Nous sommes témoins d’une guerre de l’un des pays les plus puissants – la Russie, contre l’Ukraine. L’opinion mondiale est sous le choc et se demande où ce conflit va-t-il bien nous conduire ? Se dirigerait-on vers une troisième guerre mondiale ? Les chefs de gouvernement réfléchissent pour savoir comment réagir, et si finalement il faut vraiment réagir ?
Je propose une réflexion à ce sujet à partir de notre Paracha, qui vient nous faire savoir ce que la Thora attend de nous, juifs croyants.
Pourquoi le fer a-t-il été proscrit de la construction du Michkan ?
Dans cette Paracha, Moché rabénou fait les comptes des métaux du Michkan, de l’or, de l’argent et du cuivre. Cela ne manque d’interroger, car nous savons qu’il existe un autre type de métal, en l’occurrence le fer. Pourquoi a-t-il été proscrit de la construction du Michkan ?
Concernant l’autel des sacrifices, nous relevons des versets explicites à cet égard : « Ne le construis pas en pierres de taille ; car, en levant ton glaive sur elles, tu les as rendues profanes » (Chémot 20; 21). Il est également écrit « Et tu construiras la-bas un mizbéah pour Hachem ton D-ieu, un autel de pierres, tu ne lèveras pas le fer au-dessus » (Dévarim 27; 5-7).
Cependant, le fer n’a pas uniquement été banni du mizbéah, mais bien de tout le Michkan. De même pour la construction du Beith Hamikdach de Chlomo Hamélekh « On n’employa à la construction du temple que des pierres intactes de la carrière; ni marteau, ni hache, ni autre instrument de fer ne fut entendu dans le temple durant sa construction. » (Melakhim I 6; 7). Cela signifie que le roi Chlomo a compris que l’esprit de la Thora n’est pas compatible avec l’utilisation du fer dans tout le Mikdach.
De là, il nous faut comprendre que non seulement il n’existe aucun ustensile du Mikdach qui soit constitué de fer, mais de plus, il est interdit d’utiliser le fer pour tailler les pierres nécessaires à la construction du Temple. Il est raconté dans la guémara (Sota 48; 2) qu’un ver spécifique nommé « chamir » fut miraculeusement utilisé à cet effet.
La raison pour laquelle le fer est interdit est expliquée dans la Méhilta. Rabbi Chimon ben Elazar dit : l’autel des sacrifices a été créé pour prolonger la vie de l’homme ; quant au fer, sa destination est de raccourcir ses années. Il n’est pas envisageable d’employer un élément qui réduit [la vie] pour fabriquer celui qui [la] prolonge. La Mehilta poursuit : que faut-il comprendre dans le fait que le fer soit banni d’entre tous les métaux ? On répond, par le fait que ce soit le métal de l’épée. L’épée représente la punition, et le Mizbéah le lieu de l’expiation. On élimine le symbole de la punition face à celui du pardon.
Mais il n’en demeure pas moins un point à éclaircir. Le Mikdach, par nature, est le lieu où sont rassemblés tous les matériaux de la création pour les transformer et les élever. Comment expliquer que le fer, qui fait également partie des produits de la création, ne puisse pas être justement élevé au-delà de sa fonction destructrice ? N’est-il pas possible de l’élever lui aussi en le consacrant au service du divin ?
Edom comparé au fer
Le Midrach écrit que le fer n’est mentionné ni dans le Michkan, ni dans le Mikdach, car Edom qui a détruit le Beith Hamikdach lui est comparé. Cela vient nous enseigner que dans le futur, HKBH recevra des cadeaux de tous les empires, excepté Edom. Mais quelle est donc la particularité de Edom ? Babel n’a-t-elle pas également détruit le Beith Hamikdach ? Pourquoi est-il donc permis d’utiliser l’or dans ce cas ? La réponse est que Babel a effectivement détruit le Beith Hamikdach, mais n’en a pas déraciné les fondements. De son côté, Edom a arraché les fondements du Beith Hamikdach, ils ont « gratté » jusqu’à la base. Nous ne souhaitons conserver aucun souvenir ni dans le Michkan, ni dans le Mikdach, de ceux qui ont arraché les fondements du Beith Hamikdach ! (Chémot raba Bo 35)
L’intention du Midrach est fondée sur le rêve de Névou’hadnétzar (Daniel 2), qui a vu l’image d’une bête à la tête en or, et dont les mains et la poitrine étaient d’argent, le bassin en airain et les pieds en fer. Daniel a interprété ce rêve comme symbolisant les quatre empires. L’or pour Babel, l’argent pour l’empire Perse, le cuivre pour les Grecs et le fer pour Edom. Puisque Edom détruira le Beith Hamikdach, il ne peut y avoir aucune trace d’eux dans cet endroit sacré. Et cela, bien que Babel ait également détruit le Beith Hamikdach. Question à laquelle le midrach répond par le fait qu’ils n’en ont pas arraché les fondements.
