Vayé’hi – Enterrée sur le bord d’une route isolée ! Justifiable ?

Vayé’hi – Enterrée sur le bord d’une route isolée ! Justifiable ?

Pourquoi Yaakov mentionne l’enterrement de Rahel avant sa mort ?

Au début de la Paracha, Yaacov fait prêter serment à Yossef de l’enterrer dans le caveau de ses pères, la Mé’arat Hamakhpéla. Aussitôt après, la Thora relate que Yossef vient avec ses deux fils pour se séparer de son père Yaacov, malade. Au cours de cette entrevue, Yaacov fait savoir à Yossef que ses fils Ephraïm et Ménaché seront dénombrés parmi les Chevatim :

« Désormais, tes deux fils qui te sont nés dans le pays d’Egypte, jusqu’à ce que je vienne à toi en Egypte, sont miens : Ephraïm et Ménaché, comme Réouven et Chimon seront pour moi » (48; 3)

Aussitôt après, Yaacov parle du décès de Rahel et de son lieu de sépulture :

« Quant à moi, lorsque je suis venu de Padan, Rahel est morte près de moi, dans le pays de Canaan, sur la route d’Efrath, c’est Bethléhem »

Une question s’impose : pour quelle raison Yaacov mentionne-t-il la mort de Rahel en chemin à cet instant précis ?

Yaakov s’excuse auprès de son fils, souverain d’Egypte !?

Rachi explique que Yaacov se justifie ici et s’excuse auprès de Yossef, au moment où il lui demande de l’enterrer en Terre d’Israel, alors que sa mère Rahel fut enterrée sur la route et non pas dans le caveau familial.

Rachi rapporte les paroles du Midrach qui invoque la raison suivante: c’est sur Ordre Divin que j’ai enterré Rahel sur la route, afin qu’elle pleure pour ses enfants au moment où ils partiront en exil. HKBH lui promettra alors que ses enfants reviendront en leurs frontières. Le Midrach explique la raison pour laquelle HKBH agrée précisément la Téfila de Rahel, tandis qu’Il ne répond pas aux requêtes des Patriarches et Matriarches du Peuple Juif ?! L’explication tient dans le fait que Rahel a transmis les signes de reconnaissance entre elle et Yaacov à sa sœur Léa. Pour cet acte valeureux, Am Israel méritera de revenir sur sa terre.

Malgré tout, ce n’est pas là l’explication du sens littéral de l’Écriture. Si ce passouk vient en tant qu’excuse de Yaacov, il aurait dû être signifié dès le début de la Paracha, au moment de la rencontre de Yaacov avec Yossef au sujet du lieu de sa sépulture. C’est là qu’il convenait que Yaacov justifie son action concernant l’enterrement de Rahel, et non pas lors de leur deuxième rencontre, lorsque Yossef vient accompagné de ses deux fils et que Yaacov leur accorde alors deux parts de territoires dans le pays.

De fait, l’ordre des psoukim n’est pas non plus très clair et ne s’explique pas, car au cœur de la brakha des enfants de Yossef, lorsque Yaacob bénit Ephraïm et Ménaché, il s’interrompt pour évoquer le sujet de la sépulture de Rahel.

Plus encore : si Yaacov perçoit une rancœur de Yossef de n’avoir pas enterré sa mère dans la Mé’arat Hamakhpéla mais sur la route, pourquoi donc attend-il jusqu’à ce jour pour s’expliquer ? Depuis la mort de Rahel jusqu’à la vente de Yossef, dix années sont passées, et depuis l’arrivée de Yaacov avinou en Egypte jusqu’à ce jour, dix-sept années se sont écoulées. Pourquoi ne pas avoir consolé Yossef durant tout ce temps ?

Il semble donc que l’intention de Yaacov ne soit pas d’apaiser Yossef. Un fils n’a pas à tenir rigueur à son père lorsqu’il ne comprend pas le motif de ses actes, a fortiori vis-à-vis d’un père comme Yaacov avinou qui, à n’en point douter, avait de très bonnes raisons d’agir ainsi. Il existe parfois des raisons cachées que l’on ne désire pas dévoiler, et c’est pourquoi Yaacov n’avait rien dit à ce sujet.

En fait, la raison pour laquelle Yaacov mentionne la chose aujourd’hui vient comme explication à sa décision de reconnaître ses deux petits-fils – Menaché et Ephraïm – comme ses fils. C’est une décision sans précédent, par laquelle il rassure aussi Yossef, dont l’esprit n’aurait pas été tranquille d’imaginer que sa mère ne soit enterrée comme il convient. Nous l’expliquons comme suit :

Le droit d’aînesse repris à Réouven pour être donné à Yossef

Le mérite de l’aînesse attribué à Yossef fait suite au fait qu’il a été retiré à Réouven, comme expliqué à l’occasion des remontrances de Yaacov dans notre Paracha. Réouven était habilité à la Kéhouna et à la royauté « la préférence en dignité et la préférence en force », mais a perdu ses prérogatives par la suite, référence faite à son comportement « Impétueux comme l’eau, tu n’auras pas la prééminence » (49; 4). Rachi précise : « tu t’es hâté de montrer ta colère, comme les eaux qui se hâtent dans leur course… c’est pourquoi tu n’auras pas la primauté, tu ne pourras jouir de ces avantages qui t’étaient destinés ».

