Ki Tetsé – Elloul, retrouver son « moi » intérieur

Ki Tetsé – Elloul, retrouver son « moi » intérieur

« Elle pleurera son père et sa mère un mois durant »

Cette semaine, notre Paracha parle d’un homme parti en guerre qui fait prisonnière une femme de belle apparence, qu’il lui est permis d’épouser. Mais les choses ne sont pas si simples, et la Thora pose un bémol à une telle démarche : « Tu la conduiras dans ta maison, elle se rasera la tête et se coupera les ongles, elle ôtera son vêtement de captive, elle résidera dans ta maison, et elle pleurera son père et sa mère un mois durant… » (Dévarim 21; 12-13).

Le Zohar Hakadoch explique (et de même le Or Hahaim) que ces versets symbolisent la néchama prisonnière de son enveloppe corporelle. Le fait de retirer son vêtement de captive exprime la téchouva. Les pleurs durant un mois correspondent au mois de Elloul.

Il nous importe de comprendre en quoi ce verset est spécifique au mois de Elloul. Et tâchons d’expliquer plus largement quelle est la nature de ce mois ?

Le mois d’Eloul correspond à la tribu de Gad

Le Arizal écrit que les 12 mois de l’année correspondent aux 12 Chevatim, et que le mois d’Elloul est celui de Gad.

En quoi Gad se distingue-t-il de ses autres frères ?

Le concernant, il est dit dans les Brakhot de Yaacov « Gad sera assailli d’ennemis mais il ripostera à son tour » (Berechit 49; 19). Le Ramban explique que Gad sera en proie à de nombreuses guerres, et que de son côté il frappera l’ennemi en retour. Il les combattra et les poursuivra, et eux reviendront sur leurs pas dans la confusion. Il est prédit à ses membres gloire et victoire contre tous ceux qui les attaqueront. Dans le même sens que la brakha de Moché rabénou à leur intention : « Béni celui qui agrandit Gad, il réside comme un lion » (Devarim 33; 20). Parce que Gad a hérité d’un très vaste territoire au-delà du Jourdain, les troupes de Amon et Moav ses voisins s’en prenaient souvent à lui, réclamant un droit sur sa part. Et lui, sereinement campé comme un lion sur sa proie, ne craignait pas leur nombre ni leur tumulte…

Cela nous apprend que Gad s’est singularisé par sa force et sa bravoure. On pourrait ajouter à partir de la fin du verset (Devarim 33; 20) « …il met en pièces le bras et la tête » – Rachi explique au nom du Midrach que ceux qu’ils tuaient étaient bien reconnaissables : ils tranchaient la tête avec le bras d’un seul coup ! Gad ne se contentait pas de se défendre en maîtrisant l’ennemi, il annihilait les armes de l’adversaire (son bras) en même temps que ce dernier (la tête), tout cela d’une seule frappe. C’est pourquoi il est comparé au lion qui campe ; tous tremblaient devant lui, ainsi qu’il est décrit dans Divrei-Hayamim 1 (12; 9) – les guerriers de Gad avaient une apparence de lion.

Gad ne laisse aucune place ni possibilité d’exister à l’ennemi. Ainsi le Sforno explique que l’origine du mot « Gad » signifie « trancher », « והוא יגוד עקב » a pour sens que l’adversaire n’aura aucune emprise (talon) sur son territoire.

Lorsque les Gadites demandèrent à recevoir une terre à l’Est du Jourdain, Moché posa une condition à cette acceptation : celle de se joindre à leurs frères dans leur conquête. Il s’avère que Gad est le seul à combattre non pas pour sa propre cause mais dans une démarche de conquête, avec pour seul objet d’exterminer l’ennemi. C’est peut-être là le propos de Rachi : toutes ses troupes reviendront à leur héritage sur la rive opposée du Jourdain, par le même chemin et le même sentier qu’ils ont emprunté. Cela indique que la mission a été menée à bien dans sa totalité, et montre également que Gad va et revient dans le seul but d’atteindre son objectif efficacement et intégralement.

En résumé, Gad n’est pas seulement vaillant mais il est intégre – voire même intégriste. Il représente l’antagoniste absolu de l’ennemi. Tant que Gad réside en un endroit, l’ennemi n’y a pas accès. Lorsqu’il part en guerre, il terrasse son adversaire.

Seul Gad est capable d’étendre la Terre d’Israel

Il semble que ce soit la raison profonde pour laquelle dans la Thora, Moché dise « béni celui qui élargit Gad », ce qui signifie – béni soit Gad qui a élargi Erets Israel pour s’être installé sur la rive Est du Jourdain. Cette berakha exprime qu’il est le seul apte à accomplir cette mission, car sa présence sur sa terre est intègre, sans aucune influence de l’ennemi. Il n’est pas inquiété, mais réside comme le lion et tous tremblent à l’idée de se confronter à lui. Il a une affinité parfaite avec la terre.

C’est par sa tutelle que cette terre est considérée comme faisant partie d’Erets Israel, et cela, bien qu’à la base cette terre n’ait aucune kédoucha en soi. Car elle est la part de Gad, l’une des douze tribus d’Israel. La résidence de Gad sur ce sol est ce qui l’a transformé en territoire sacré. Aucune autre tribu aurait pu accomplir cela, si ce n’est par l’intégrité de Gad.

