Parachat Balak – Défauts ou qualités ? Question de regard !

Parachat Balak – Défauts ou qualités ? Question de regard !

L’une des choses qui nous interpelle au plus haut point dans notre paracha, c’est cette Volonté d’Hachem d’empêcher Bil’am de maudire Israël et de l’obliger en contrepartie, de bénir le Peuple Juif.

En réalité, quel sens peut bien avoir la moindre malédiction si elle s’oppose à la Volonté du Maître du monde ? Le passouk dans Téhilim (109) n’affirme-t-il pas : « Ils maudiront et Toi Hachem, Tu béniras » ?

Le Even Ezra (22,9) apporte une raison en disant que Hachem savait ce qui allait se passer relativement au culte voué au Baal Péor aussitôt après. Et si Bil’am avait maudit Israël comme il projetait de le faire, le monde entier aurait dit que la malédiction de ce dernier s’était effectivement réalisée à travers l’épidémie qui a sévi à la suite.

Néanmoins, on peut également argumenter en disant que de même que Hachem a donné la parole à l’ânesse de Bil’am, n’aurait-Il pas pu pareillement retirer à Bil’am cette fonction ? Tout particulièrement lorsque l’on sait ce que disent nos Sages (Tanhouma 6) au sujet des Paroles de Hachem à Bil’am « ils n’ont aucun besoin de tes brakhot car ce peuple est béni, tel l’adage au sujet de la guêpe: ni de ton miel ni de ta piqûre ».

Ce qui semble pour le moins surprenant, c’est qu’une fois que l’on sait que ce peuple ne nécessite pas d’être béni, pourquoi Hachem fit-Il en sorte que Bil’am en vienne finalement à débiter des brakhot ? De plus, si le Klal Israël avait besoin de ces brakhot, n’eut-il pas été préférable qu’elles soient prononcées par Moché rabénou ?

Plus étrange encore est ce que rapporte le Yalkout, qui énonce que « La brakha que Bil’am exprima envers Israel a plus de poids que celle dite par Yaacov aux Chévatim et que celles énoncées par Moché rabénou. » Comment est-ce possible ?

Enfin, tel que s’interroge le Kli Yakar, il y a lieu de chercher également à comprendre le sens du passouk dans le Séfer Dévarim (23 ;6) « Hachem ne désira pas entendre Bilam, Hachem ton D ieu transforma la malédiction en bénédiction car Il t’aime etc… ». En vertu du simple bon sens, comment est-il possible d’admettre que la malédiction se transforme en bénédiction ?

La Haine des Nations est une bénédiction pour Israël

Suite à ces différentes interrogations, semble pointer une idée nouvelle. En réalité Hachem n’a pas modifié les paroles que Bil’am s’apprêtait à dire, en faveur de brakhot, mais c’est la nature de ces malédictions qui constitue par elle-même, la plus grande bénédiction qui soit pour Israël. Cela revient à dire que la haine féroce qui brûle en Bil’am à l’encontre du Peuple Juif est un gage d’éternité d’Israël. Et c’est justement ce qui explique que tout au long de l’Histoire, lorsque les juifs voulurent se décharger de leurs racines et s’assimiler aux goyim, ces derniers les refoulèrent et marquèrent notre différence à travers massacres et pogroms. Une maxime bien connue résume joliment cette idée : « lorsqu’un juif renonce à faire kiddouch, le goy lui fait la havdala ! », sous entendu que cette distance peut s’établir par le haut (sanctification) comme par le bas (persécution). C’est là, le meilleur remède spirituel du Peuple Juif pour se préserver de l’assimilation. Ce phénomène commença à s’exprimer en même temps que le propos de Bilam qui fut le plus grand antisémite qui soit, au point de vouloir éradiquer Israël du monde ח”ו. Mais paradoxalement, cette haine éternelle sans retenue, est la source de la brakha d’Israël.

