Le Chant de Myriam ou la face cachée de l’esclavage féminin

Le Chant de Myriam ou la face cachée de l’esclavage féminin

Le Féminisme selon Myriam

Suite au Chant de Moché et des Bnei Israel lors de l’Ouverture de la Mer, le Texte nous relate que :

”Myriam, la prophétesse, sœur d’Aaron, prit en main un tambourin et toutes les femmes la suivirent avec des tambourins et des instruments de danse. Et Miryam répondit : “Chantez l’Éternel, il est souverainement grand ; coursier et cavalier, il les a lancés dans la mer…”

Chemot 15, 21

Le verset ne nous précise pas pour quelle raison Myriam a tenu à organiser un chant spécifique aux femmes et à qui s’adresse-t-elle dans sa réponse. Le seul détail précisé dans le texte est qu’elle est la sœur d’Aaron.

Ne mérite-t-elle pas d’être citée de manière indépendante ? Pourquoi ne pas évoquer qu’elle est la sœur de Moché ?

Il y a lieu également de s’interroger sur sa façon de s’exprimer à l’impératif : “chantez”, laissant croire qu’elle s’exclut ainsi de ce Chant. Aussi, il est curieux que seul ce Chant féminin fût accompagné d’instruments musicaux. (Selon le Gaon de Vilna, il fallait couvrir la voix féminine).

Un détail qui semble insignifiant nous apporte pourtant un éclairage sur notre étonnement : par quel moyen se sont-elles procurées ces tambourins et ces harpes ? Comment ont-elles trouvé le temps de se soucier de ce genre de détail, dans la précipitation de la sortie d’Egypte ?

L’explication qui s’impose tout naturellement est celle avancée par Rashi : certaines femmes avaient une telle confiance en D.ieu qu’elles eurent la présence d’esprit d’anticiper ce grand moment de délivrance, et ce, même en terre égyptienne.

Il semblerait donc que cette terrible période d’esclavage fut ressenti différemment par les femmes.

Alors que les hommes étaient totalement plongés dans leur asservissement, perdant ainsi tout espoir en D.ieu et tout attente de liberté, les femmes, elles, étaient déjà en mesure d’imaginer la Sortie. A aucun moment elles n’ont perdu la foi, malgré l’inimaginable souffrance qu’elles traversaient. Même les terribles décrets de Par’o d’exterminer leur progéniture ne les ont pas conduits au désespoir. Du côté masculin, la notion de liberté n’avait plus d’emprise, sous le poids de la souffrance et de la détresse, comme dit le verset (Chémot 6, 9) “ils ne l’écoutèrent point, ayant l’esprit oppressé par une dure servitude”.

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Nous trouvons dans le Talmud une anecdote qui illustre parfaitement cette distinction. Amram, alors géant de la génération, décida de se séparer de sa femme, suite au décret de Par’o de jeter à l’eau tout garçon nouveau-né. “Tous ces efforts pour rien! ” se plaignait Amram. En voyant que le peuple entier suivait ses traces, Myriam, sa fille, s’exclama avec audace : “Ton action a une influence plus néfaste que la volonté de Par’o, dans ta démarche les filles aussi sont condamnées”. Ses propos touchants réussirent à faire changer d’avis son père, qui rejoignit sa femme immédiatement, imité par le peuple.   

Même dans l’obscurité la plus totale, il était clair pour Myriam que cet exil, aussi terrible soit-il, n’était autre qu’un chemin vers la délivrance. C’est justement elle qui mérita de connaitre par prophétie l’identité du sauveur, qui n’était autre que son propre frère cadet. C’est elle-même qui l’a sauvé de l’eau. La délivrance devait forcement aboutir par l’intermédiaire de Myriam, la salvatrice du futur de notre peuple.

Pendant que le moral des hommes sombrait dans l’esclavage, les femmes avaient une conscience aigüe de la mission qui se trouvait entre leurs mains, celle de garantir notre futur si glorieux. Ce sont elles qui donnèrent naissance au futur peuple et qui prirent soin de l’élever secrètement, sans redouter des immenses dangers qui les guettaient. Les sages relatent qu’elles se préoccupaient même d’aller nourrir leurs maris, et les encourageaient à procréer.

Chanter sur un autre ton

Telle est la différence entre le Chant des Bnei Israël et celui organisé par Myriam. La sortie d’Egypte était pour les hommes un événement inespéré, une transformation impensable. Tant qu’ils n’étaient témoins de la mort des égyptiens, ils ne pouvaient imaginer ce que signifiait le sens de la liberté. Pour cette raison-là, leur Chant sortait du cœur spontanément, remerciant leur Sauveur du plus profond de leur être. C’était un cri exaltant d’un peuple entier ayant goûté d’un seul coup à la délivrance totale, sans être le résultat d’un raisonnement intellectuel. 

