfoncés dans les 49 degrés d’impureté et trempés dans ce pays de Mitsraim sans possibilité apparente d’en sortir, à l’instar du metsora qui est enfermé sans possibilité de sortir, ils ne sont pas coupés de leur Créateur. Leur situation fait partie du processus du Maître du monde en personne dans le but de les sauver et d’en faire Ses serviteurs. C’est pourquoi, à nouveau, la même main est porteuse de cette image de servitude et de délivrance. Si le signe précédent vient affirmer que Paro et Mitsraim sont associés dans le plan Divin, ce signe là exprime que les Bnei Israel sont également associés dans le projet du Créateur, et que l’esclavage et la guéoula, même si elles nous paraissent comme des situations diamétralement opposées, n’en forment qu’une du point de vue du Créateur.

Quant au troisième signe, la transformation des eaux du Nil en sang, il se différencie des deux premiers. Le bâton est redevenu bâton, la main est redevenue saine, par contre, les eaux du Nil sont restées sang sur la terre sèche ! Cela vient affirmer que s’il est vrai que l’esclavage provient d’Hachem en tant que processus dans l’édification du Peuple juif, et c’est également un fait que la guéoula provient forcément de là, il en va différemment de Paro et de la culture égyptienne, qui au-delà de leur rôle dans cette histoire, représentent la perversion de ce monde. Tant qu’ils existeront, la guéoula ne peut être totale ! A travers ce signe, Hachem témoigne que de même que le Nil se transforme en sang, ainsi l’impureté de Mitsraim disparaîtra complètement.

En résumé, le serpent représente l’esclavage de la part de l’Egypte. C’est pourquoi, il provient du bâton qui redevient bâton. La main lépreuse symbolise l’esclavage du point de vue des Bnei Israel, c’est pourquoi la main redevient aussitôt saine et est guérie. Le Nil qui représente l’impureté de Mitsraim par elle-même, qui en soi est une chose mauvaise et a pour finalité de disparaître.

Message

Chacun dans sa vie personnelle est confronté à tous genres de problèmes, de dilemmes, de conflits, de difficultés à traverser. La confrontation entre l’homme et ces difficultés nous semble être le parfait fruit du hasard ! Mais cette approche des choses rend difficile la « sortie du tunnel ».

Si l’homme prend le temps de réfléchir pour comprendre que ces problèmes en question sont envoyés par Hachem, s’il ne se fourvoie pas en les attribuant au hasard, s’il réalise qu’ils font partie du parcours de sa vie comme homme, il lui sera plus facile de les affronter et de s’y mesurer pour en sortir grandi. S’il attribue à ces difficultés le qualificatif d’« épreuves », s’il en comprend les intentions, il lui sera plus facile de sortir victorieux dans cette lutte.

En réalité l’homme ne croise pas des « difficultés », mais des « défis ». En parvenant à comprendre que ces problèmes nous sont envoyés par notre Créateur, et que Hachem s’associe à nous dans cette détresse comme il est écrit « dans toutes leurs souffrances, Il souffre », nous pourrons également façonner notre « sortie d’Egypte » personnelle et sortir avec de grandes richesses.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.