Ajoutons à cela au nom du Malbim et des mékoubalim, que Ménaché et Ephraïm devaient être engendrés par Yaacov cette nuit où Réouven est venu perturber la couche de son père. C’est en raison de cette intervention déplacée qu’ils ne sont pas nés. Car dès l’instant où Hachem a dit à Yaacov « Multiplie-toi et fructifie » (35;11), Rahel était déjà enceinte de Binyamin, et Hachem lui avait promis qu’il engendrerait encore deux descendants. Yaacov pensa que Rahel enfanterait encore deux fils. Lorsqu’elle mourut, il s’installa dans la tente de Bilha, servante de Rahel, pour que l’enfant soit considéré comme venant d’elle. C’est à ce moment-là que Réouven est intervenu, déplaçant la couche de Yaacov installée dans la tente de Bilha, pour la placer dans la tente de Léa. La Thora considère cet acte comme s’il avait partagé la couche de l’épouse de son père.

Le prix d’un silence

Lorsque Yaacov s’apprête à bénir Ephraïm et Ménaché en disant « vous serez pour moi comme Chimon et Lévi », il se tourne vers Yossef et lui fait cette allusion: même s’il peut te sembler que ta mère Rahel a perdu sa place dans la Mé’arat Hamakhpéla en faisant entrer Léa dans la maison de Yaacov, qui sera elle finalement enterrée près de son mari… il ne faut pas voir les choses ainsi ! Je te donne à toi Yossef, son fils, le rang le plus élevé en comptant tes deux fils parmi les Chevatim. Quant à Réouven, qui a voulu laver le prétendu outrage fait à sa mère, il en a perdu son droit d’aînesse. Le mérite de ta mère, qui a renoncé au privilège d’être enterrée près de Yaacov en faveur des générations futures qui connaîtront l’exil, te fait mériter la békhora, et par toi s’accomplira la bénédiction d’Hachem « Je te ferai une assemblée de peuples ».

Mais essayons d’aller plus loin.

Qui est la véritable mère ?

Face à l’étonnement de Yossef : « comment se fait-il que ma mère, tant aimée de mon père, ne soit pas enterrée avec lui comme si elle n’était pas sa femme principale ». Yaacov lui répond qu’au contraire, à travers son renoncement, elle révèle qu’elle est justement la véritable mère.

Le trait qui caractérise une mère est le dévouement sans limite pour ses enfants. Yaacov explique à son fils qu’il ne s’agit pas ici d’un sacrifice de Rahel dans l’intérêt de ses fils, mais au contraire, tel était son désir profond et sincère de ne jamais quitter ses enfants. Sa volonté était de rester en dehors, au milieu de la route, là où se trouveront ses enfants dans les moments difficiles. C’est là qu’elle attendra même pendant des milliers d’années jusqu’à ce qu’ils reviennent. De cette façon, elle est devenue la « mère » du peuple d’Israël, et le droit d’aînesse lui est revenu en choisissant ses deux petits-enfants comme faisant partie des tribus d’Israël.

Depuis sa tombe isolée, Rahel implore pour le peuple en exil : « de grâce Hachem, souviens-Toi de moi et de ma descendance, du dur renoncement et de ma douleur en faveur de l’honneur de ma sœur… », Et HKBH répond à Rahel « Retiens ta voix de pleurer, et sèche les larmes de tes yeux, car il est une récompense à ton action, tes enfants reviendront à leurs frontières… » (Yirmiyahu 31;16).

La force de pardon de Yossef

Cet axe de pardon et de renoncement, Yossef le perpétue en faveur de l’intégrité de la nation. Aucune description n’est à la hauteur de décrire l’ampleur de la douleur dans laquelle fut plongé Yossef au cours de ses tribulations lorsqu’il fut rejeté par ses frères. A tel point que la Thora nous relate la crainte des frères de Yossef après la mort de leur père Yaacov, et pour cause : « Les frères de Yossef prirent peur et dirent – peut-être Yossef va-t-il nous haïr et va-t-il nous rendre tout le mal que nous lui avons fait ». Mais Yossef ne se venge pas, il les console même : « Yossef leur dit… ne craignez rien… Il les consola et parla à leur cœur ».

Yossef et sa mère méritèrent une récompense pour l’éternité, et gagnèrent deux tribus au nom desquels chaque père bénit son fils « Elokim te place comme Ephraim et Ménaché », ainsi que l’a formulé Yaacov « Par toi sera béni Israel ». Et lorsque nous dédions cette bénédiction à nos enfants, nous essayons de transmettre en même temps le contenu de son message : on ne perd jamais à céder. Il est clair que le salaire d’une vie d’éternité est une contrepartie qui compense largement cet effort !

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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