Entre l’empire de Edom et les autres empires
Cette particularité qui distingue le royaume de Edom des autres, permet de comprendre la comparaison que nos Sages font de ces quatre empires avec les quatre animaux qui présentent partiellement des signes de pureté, à savoir : le chameau, le lapin, le lièvre et le porc. Alors que Babel, les Perses et les Grecs sont représentés par des animaux qui ruminent, Edom quant à eux sont comparés au porc qui a le sabot fendu.
Quelle est la différence entre un ruminant et un animal qui a le sabot fendu ? Le Chem Michmouel explique que le fait de ruminer est un signe intérieur, tandis que le sabot fendu est un signe extérieur. Ainsi en va-t-il des quatre empires en question ; Babel, la Perse et la Grèce, intérieurement, peuvent présenter un aspect positif, mais extérieurement, ils sont mauvais. Edom c’est tout l’inverse. Il apparaît bon extérieurement, mais il est souillé à l’intérieur, au point où nos Sages affirment que le porc montre ses pattes et dit hypocritement « voyez que je suis pur ».
L’explication est que les trois premiers empires ont leur philosophie propre. Babel a fixé son gouvernement sur le pouvoir, sans justice intellectuelle ou morale. La Perse et la Médie ont mis l’accent sur les plaisirs et la jouissance. Les Grecs ont pensé que ni le pouvoir, ni les plaisirs ne peuvent constituer un but en soi, c’est pourquoi ils ont vénéré l’esprit et l’intellect. Par contre, le royaume de Edom ne se fonde pas sur une philosophie ni sur une idéologie quelle qu’elle soit, il s’appuie sur le fait que l’individu peut agir à sa guise et faire tout ce qui lui vient à l’esprit sans objectif précis et sans but, ce qu’ils appellent « la liberté ».
C’est en substance la différence que l’on retrouve entre l’or, l’argent, le cuivre et le fer. Alors que l’or, l’argent et même le cuivre détiennent par eux-mêmes une valeur intrinsèque, le fer ne présente aucun objectif par lui-même, il est un simple outil entièrement voué au profit de la création ou de la destruction.
Edom, une antithèse avec le judaïsme
C’est pourquoi, les trois premiers empires ne représentent pas une antithèse avec le judaïsme, mais simplement des idéologies opposées. Si l’on élimine ces idéologies, s’annulent en même temps le pouvoir de ces empires. Ce n’est pas le cas du royaume de Edom, qui n’est pas fondé sur une foi et dont toute la nature s’oppose au judaïsme. Son origine provient de Essav dont le seul désir depuis toujours est de tuer Yaacov, dès lors qu’il a perdu les brakhot. Essav ne vient pas d’une quelconque idéologie, au contraire, il méprise les valeurs comme celle du droit d’aînesse ! La conséquence lui a valu de perdre les brakhot de son père Ytshak. Depuis, la loi veut que Essav haïsse farouchement Yaacov !
Essav reçut néanmoins cette brakha de la bouche de Ytshak « par ton épée tu vivras ». Toute sa nature tient dans son épée. Essav ne possède rien hormis son désir de vengeance et son potentiel de destruction. C’est là l’intention du Midrach en question, qui met en exergue le fait que Edom a arraché également les fondements du Mikdach. Car Edom n’a aucune idéologie alternative comme c’était le cas pour Babel. Toute sa vocation est de détruire Israel. Il détient une force de destruction qui va jusqu’au plus profond, jusqu’aux souches de la construction. Cette brakha « par ton épée tu vivras » trouve précisément son lieu d’expression, car Edom n’a aucune idéologie. La seule chose qui le fait vivre est l’emploi de la force et de la violence.