En réalité, la haine des nations envers le Peuple juif fait partie inhérente du judaïsme. La plupart de nos fêtes dans la ronde de l’année sont fondées sur nos délivrances et nos victoires face à nos ennemis. A Pessah nous avons été sauvés du joug cruel des égyptiens. A Hanoucca, nous avons remporté la victoire sur les grecs. A Pourim, nous avons, une fois de plus, été sauvés du complot de Haman et Ahachvéroch. Les quatre empires viennent en contre partie des quatre coins du monde ainsi que l’explique le Maharal, ils viennent placer Israel comme centre de la Terre. Le salut du Peuple Juif, toute son existence et sa pérennité tiennent au fait qu’il soit solitaire face aux reste des nations, comme une brebis au milieu de 70 loups. Le fait qu’Israël soit combattu par les nations et les puissances mondiales lui permet de préserver sa spécificité et sa grandeur.

J’ai entendu au nom du rav Léon Ashkénazi zl, que ce n’est pas pour rien que les deux mouvements qui composent notre judaïsme, à savoir les séfaradim et les ashkénazim, doivent leurs noms aux pays les plus antisémites qu’il y eut dans les derniers siècles. Cela signifie que la haine de ces peuples à notre égard a un role dans le façonnement de notre peuple, et engendra de tout temps un affermissement de notre identité juive.

C’est ce qui permet de dire que la parole de Bil’am contenait en elle deux facettes : du point de vue de Bil’am, il s’agissait de propos de malédiction et de haine. En revanche, ils étaient perçus par Israël comme des brakhot. C’est cette profonde détestation de Bil’am vis-à-vis d’Israel qui résonna à nos oreilles sous l’expression de cette brakha : « הן עם לבדד ישכון ובגוים לא יתחשב –c’est un peuple qui réside solitaire et qui ne se singularise pas auprès des goyim. »

Il semble que ce soit là, le réel enjeu du conflit entre Bil’am et son ânesse. Bil’am et l’ânesse représentent tous deux les nations du monde. Alors que Bil’am représente le regard des goyim vis-à-vis d’Israel, l’ânesse symbolise la relation réelle entre les Nations et le Peuple Juif. C’est pourquoi, à chaque occasion où l’ânesse a fait mine de vouloir poursuivre son chemin, Bil’am s’y est opposé de manière plus virulente à chaque fois jusqu’à ce qu’elle finisse par s’effondrer. Chaque fois que les nations tentent de se glorifier en prouvant leur haine farouche pour Israël, elles finissent toujours par chuter tandis que le Klal Israël en retire plus de force, comme en a toujours témoigné l’Histoire.

Qualités ou défauts ? Tout dépend du regard !

Il est possible de tirer de cela un nouveau principe de vie, d’après ce que nous enseigne Rabbi Yohanan dans Sanhédrin (105b) : « On peut comprendre les intentions du cœur de Bilam à travers les brakhot qu’il exprima à notre intention ». Ceci signifie que bénédictions ou malédictions intéressaient exactement des sujets identiques.

On peut expliquer ce propos d’après la michna dans Avot (5 ;19) où il est exprimé que Bil’am se distingue par son mauvais œil, contrairement à Avraham qui s’en différencie par son bon œil. Avoir un mauvais œil c’est avoir une vision négative d’autrui. Il serait une erreur de penser que cela consiste à ne voir que les défauts de l’autre, en réalité il s’agit plutôt de tout voir sous un prisme négatif.

Cela revient à dire qu’il n’existe pas de réel défaut ou qualité chez l’homme, tout dépend du regard qu’on y porte. Chaque trait de caractère peut être interprété en bien ou en mal, en fonction de la bienveillance ou de la malveillance de l’observateur. Il n’existe pas de personne qui soit uniquement affublée de bons, ou mauvais traits de caractère.

Un homme par exemple peut être par nature quelque peu coléreux et nerveux, mais à côté de cela, il sera généralement ordonné et énergique. Et à l’inverse, une personne paresseuse et nonchalante, aura tendance à être calme et agréable. Chaque mida présente des aspects positifs et négatifs. La question est de savoir sur quel aspect nous mettons le focus.

Il nous appartient d’appréhender une personne selon une vision globale en faisant fi des détails. Lorsqu’on repère quelque chose qui nous semble être un défaut, si on le perçoit dans son ensemble, il pourra alors apparaitre comme une qualité.

