Korah – Le « noble mensonge » de la doctrine égalitaire

Korah – Le « noble mensonge » de la doctrine égalitaire

En finir avec les inégalités ?

Les différences sociales sont, en soi, une réelle problématique pour l’humanité, et cela depuis les prémices de son existence. En effet, l’être humain semble avoir beaucoup de mal à supporter les disparités. Pourtant, les différences entre les uns et les autres font partie intégrantes des lois de la création contre lesquelles il ne sert à rien de lutter. Ce sont des réalités ! L’un peut naître fort, beau, agile, etc., alors que l‘autre nait faible, vilain et engourdi.

Il y a de cela quelques années, un photographe américain met en évidence à partir d’une série de photographies de drones intitulée « Scènes inégales » les inégalités et la fracture économique au sein des villes. Ces images aériennes de quartiers limitrophes mettent en perspective les démarcations qui fixent les limites entre les quartiers pauvres et riches des principales villes, de Bombay à Mexico. « Je ne savais pas que ça avait l’air si effroyable ! » est la phrase qui revient le plus fréquemment dans la bouche de ceux à qui sont présentées pour la première fois ces photographies.

Finalement, cette lutte contre les discriminations doit-elle nous pousser à viser une égalité absolue à tout prix ? Ou peut-être, cet idéal utopique voire désastreux jouera-t-il un rôle de frein au développement individuel et collectif ?!

La guerre de Korah contre l’inégalité

En cette période d’errance dans le désert, notre paracha relate la première révolte et remise en cause flagrante des dirigeants en place, Moché et Aharon. Cette rébellion fut conduite par Korah, propre cousin de Moché. Le plus extraordinaire tient dans le fait que Korah était une personnalité importante. Il comptait parmi ceux qui portaient le Aron (bamidbar raba 18; 3).

Korah parvint à s’entourer et enrôler autour de lui toute une assemblée d’hommes importants, et dressa une opposition farouche contre Moché rabbénou.

Sur son étendard de révolte, Korah a brandi le principe de l’Égalité : « ils se rassemblèrent contre Moché et contre Aharon, ils leur dirent, c’en est trop de votre part, car toute l’assemblée est sainte et Hachem réside parmi eux. Et pourquoi vous élevez-vous au-dessus de l’Assemblée d’Hachem » (Bamidbar 15; 3).

Korah s’oppose de façon générale à la hiérarchie en place au sein de l’Assemblée d’Israel. Il se dresse contre toutes les « différences de classes » et en particulier contre l’institution de la Kéhouna. Il exige une égalité sans compromis. De son point de vue, tout le monde est saint ! C’est pourquoi, le choix de Aharon en tant que Cohen Gadol au sein de cette assemblée ne se justifie pas – « Pourquoi vous élevez-vous au-dessus de l’Assemblée d’Hachem » ?

Nos Sages ont relevé cette théorie en décrivant les provocations de Korah vis-à-vis de Moché : « Un tallit entièrement bleu aura t’il besoin de tsisit ? Une maison remplie de Sifrei Thora devra-t-elle être équipée de mézouzot ? ».

Ces questions, en réalité, étaient des contestations lancées à des fins manipulatrices et dont la finalité était de remettre en question le leadership de Moché. Elles étaient une illustration de l’absurdité que Korah cherchait à souligner : le peuple n’a aucun besoin de dirigeant dans la mesure où il est en parfaite santé spirituelle.

Datan et Aviram se joignirent également à Korah et opposèrent eux aussi à Moché l’argument de l’égalité. Ils s’irritèrent du fait qu’il dirige le peuple – « […] pour prétendre encore t’ériger en maître sur nous !? » (16; 13). Par leurs propos, ils parvinrent à convaincre un nouveau groupe d’hommes, en insinuant que Moché et Aharon étaient animés d’aspiration au pouvoir. De cette manière, ils voulaient remettre en cause la légitimité de leur direction.

Korah n’avait-t-il pas raison dans ses revendications ?

De façon surprenante, la réaction de la Thora face à cet argument ne vient pas effacer les différences sociales du peuple. Au contraire, la Thora renforce la position de la Kéhouna. Après la sanction de Korah et son assemblée, elle accorde encore davantage de poids au choix de Aharon et de la tribu de Lévi, et ordonne toute une série d’offrandes qu’il appartient à Israel de leur accorder.

