Yom Kippour – Kol Nidrei, le secret de la Téchouva

Yom Kippour – Kol Nidrei, le secret de la Téchouva

La prière de Kol Nidrei: pourquoi autant d’importance ?

La prière la plus solennelle de l’année est certainement celle du Kol Nidrei (prière d’annulation publique des vœux). C’est sur cette prière que s’ouvre Yom Kippour, jour le plus saint de l’année. Le Kol Nidrei est sans aucun doute, la prière la plus réputée et la plus représentative de l’ensemble de la communauté juive.

כל נדרי – חב"דפדיה

Une question demeure cependant : pourquoi la tradition juive accorde-t-elle autant d’importance et de solennité à cette prière qui semble plutôt « technique » ? Pourquoi inaugurer le rite des prières de ce grand jour par l’annulation des vœux ? De surcroît, il est déjà d’usage de procéder à l’annulation des vœux la veille de Kippour !

L’histoire suivante illustre parfaitement la puissance de cette prière:

Le philosophe germano-juif, Franz Rosenzweig était intimement résolu à se convertir au christianisme. Il s’était déjà mis d’accord avec son cousin Rudolf Ehrenberg, nommé pasteur de longue date, pour être cet ecclésiastique qui le baptiserait et l’accueillerait dans sa nouvelle foi.

Franz Rosenzweig - Wikipedia
Franz Rosenzweig

Mais avant d’abandonner définitivement le judaïsme, Rosenzweig avait décidé de se rendre une dernière fois à la synagogue le jour de Kippour. Ceci, car il tenait à se convertir au christianisme en tant que juif et non comme un athée. Rosenzweig, qui avait déjà révélé à ses parents son projet, désirait néanmoins accompagner ceux-ci pour une «dernière» prière de Yom Kippour, mais sa mère s’y opposa farouchement. Une telle démarche était vécue à ses yeux, comme une honte pour l’ensemble de la communauté. Comment concevoir qu’un juif dont le cœur cherche à abandonner son judaïsme prie à l’unisson avec le tsibour ?!

Face à ce désaveu de sa mère, Rosenzweig se rendit à Berlin où il s’isola toute la journée de Yom Kippour dans une petite synagogue orthodoxe bien différente de celle de Kassel.

Cette expérience unique vécue en ce jour de Kippour parvint finalement à ramener Rosenzweig au judaïsme. Il quitta la synagogue empli en son cœur de la foi de ses ancêtres.

Il fut tout particulièrement transporté par la prière du « Kol Nidrei ». La mélodie émouvante qui pousse l’homme à la téchouva et aux remords pour ses vœux, suscita en lui cette puissante aspiration à rejoindre “le rocher d’où il fut taillé”.

Après Yom Kippour, il écrivit à sa mère : “Je pense avoir trouvé le chemin de la téchouva.” Dès lors, il se renforça dans sa pratique du Judaïsme et finit ses jours comme un juif religieux, observant fidèlement la Thora et les mitsvot.

Comment expliquer l’émotion d’une prière qui ne vient pourtant qu’autoriser des vœux ?

Pourquoi à la place d’expier nos fautes, ne nous contentons pas d’« appuyer sur la touche reset » ?

Yom Kippour est à la fois un jour de Téchouva et de Kappara. La Téchouva a pour connotation le retour vers D-ieu, ce qui se différencie radicalement de la traduction courante par le terme de repentir. Quant à la Kappara, elle signifie expiation, et consiste à effacer les péchés et les iniquités.

Ces deux principes sont deux concepts différents. La Téchouva appartient au futur et n’implique pas forcément la faute – nous savons par ailleurs qu’elle précéda la Création du monde -, alors que la Kappara appartient au passé et à nos fautes. Encore faut-il comprendre ce qui les lie !

קובץ:Weinles On the eve of Yom Kippur.jpg – ויקיפדיה

Pour quelle raison le retour à D ieu est-il nécessairement coordonné à l’effacement des fautes commises ? Pourquoi ne pas nous contenter d’appuyer sur la touche « reset », tout effacer, et réinitialiser notre attachement à D-ieu en faisant abstraction du passé ?

En réalité, la Téchouva contient en elle un fondement mystérieux, comme il ressort du Talmud de Jérusalem (Makot 6; 2) : « on a demandé à la Sagesse quelle est la punition du pécheur, elle a répondu : « le mal poursuit les pécheurs » (Michlei 13; 21). On a posé la même question à la Prophétie, elle a répondu : « que l’âme pécheresse meure » (Yehezkel 18; 4) etc., jusqu’à ce qu’on demande au Saint béni soit-Il, qui répondit : « qu’il fasse Téchouva et il sera ainsi pardonné ».

Quel est donc ce mystère qui se cache derrière la Téchouva ?

Si l’action se détache de son acteur, la parole reste liée à son auteur

Le Ram’hal dans son commentaire Messilat Yécharim (chap. 4) écrit que le fondement de la Téchouva provient du même principe que celui de l’annulation des vœux formulés par la personne.

Il nous appartient avant tout de comprendre le mécanisme qui permet de libérer toute personne des vœux qu’il a prononcé, et quelle est cette « formule magique » qui, en nous conduisant chez le Rav, nous permet finalement ce que nous nous sommes interdit à l’occasion d’un vœu ?!

Avant d’aborder cette notion, il nous faut réfléchir à la différence intrinsèque entre une parole et un acte :

menuisier savoyard - dessin peinture

Prenons comme exemple celui d’un menuisier qui fabrique une table. Bien qu’il soit évident que le menuisier est l’artisan de cette table, et que sans son action, elle n’existerait pas, une fois qu’il en a achevé la confection, elle n’en est pas moins autonome et se dispense complètement de lui. Elle existe finalement par elle-même.

