Son paradoxe n’est pas illogique
Cette semaine, nous conclurons la lecture de la Torah par la Parachat Para. Cette Paracha consiste essentiellement à nous enseigner un commandement caricaturant le ‘Hok, ou le décret divin. En effet, l’injonction de la vache rousse et son incinération sera introduite par l’appellation de ‘Houkkat HaTorah. Sa particularité qui lui prévaudra son titre, telle que décrite dans le Talmud (Yoma 14a), consistera en sa capacité de purifier les impurs et de rendre impur les personnes s’occupant de sa combustion (selon l’avis de Rabbi ‘Akiva). Cette contradiction dans l’essence même de ses cendres, défiant notre intellect, serait la raison de son état.
Cependant, nous trouvons chez nos commentateurs une certaine logique dans ses conséquences opposées. La nature elle-même offre de nombreux exemples de ce style, tel le médicament guérissant le malade et empoisonnant les personnes en bonne santé, ou comme le feu qui ramollit le fer et durcit les œufs… (Cf. ‘Hinou’h §397, Seforno et ‘Hizkouni)
De ce fait, Rav Sa’adia Gaon détermina (dans son œuvre Emounot VeDe’ot 3,10) qu’il n’est pas surprenant qu’une chose produise des effets contradictoires, en fonction de la nature du réceptacle. Ainsi, le feu fait fondre le plomb et fait cailler le lait, une alimentation très riche calme l’affamé et perturbe le rassasié, et ainsi de suite. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’une même chose entraîne la pureté et son inverse.
Par ce constat, les Richonim ont fixé qu’un décret n’oblige aucunement un retrait de l’intelligence, seule une compréhension restreinte, se limitant à des concepts habillant la raison profonde et ontologique de l’ordre divin, pourra être intégrée.
Sur le même ordre d’idée, le Rambam écrira : ‘Même si tous les édits de la Torah sont des décrets, il y a lieu d’y méditer, et tout ce qui serait susceptible d’être compris, tâche de lui attribuer une logique.’
Même si le Roi Salomon, sage parmi les hommes, s’exclamera (Kohelet 7,23) : ‘Je voudrais me rendre maître de la sagesse, mais elle se trouve éloignée de moi’, en parlant de cette Mitsvah, malgré tout, le fait qu’elle ne soit qu’éloignée, et non inatteignable, montre que seule son essence restera dissimulée à la conscience humaine, mais non les raisons l’habillant, qui elles, sont à notre portée.
Le sens de l’impureté du mort
A la lumière des paroles de nos Maîtres, nous pouvons, à notre niveau, apporter un éclairage sur cette loi qui semble paradoxale. Pour se faire, il nous faut introduire la notion de l’impureté du Mort, Père de toutes les impuretés.
En effet, cette dernière concerne tout particulièrement notre peuple, les cadavres des autres Nations ne rendent aucunement impur par l’effet de ‘Tente’. Pour expliquer cette différence, le Ba’al Ha’Akeida (Parachat ‘Houkkat) pose comme axiome que toute chose qui se perd, se perd vers son contraire. Ainsi, plus une chose est bonne et parfaite, plus elle se perdra en une chose mauvaise et répugnante.
L’explication semble être la suivante : l’Impureté se trouve être l’extrême opposé de la Sainteté [ainsi que le Talmud – ‘Avoda Zara 22 – statuera que ‘la Pureté amène à la Sainteté’]. Le sens profond de la Sainteté est cette aptitude à être désigné, consacré à une destinée précise, l’Impureté se retrouve donc être l’inverse de la consécration, sans mission clairement établie. Le but ultime et l’aboutissement du corps chez l’Homme juif est cette capacité à se vouer entièrement au Service divin. A sa mort, le corps devient alors incapable de satisfaire ce pourquoi il fut créé. Le statut de ce corps est donc l’opposé de sa fonction originelle. Le corps en soi ne possède aucun rôle personnel, seul sa fusion avec son âme lui donne sa raison d’exister. D’où l’impureté du corps sans vie.