Il nous importe de comprendre ce qui rend inapte les propos de Korah et de son assemblée ! En réalité, ce qu’ils affirmèrent était fondé. L’argument de Korah « toute la communauté, tous sont saints » est une thèse parfaitement recevable, juste et idéaliste de surcroît. Hachem avait effectivement invité l’ensemble du peuple à être « un royaume de cohanim et une nation sainte » (Chémot 19; 6).

Korah fut puni pour avoir proféré des mensonges à l’encontre de Moché, comme si Moché s’était posé en dirigeant et s’était attribué la grandeur de sa propre initiative. C’est pourquoi Moché dira avant que la terre n’ouvre sa bouche pour engloutir Korah et son assemblée : « par ceci vous saurez que Hachem m’a envoyé pour faire tous ces actes-là, et que ce n’est pas depuis mon cœur » (28). Cependant, à l’encontre de l’argument essentiel de Korah, il n’y a ici aucune réponse – car finalement, « toute la communauté est sainte » !

De surcroît, cette revendication de Korah relative à l’égalité et l’union de toutes les composantes du peuple va se transformer en symbole de dispute, au point que toute polémique négative au sein du klal Isral ait pour origine la « dispute de korah et de son assemblée » et soit appelée en son nom. Cela appelle à la réflexion.

L’égalité : une valeur qui s’oppose au Juif

En réalité, l’égalité parfaite n’est pas un concept juif. La Thora décrit le monde en tant que création Divine composée de différentes formes et espèces. Elle voit en cela l’expression de la Volonté Divine. La Thora distingue les multiples et différentes pièces de la création pour leur attribuer une place individuelle, de sorte que chacune exprime sa spécificité et la tâche qui lui revient.

Celui qui avance une telle argumentation n’est autre que Moché rabbénou lui-même dans sa réponse à Korah : « Il parla à Korah et à toute sa communauté en disant : Au matin, Hachem fera savoir qui est à Lui » (bamidbar 16; 5) et Rachi rapporte les paroles du midrach : « Au matinMoché lui a dit: Hachem a posé des limites à Son monde ! Prétendez-vous pouvoir inverser le jour et la nuit ? ». De même qu’il n’est pas possible de changer ces règles intangibles, ainsi le Créateur a créé le monde selon différentes classes et il n’est pas possible de s’y dérober.

Les adeptes de l’égalité forcée croient qu’un tel concept aboutit forcément à une réalité plus parfaite. En réalité, l’égalité absolue annule le principe éducatif au profit de l’éthique. Les adeptes du communisme pensaient également que l’humanité pouvait parvenir à l’égalité absolue et parfaite entre les individus. On a bien compris qu’un tel principe s’est auto-désagrégé. Lorsqu’il n’existe pas de spécificité et de différence entre les êtres, il n’y a plus de place pour le choix qui permet à l’homme de sortir de son égo et de se dépasser pour son prochain, car sous un tel angle, il n’a pas de quoi donner. Ce fut-là, la réponse de Moché rabbénou face à l’argumentaire « légitime » de Korah.

Mais toutefois, une autre difficulté s’impose à nous : si telle était la revendication essentielle de Korah, comment a-t-il osé se présenter face à l’épreuve voulue par Hachem pour déterminer qui serait choisi, chose qui vient contredire tout son montage ?

L’« égalité sociale » vient cacher la revendication des droits

Avant de répondre à cette question, concentrons-nous sur les raisons et les motivations de l’action de Korah telles qu’elles apparaissent dans le midrach, hormis la récrimination principale que nous avons mentionnée et qui est exprimée explicitement dans les psoukim : pourquoi existe-t-il des classes et une hiérarchie dans le camp, et pourquoi ne pas fonctionner selon le régime démocratique ?

Le midrach fait apparaître deux revendications supplémentaires de Korah :

La première sur le plan politique – par le fait qu’il se soit senti lésé de ne pas avoir été élu à la fonction convoitée.

La deuxième sous l’aspect économique – il s’est plaint des cadeaux faits aux cohanim et sur le fait qu’Aharon ait tout « raflé » grâce à sa position de cohen.