Dans les téfilot des Yamim Noraim, on demande à Hachem : « notre Père, notre Roi inscris- nous dans le Livre des mérites ». Le Hafets Haïm s’interroge à ce sujet en ces termes : si nous sommes vraiment dotés de mérites pour quelle raison faut-il demander cela ? Et si nous n’en avons pas, en quoi cela va nous aider de demander ? »

En réalité, dans chaque action, il est possible de déceler un côté positif ou négatif. Tout dépend du regard qu’on y porte ! La force de la téfila et l’investissement de la personne dans sa prière vont lui permettre d’orienter l’analyse par Hachem, de considérer ses actions comme méritantes ou pas. Tout dépend également de son propre regard envers les autres, et c’est ainsi qu’elle sera jugée. Nos Sages rapportent ce principe fameux: « tout celui qui juge l’autre favorablement méritera d’être jugé de la sorte ».

Pour illustration, l’histoire suivante :

Il arriva que Rabbi Lévi Ytshak de Berditchev se rende avec un groupe d’hommes et qu’ils croisèrent un cocher qui enduisait les roues de sa charrette de goudron pendant qu’il faisait sa téfila. Un des accompagnateurs du groupe releva; « voyez ce juif effronté qui fait sa téfila pendant qu’il s’occupe d’enduire de goudron les roues de sa charrette » ! Le Tsadik répondit à son intention : « Au contraire, ce juif est valeureux, même au moment où il répare sa charrette, il prie ». Nous avons là, un exemple bien vivant de l’interprétation d’une action selon deux optiques diamétralement opposées.

« Nos défauts sont nos qualités vus par nos ennemis »

Bil’am, cet impie, avait un mauvais œil, c’est-à- dire que sa vision à l’égard d’Israël était entièrement négative. Il avait cette capacité de voir le mal en chaque chose.

Deux choses bien distinctes sont exprimées ici : il avait aussi bien un œil, que ce dernier était mauvais. Ce qui signifie qu’il était avant tout capable de percevoir chaque détail, et également de l’interpréter en mal.

Il y a un dicton qui dit que celui qui nous connait le mieux est notre pire ennemi, car un ennemi est toujours focalisé sur celui qu’il déteste et il est en permanence obsédé par l’analyse de son être et ses traits de caractère. De même, les ennemis du Peuple Juif se préoccupèrent toujours de dénicher en nous, des preuves des défauts qu’ils nous attribuent, en vue de nous rabaisser et nous faire passer pour des sous-hommes ou des parasites. Depuis Mitsraim déjà, où il est écrit « les mitsrim nous firent (du) mal », les commentateurs expliquent le sens de ce verset ainsi: « les égyptiens nous firent des gens mauvais », ils voulurent nous faire passer pour des impies et nous affliger d’une mauvaise renommée.

A partir de cet éclairage, nous pouvons approfondir le sens de la transformation des malédictions en brakhot. Car Bil’am, du fait de sa haine féroce et par la force de son œil perçant, était capable de parfaitement pointer les caractéristiques intrinsèques du Klal Israël. Cependant, son mauvais œil les lui fit voir sous l’angle le plus négatif qui soit, au point de n’y percevoir que des défauts. Il pensait pouvoir parvenir de cette manière, à éveiller le courroux de Hachem à l’encontre d’ Israël. Il n’avait pas compris que ces mêmes défauts qu’il avait vus n’étaient en réalité que la preuve de l’étroitesse de son regard. Par contre, la « Vision » du Maître du monde était toute autre. Elle avait ciblé avec précision les qualités du Klal Israël. Ces mêmes détails qui, aux yeux de Bil’am étaient passés pour des défauts, étaient en réalité les plus nobles qualités d’Israël.

C’est là, l’explication de la transformation des malédictions en bénédictions qui en réalité ne furent pas échangées contre d’autres brakhot, car ce sont à partir de ces malédictions qu’émergèrent les bénédictions. Ces fameuses « imperfections » constituaient en réalité les mérites et les vertus d’Israël. Ce n’est qu’une question d’angle de regard, de prisme de vue !

Le regard de Bil’am était perçant et aiguisé, pourtant, il n’a pas compris que l’interprétation de sa vision était sous la totale influence de son œil mauvais.

Il nous appartient de garder en mémoire que l’homme n’est pas constitué uniquement de défauts et de qualités, mais que dans chaque trait de caractère et chaque action il existe une version négative et positive, et c’est nous qui sommes maîtres de décider dans quel sens les orienter.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.