Les femmes quant à elles, vivaient déjà dans l’espoir de la libération. Elles considéraient la période d’esclavage comme un premier épisode menant vers la délivrance. Même la noyade des égyptiens était une moins grande surprise pour elles, elles y étaient préparées.

De cette façon-là, nous pouvons imaginer que le Chant de Myriam était déjà prémédité, contrairement à celui des Bnei Israël. Elles avaient prévu les instruments de musique afin de rassembler toutes les femmes autour d’un chant, qui était de tout autre nature que celui de Moché. Si le Chant masculin était focalisé sur le renversement de situation, celui des femmes était porté sur la concrétisation de leur croyance, et peut être même sur la libération des hommes, les femmes étant déjà libre psychologiquement.

A partir de cela, il est possible que la réponse de Myriam s’adressât justement au Chant des hommes. Elle tenait à leur rappeler que cette délivrance ne se réalisa que par le mérite de la foi féminine. Tant que l’homme a perdu espoir, il se prive d’un meilleur futur. La réussite appartient à celui qui est capable de s’y projeter. C’est certainement dans ce sens que les sages affirment :“C’est par le mérite des femmes vertueuses que nous sommes sortis d’Egypte”.

Myriam: la complémentarité de Moché et Aaron

Les sages nous enseignent que lors du passage des Bnei Israël dans le désert, il y avait trois acteurs incontournables au bien-être du peuple : Moché, Aaron et Myriam. Par le mérite de Moché ils furent nourris par la Mannenourriture céleste, par celui de Aaron ils bénéficièrent d’une protection par les nuages célestes. Leur soif quant à elle, était apaisée par le Béer qui provenait du mérite de Myriam.

Dans une dimension plus profonde, il semblerait que ces trois fonctions représentent trois grands axes indispensables dans notre rapport à Dieu. Notre maître Moché qui nous a transmis la Torah est le seul à être capable de faire descendre les valeurs célestes sur terre, qui sont symbolisés par la Manne. Il est lui-même appelé dans le texte, Ich H’aélokim – Homme Divin. L’action de Aaron vient continuer celle de Moché, celle de répandre ces valeurs divines à l’ensemble du peuple. Seul un amoureux de la paix comme Aaron détient cette faculté magnifique de réunir un peuple entier. Si le rôle de Moché s’inscrit dans une dimension verticale, celui de son aîné est plutôt dans l’horizontal.

Quant à la fonction de Myriam, elle est contraire à celle de Moché, elle consiste à sublimer la matière elle-même. Si la Manne provenait du ciel et visait la terre, les eaux du Béer se dressaient vers les cieux. C’est ce pouvoir extraordinaire que possédait Myriam, celui de savoir élever ce qu’il y a de plus concret et de ne pas se laisser enfermer par les limites de la matière comme elle nous l’a prouvé en Egypte. D’ailleurs la racine de son nom MyRiaM signifie aussi “soulever”. Le Maaral de Prague fait également remarquer que son statut de femme n’est pas au hasard, le rôle de la femme est d’incarner la divinité dans la vie journalière, de conjuguer le spirituel et le réel.

C’est peut-être la raison pour laquelle un seul des frères est cité avec Myriam, non pas Moché qui a une action opposée à la sienne, mais bien Aaron qui se trouve au sein du peuple. Alors que Moché est transcendant à la société, Myriam et Aaron sont totalement présents au sein de celle-ci, ils vivent pleinement la réalité du peuple. Si Aaron nous transmet le social, sa sœur nous apprend à être nous-même.  Myriam est la sage-femme de la nation.

Ensembles, ils réunissent les trois dimensions ontologiques : L’homme face à dieu, l’homme envers le monde et l’homme envers lui-même.

En conclusion, nous pouvons affirmer que la Femme est la seule apte à intérioriser le message divin dans une réalité aussi commune que naturelle. Même dans des tâches qui ne semblent que ménagères, dans des corvées domestiques et des obligations familiales, elle possède la capacité de laisser l’Esprit Divin pénétrer son foyer, en trouvant l’équilibre entre des valeurs saintes et la vie quotidienne.  

Espérons que par le mérite de nos femmes vertueuses, qui ont pris sur elles le rôle glorieux d’élever les prochaines générations et de s’occuper du maintien de la maison, nous pourrons très prochainement entonner le Cantique Nouveau, celui qui s’accompagnera de la mélodie entraînante qui sortira de l’enceinte du Troisième Temple…

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.