“Purifie les impurs et souille les purs” – pour quelle raison ?
Revenons à notre décret. ‘La Vache Rousse intacte’, quelque part, symbolise le corps, fort et puissant. ‘N’ayant pas encore porté le joug’, quant à lui, exprime l’idée de la matière brute, comme étant un but en soi, sans viser aucune dimension spirituelle. Sa combustion à l’extérieur du campement montre l’annihilation complète de cette substance, contrairement au sacrifice, qui lui est consacré au Divin et porteur de la satisfaction divine. L’aspersion de cette ‘non-matière’ entraînera donc la purification de la personne ayant été en contact (ou plutôt ayant subi l’influence) de la Mort, cette ‘non-direction’… Assimiler le concept que le corps sans âme revient à vivre sans but, et arriver à l’annuler, entraîne la pureté.
Cependant, celui qui utilisera ces cendres pour une autre utilisation que le processus de sanctification se verra lui-même impur ! La raison à cela, selon nos dires, est que l’annulation et la combustion systématique de la matière est contraire à la Volonté divine. Le projet divin s’est vu intégré cette dimension, certes antinomique à la spiritualité, en but de la sublimer. Tel peut être le sens profond de l’ajout à ces cendres de ‘l’Eau Vive’, car la pureté ne surviendra qu’à travers l’annulation de la matière et de sa transformation en une dimension plus éthérée, moins grossière.
D’ailleurs, le peuple juif a mérité cette possibilité de se purifier grâce à l’abnégation et à l’annulation de leur patriarche Avraham qui témoignera sur sa personne qu’il n’était que ‘Poussière et Cendre’. (Cf. Sottah 17a)
S’annuler est certes louable, mais avec comme conséquence une élévation de son essence. Si devenir spirituel méritera la Sainteté, être uniquement immatériel est source d’Impureté…
Un nouveau sens à sa dimension de ‘Houkka (décret)
Avec cet éclairage, il y a lieu de considérer cette loi comme la ‘Houkka par excellence, non pas dû à son paradoxe, mais plutôt par sa capacité à s’adapter à celui qui l’accomplit. Purifier l’impur et souiller le pur, c’est en quelque sorte prendre conscience que l’objet de la Mitsvah, ici les cendres, n’est non pas le but mais seulement le moyen. Réaliser que cette injonction s’inscrit dans un système où l’Homme est mis en exergue, où seule compte son évolution dans sa proximité avec son Créateur. Tout dépend alors de l’Homme, l’objet lui-même est adaptable et même produira une chose et son contraire.
Nous pouvons alors extrapoler aux autres commandements cette notion propre à celle-ci. Sous la plume de nos auteurs, (voir le Guide des Perplexes 3,26 ; le Kouzari et le Ramban sur Deutéronome 26,2) le débat sur notre possibilité à trouver une raison et une logique aux commandements est ouvert. Malgré tout, nous pouvons ajouter que la Vache Rousse nous enseigne que malgré notre capacité à le faire, il ne faut pas perdre de vue que la raison trouvée ne concernera pas l’essence même de la Mitsvah. Elle replacera juste cette dernière dans son contexte, dans la relation entre celui qui l’accomplit et celui qui l’ordonne… L’Homme restera celui qui obligera l’Ordre Divin à avoir un sens, pour lui permettre de s’inscrire dans cette optique, mais en aucun cas la Volonté même de D.ieu pourra être restreinte dans la logique humaine.
Pour conclure, nous paraphraserons les mots du Midrach (Bamidbar Rabba 19) :
« Ce n’est pas le mort qui souille, ni l’eau qui purifie, mais ainsi dit le Saint-béni-soit-il : ‘J’ai statué ce statut, décrété ce décret, tu n’es pas autorisé à le transgresser… Comme il est écrit : ‘Ceci est un statut de la loi…’ »