Il est bien possible que la revendication de Korah en faveur de l’égalité n’était qu’une « couverture » à ses aspirations basses, et une opportunité d’occulter ses désirs secrets sous couvert d’idéalisme. Cependant, il semble qu’il s’agisse de quelque chose de plus profond, et qu’un seul fondement soit à l’origine des trois arguments : la question des droits et des devoirs !

Expliquons-nous : une personne peut aborder le monde avec le sentiment que « tout lui revient », ou bien avec cette conscience d’un devoir envers Hachem.

De même, les querelles concernant les classes et la hiérarchie tournent autour de cette interrogation. Celui qui vit à travers ce sentiment de dû, ne peut comprendre le principe de la différenciation, et ne peut que s’intéresser à celui de l’égalité.

Derrière cette exigence d’égalité se dresse l’idée que le but du monde et son essence se trouve dans l’individualisme de l’homme. Car en effet, si le centre du monde est l’individu, pour quelle raison discriminer un homme au détriment de son prochain ?

Mais si cet individu représente un élément d’un plus grand ensemble, d’un peuple plus grand, d’un monde plus grand, d’une histoire plus grande, il devient clair que chaque classe, comme chaque individu, recèle sa propre tâche. Et tous ces éléments réunis ensemble circonscrivent l’immense création, de même que dans chaque société de construction coexistent des corps de métiers différenciés.

Cette aspiration à l’égalité provient de cette réflexion que l’essentiel dans le monde consiste en ce que l’individu reçoit et non pas en ce qu’il apporte. Celui qui désire l’égalité n’est pas parvenu à comprendre comment des individus différents peuvent ensemble créer un corps au sein duquel il appartient à chacun d’effectuer sa propre tâche. Et c’est de cet ensemble que naîtra la perfection, bien plus grande et plus éternelle qu’une collection de pièces détachées. Il n’a pas saisi qu’un « travailleur » doit aspirer à ce que le travail soit réalisé, et ne pas en permanence être en quête de faveurs.

Hiérarchie et autorité parentale

De nos jours, l’approche de Korah recherchant l’égalité absolue des hommes, a progressé dans le sens négatif, et le sujet des « droits de l’homme » a dépassé les limites de l’éthique et de l’ordre social. L’un des problèmes les plus sévères généré par une telle approche, consiste en la perte de l’autorité parentale à la maison et de celle des enseignants à l’école.

Après tout, tout le monde comprend qu’une famille saine se doit d’être construite sur la base d’une hiérarchie bien définie ainsi qu’une distinction claire entre les privilèges et les obligations des parents et des enfants. L’enfant ne souhaite pas d’un parent comme copain, il a d’autres camarades à cette intention. Il a besoin de son soutien, de la hiérarchie qu’il lui pose, de confiance en lui. Les spécialistes s’accordent tous sur une chose, si nous, parents, nous nous transposons en camarades pour nos enfants, nous contribuons à les perturber et les embrouiller. L’enfant ne peut devenir l’oreille attentive de ses parents, il a plutôt besoin de l’autorité que ces derniers lui montrent. Aux travers de règles et de limites, les parents octroient à l’enfant confiance et protection.

Même analogie pour ce qui est des cohanim qui ont été distingués et séparés du reste du peuple. De par leur nature profonde, ils sont plus aptes au niveau de kédoucha et ils permettent également au Am Israel de relier leurs vies à la kédoucha. Le Peuple Juif désire se dégager de la simple et basse réalité de la vie. Il aspire à une rencontre avec quelque chose de plus élevé. Pour cela, le peuple a besoin de « l’autorité » des cohanim qui, selon un niveau bien précis, sont coupés des réalités de la vie. Cette position leur permet de s’élever eux-mêmes. Au sommet de la pyramide hiérarchique doit être posée un élément compatible avec une réalité plus élevée, à laquelle appartiennent les étages moins élevés faisant aussi partie de cette pyramide.

Korah avait du mal à accepter cette hiérarchie. La société, qui aspire à l’égalité, a également du mal à accepter les différents niveaux qui s’imposent au sein d’un peuple.

Nous devons nous souvenir que la hiérarchie, les différents niveaux dans le Am Israel et dans toute la réalité de la vie, ont pour objectif de tous nous amener à toucher et être compatibles avec un monde plus élevé, plus intérieur et profond – nous orienter vers une vie avec une toute autre réalité.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.