C’est ce qui justifie cette comparaison de Edom au fer. Le fer ne représente aucune valeur importante en soi. Le fer est également un métal parmi les plus solides. C’est ce qui définit Essav, l’utilisation de la force sans idéologie, dénuée de tout sens. Tout le mérite de son existence ne provient que de sa force.
Parce que la violence exprime le vide, elle répugne à Israel. Ainsi, lorsque Chimon et Lévi, les frères de Dina, utilisèrent l’épée pour tuer les gens de la ville de Schkhem, Yacov éprouva de la colère envers eux : « Chimon et Lévi, vous êtes frères, les instruments de violences sont vos armes ». Vous avez utilisé la pratique de Essav avec vos mains. Comment un Yéhoudi peut-il tenir une épée en mains et s’en aller tuer ? C’est tout l’art de Essav, et n’a rien à voir avec le peuple juif.
Rabénou Béhayé écrit que dans la brakha de Yéhouda on retrouve toutes les lettres de l’alphabet sauf la lettre « zain », car Yéhouda est appelé à devenir roi, et Yaacov avinou lui a dit de ne pas se servir des « klei zain – des armes ». La royauté d’Israel détient une force d’une toute autre nature.
La force nommée « klei zain » n’a pas droit de cité auprès du peuple juif. Le Tachbetz écrit que l’on ne trouve pas la lettre « zain » dans le téhilim qui a pour vocation de protéger la personne des malheurs – « yochev béseter » – car celui qui le dit, est justement protégé des klei zain – des armes de violence. Celles-ci furent données à Essav et n’ont rien à voir avec Israel.
A partir de cela, l’on peut mieux saisir pour quelle raison le fer doit être banni de la construction du Mishkan. Contrairement aux autres matériaux tels l’or, l’argent et le cuivre, il n’a pas de sens en lui-même sinon de représenter la force et la destruction. Cette force exprime en fait le néant, tel que nous le connaissons chez Edom.
Plus le sens des choses est présent et domine, et moins il est nécessaire d’avoir recours à la force. Le Mikdach, qui représente la rencontre entre l’homme et son créateur, n’a aucunement besoin de cette force apportée par le fer. Les matériaux qui ont un sens propre peuvent, eux, trouver leur expression dans le sacré. Le fer au contraire, dont l’objet premier est la force destructrice, est parfaitement inadapté et de trop dans ce contexte sacré.
Message actuel
En cette période de guerre entre la Russie, l’une des nations dominantes en ce monde, et l’Ukraine, nous sommes à nouveau confrontés au fragile équilibre de la paix mondiale. Nous voici de retour aux questions lancinantes – et aux débats – sur l’arme nucléaire : est-il seulement envisageable que tel président décide de l’utiliser, quelle est la hiérarchie entre les pays détenteurs de l’arme atomique, etc. De fait, nous sommes arrivés là au paroxysme du royaume de Edom !
Il faut savoir que cette approche est par excellence celle de « tu vivras par ton glaive » attribuée à Essav. Même s’il s’agit à l’origine d’une bénédiction pour lui, nous concernant ce sont des notions qui sont totalement bannies du Mikdach pour les raisons que nous avons invoquées.
Le peuple juif est doté d’une épée d’une toute autre sorte, que l’on retrouve dans le verset (Berechit 48; 22) « portion conquise sur l’Amorréen à l’aide de mon épée et de mon arc », que le Targoum traduit “par ma prière et mes suppliques”. Notre seule arme réside dans la parole, dans la force de la Tefila. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Beit Hamikdach est appelé “Tal-piot” – le mont vers lequel sont dirigées toutes les bouches.
Gardons à l’esprit que toute punition s’abattant sur le monde est dirigée vers Israel.
Renforçons nos sanctuaires, les Batei Knesset et les Batei Midrach, par la force de la Tefila et de la Torah.
“Ni par la puissance ni par la force, mais bien par mon esprit! dit l’Eternel – Maître des armées” (Zeharia 4; 6)