Le Maharal avait déjà écrit dans le même ordre d’idée (introduction à Netsah-Israël): « le bâtisseur ne constitue pas la raison profonde à l’existence d’une maison, il n’a fait que juxtaposer des planches de bois, la maison ne peut tenir que grâce à la terre sur laquelle elle repose ».

Ainsi, nous relevons une parfaite indépendance entre le producteur d’un objet et cet objet lui-même !

Ce principe s’applique à tout ce qui se rapporte au monde de l’action. Par contre, en ce qui concerne la Parole, elle est indubitablement liée à son auteur de tout temps et en toute circonstance. Et cela, même si cette parole a pris fin. C’est ce qui la différencie de l’acte qui est limité et circonscrit.

La Parole est l’expression de l’esprit, elle ne connait ni limites, ni fin. Elle ne se définit pas selon un contexte lié au temps, contrairement à l’action matérielle.

Pour exemple, lorsqu’on évoque un événement qui s’est produit, on utilise forcément une forme d’expression au passé, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on rapporte une parole ou un propos même ancien, où l’on utilise la forme du présent pour l’exprimer. Il est par exemple courant de dire « la Thora dit…, Rachi rapporte… ». Qu’est-ce qui le permet ?

Dans la mesure où la Parole exprime une idée de l’esprit, il n’est pas possible de la limiter dans l’espace-temps. C’est pourquoi la Thora qui est Parole, est infinie et illimitée, et c’est ce qui explique qu’elle se renouvelle à chaque génération. Et tant qu’il existe une oreille pour l’écouter, cette Parole ne connait pas de fin et ne se termine pas ! A cet egard, le Zohar Hakadoch rapporte que Hakadoch Baroukh Hou parle en communion avec celui qui étudie la Thora.

C’est d’ailleurs le sens du chant de notre Paracha Haazinou:

« Et maintenant, écrivez pour vous ce cantique, et enseignez-le aux enfants d’Israël, place-le dans leurs bouches, afin que ce cantique soit pour Moi un témoignage pour les enfants d’Israël… le présent cantique portera témoignage en face de lui, car la bouche de sa postérité ne l’oubliera point» (Dévarim 31; 19)

C’est précisément parce que cette paracha renferme un message d’éternité et témoigne du lien éternel entre Hachem et l’homme, qu’elle a été formulée sous forme d’un chant à placer dans les bouches d’Israël, car la seule garantie d’éternité se trouve dans la Parole.

Le secret de l’annulation des vœux : L’éternité de la parole et son lien permanent à son auteur

A partir de ce préliminaire, il nous est plus facile d’appréhender ce qui permet de délier une personne de son engagement oral, de son néder !

En effet, la parole en question est toujours présente et existe à chaque seconde, et de cette façon elle est reliée en permanence à son auteur. C’est la raison pour laquelle le vœu persiste et conserve à chaque instant toute sa portée. Et c’est précisément ce qui justifie qu’il nous ait été donné la possibilité de nous en libérer en annulant sa raison d’être, qui est l’intention de son auteur.

Par contre, cela ne peut être le cas d’une action déjà commise et achevée. Elle existe en toute indépendance de son auteur, et c’est ce qui explique qu’il ne soit plus possible de la dissoudre.

La Téchouva: Pour Hachem nos actions sont une parole

En vertu de ce principe, nous pouvons comprendre l’ampleur du cadeau qu’Hachem nous prodigue à travers cet aspect inédit et exclusif de la Téchouva ! Il accorde à nos actes le statut de Parole, de sorte qu’ils ne soient plus considérés comme concrétisés car parvenus au statut d’Action. De cette manière, Hachem nous offre cette opportunité extraordinaire et unique, de les ramener à leur début initial pour nous permettre de décider une nouvelle fois de ce que nous allons en faire. Cela peut également donner lieu à l’explication de la formule « Il se souvient de nos actes » en tant que transformation de ces actes du passé pour les reproposer au présent, comme s’ils existaient toujours et étaient encore modifiables.

Il nous est dès lors possible de modifier nos actions passées et leur donner un nouveau sens. On comprend ainsi que la Téchouva et la Kappara soient intrinsèquement liées et ne puissent aller l’une sans l’autre, car l’objet de la Kappara n’est pas d’effacer les fautes comme si elles n’avaient jamais eu lieu, mais de leur accorder un nouveau sens. Pour cela, l’expiation qui est en réalité la « transformation » des fautes, fait partie intégrante de la Téchouva et du retour vers Hachem. Il nous est possible de ramener l’action au présent et de la déterminer différemment. C’est là, le sens de ce que disent nos Sages « celui qui fait Téchouva pour l’Amour du Ciel verra ses fautes intentionnelles transformées en mérites. »

La Téchouva: Créer un meilleur lendemain en améliorant notre passé

Cette faculté est un présent inouï du Maître du monde, car bien que l’acte en lui-même n’ait aucun moyen d’être annulé, il existe ce remède prodigieux qui permet de l’élever au rang de la Parole. Hakadoch Baroukh Hou se souvient et maintient nos actions de sorte que nous puissions par notre propre choix, les changer et les transformer en mérites.

Nous devons donc réaliser que faire Téchouva ne consiste pas en le fait de changer au présent, mais revient à revenir et corriger notre passé ! Ce passé devient ainsi l’instrument de retour vers Hachem. C’est le sens des paroles de Hochéa : « Munissez-vous de paroles et retournez vers Hachem ! »

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.