Nous trouvons donc que Gad sait particulièrement préserver son essence et son identité. Il offre une harmonie entre le monde de la pensée intérieure et celui de l’action, tous ses actes étant le fruit de sa pensée ainsi que l’expression de son intériorité. Il frappe son ennemi au bras et à la tête au même moment, car pour lui, ces deux parties sont indissociablement liées entre elles, le bras est l’expression parfaite de la tête.

Eloul : retrouver notre identité profonde

A la lumière de ce propos, le mois de Elloul est comparé au chevet Gad dans le sens où nous devons nous comparer à Gad – connaître et protéger notre identité profonde. De même que Gad est encerclé d’ennemis de toutes parts, ainsi l’être intérieur est enveloppé par son corps matériel et les futilités du monde. Et même s’ils sont inséparables de lui et qu’il vit avec en permanence, au mois de Elloul, nous devons nous transformer en Gad et mettre en pièces l’ennemi ; sortir du règne du corps pour laisser la place à l’intériorité cachée en nous, comme Gad qui protège son identité et ne laisse aucune place à l’ennemi.

Ce n’est pas sans raison que le mazal (signe) du mois de Elloul est la Vierge, car ainsi qu’une vierge est dénuée des influences extérieures, il nous appartient de nous libérer en ce mois de toutes ces emprises pour revenir à nous-mêmes.

Le verset qu’a choisi le Tour en lien avec le Chofar que nous sonnons au mois de Elloul est « Sonnerait-on le chofar et le peuple ne tremblerait pas ? » Quel est le sens de ce tremblement évoqué ? Il semble que la peur aide à établir la séparation entre le corps et l’intériorité. Lorsqu’une personne se trouve face à un lion, elle est assurément transie de peur. La raison profonde à cela est que la volonté de l’homme à ce moment précis est de se retrouver sans corps, quant au corps, il désire se sauver du lieu où il se trouve. En d’autres termes, la peur est l’expression de la séparation entre le corps et l’intériorité qui nous habite.

L’objectif nous concernant au mois de Elloul est de se réveiller et retrouver ce « moi » qui est en chacun de nous. C’est le préliminaire obligatoire aux dix jours de téchouva.

Les Sages disent que le mot Eloul est l’acrostiche de אני לדודי ודודי לי – Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi Avant tout, il convient de se connaître, identifier son « אני – moi », ensuite je peux m’attacher à mon bien aimé et mon bien-aimé s’attacher à moi.

Revenir vers soi même

Pour certains, il est difficile de faire téchouva de peur de devoir changer. Mais la vérité est exactement l’inverse de ce concept, la téchouva ne nous demande pas de changer et nous transformer en une autre personne, mais au contraire, d’éliminer l’impureté pour parvenir à éveiller notre vraie intériorité. De cette manière nous revenons à notre réelle identité et extirpons ainsi le changement qui existe en nous par la force de l’habitude et la routine du quotidien, comme le dit le texte « retirez les vêtements sales qui sont sur vous… » (Zekharia 3; 4)

Ce principe est contenu dans la paracha de la belle captive : « elle enlèvera son vêtement de captivité », cela sous-entend qu’elle efface tout son passé, son idolâtrie. « Elle pleurera son père et sa mère », elle abandonne ses anciens repères, Rachi explique d’ailleurs que son père et sa mère représentent l’idolâtrie. Pour aboutir à un tel résultat, il faut un mois de temps. De même, une fois par an, l’homme doit enlever ses « vêtements souillés… », ses habitudes de toute l’année, pour atteindre son intériorité. Et cela, en pleurant durant un mois, le mois de Elloul.

Faire téchouva consiste à revenir vers Hachem. Mais le seul chemin pour cela, écrit le Maharal, c’est revenir à nous-mêmes. C’est-à-dire revenir au « אני » authentique qui nous habite, et non pas au « אני » imaginaire. La réalité de l’homme et sa valeur ne se mesurent pas par son activité extérieure, et pas non plus d’après son entourage, mais bien par son intériorité enfouie en lui.

L’homme est susceptible de s’égarer et d’oublier qui il est en réalité. Nous avons l’habitude de nous définir en fonction de nos activités courantes, ou par la façon dont la société nous voit, ou encore d’après toutes sortes d’influences extérieures. Lorsqu’on demande à quelqu’un qui il est, en général, la réponse est très superficielle. Parfois elle concerne son métier : « il est médecin », « avocat », « couturier » etc… et parfois la définition est en rapport avec son statut social – « il est riche » ou « il est important », d’autres fois encore, c’est selon des critères physiques comme « il est fort » ou « il est beau ». Il convient de nous rappeler que tout ceci n’est pas ce qui définit véritablement l’homme. Le « אני » qui se trouve en l’homme se situe bien au-delà. Il nous incombe en ce mois de Elloul de nous libérer de notre personnalité imaginaire pour revenir au véritable « moi », à ce que nous sommes vraiment et à ce que nous désirons ardemment être.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.