Ki Tissa – Le « veau d’or », un écran entre l’homme et le Créateur

Ki Tissa – Le « veau d’or », un écran entre l’homme et le Créateur

Il n’est pas rare d’entendre certains dire qu’ils n’ont aucun problème à croire à l’existence d’Hachem, mais par contre ils ne comprennent pas en quoi cela doit les obliger ! Ils s’étonnent et se demandent pour quelle raison ne leur serait-il pas possible de mener leur vie à leur gré en dépit du fait qu’Hachem existe !

Nous allons voir en quoi une telle approche vient trahir l’événement essentiel de notre histoire, le don de la Thora.

Une « Tente d’Assignation » personnelle ?!

La Thora relate (33; 7-11) que suite à la faute du veau d’or, Moché prit sa tente, la fixa en dehors du camp, et l’appela « Tente d’Assignation »: s’y rendait toute personne en quête d’Hachem. Lorsque Moché rabénou sortait en direction de la Tente d’Assignation, on l’observait jusqu’à ce qu’il gagne l’endroit. Et lorsqu’il y était parvenu, une colonne de nuée descendait et parlait à Moché. Tout le peuple le voyait et se prosternait face à lui etc.

La raison de cette conduite de Moché rabénou n’est pas expliquée dans les versets de la Thora. Quel lien existe-t-il entre le fait de placer sa tente à l’extérieur du camp et la faute du veau d’or ?

Le « veau d’or » : servir Dieu au moyen d’un support concret

Le Kouzari comme le Ramban (ainsi que d’autres commentateurs) se sont longuement étendus pour exprimer que la nature de la faute du veau d’or n’émanait pas d’une volonté d’idolâtrie ou de révolte contre Hachem de la part des Bnei Israël, mais bien d’un désir de le servir au moyen d’un support concret. Ceci, alors qu’il leur avait pourtant été interdit de confectionner toute sculpture ou image représentative. Le Kouzari va jusqu’à affirmer qu’entre la confection des Krouvim et la faute du veau d’or, il n’existe que cette différence que l’une émane de l’ordre Divin alors que l’autre n’en provient pas !

Dans ce cas, comment comprendre l’ampleur de cette faute, au point qu’il soit écrit dans la guémara (sanhédrin 102a) qu’il n’est point de punition sur Israel qui n’ait pour origine la faute du veau d’or ?

La foi en Moché, quelle importance ?

Avant Matan Thora, Hachem fit savoir à Moché « Voici, Moi je viens vers toi dans l’épaisseur de la nuée, afin que le peuple écoute quand Je te parle et ils croiront aussi en toi pour toujours » (19; 9). Ce verset nous indique que la foi en Moché rabénou est indissociable du Matan Thora. Ce qui pose question : quelle est donc l’importance de cette émouna en Moché, pour faire ainsi partie intrinsèque de cet évènement du Matan Thora ?

Au sujet du Matan Thora, il est dit dans le verset : « Depuis les cieux Il t’a fait entendre Sa voix pour te corriger ; et sur la terre Il t’a montré Son grand feu » (Devarim 4; 36). Rachi relève que le passouk met ici en exergue deux notions : 1/ Sa Gloire dans le ciel – 2/ Son feu et Sa puissance sur terre.

En effet, le dévoilement de D-ieu lors de Matan Thora nous révéla deux principes essentiels :

1/ La conscience d’Hachem, de Sa Providence et Son unicité, comme il est dit « A toi, il t’a été donné de voir pour reconnaitre que l’Eternel est D-ieu ! Rien n’existe en dehors de Lui ! » (Devarim 4; 35);

2/ Cette connaissance que même un être de chair et de sang est susceptible d’atteindre le niveau de prophétie et se connecter étroitement à Hachem.

Tel est le sens du fait que les Bnei Israel ont également cru en Hachem et en Moché.

Il faut avant tout admettre l’existence d’Hachem dans le monde. Mais cela n’est pas suffisant. La croyance en Moché consiste à impliquer l’homme dans sa foi et à lui faire comprendre que cette croyance en Hachem le concerne et exige de lui de s’y associer !

La « Voix » et le « Feu » au mont Sinaï

C’est ce qui constitue le feu et la voix que nous avons perçu au Sinaï. D’après Rachi, la voix représente Sa Gloire dans les cieux, et le feu Sa Puissance sur terre.

Un son n’est pas perceptible par l’œil, contrairement au feu qui est visible. Le son vient nous faire connaître une présence suprême insaisissable, comme le Kavod d’Hachem. En revanche, le feu qui représente Sa Puissance, constitue le point de jonction entre Hachem et l’Homme. En fait, la Puissance Divine concerne toujours les créatures – il suffit de se référer à la brakha des gévourot (puissance d’hachem) dans laquelle il s’agit de « thyiatt hamétim – la résurrection des morts » et de « rofé holim – guérisseur des malades » etc. Ce feu est une chose qu’Israël a vu de ses propres yeux et que chacun peut voir. Si le son constitue la émouna en Hachem, le feu représente la foi en Moché.

Ceci établi, nous comprenons que la faute dans l’épisode du veau d’or ait résulté d’une erreur d’Israël dans la nature de sa foi en Moché. Non pas que cette faute provienne d’un mépris de Moché, mais plutôt d’une défaillance dans leur croyance en l’attachement de l’homme à son Créateur. Ils pensaient cet attachement impossible sans le biais d’un intermédiaire. C’est ce qui leur fit voir Moché comme un simple représentant qu’il était possible d’échanger contre une figure en or. Ils ne purent également concevoir l’idée qu’il pouvait être encore vivant sans consommer aucune nourriture, ce qui leur fit imaginer qu’il était mort. Ils n’avaient pas intégré l’ampleur de son lien avec Hakadoch Baroukh Hou.

(C’est peut-être ce qui explique pourquoi les femmes n’ont pas participé à la faute du veau d’or, refusant même d’y contribuer en offrant leurs bijoux. En effet, par nature et contrairement aux hommes, les femmes n’éprouvent pas le besoin de s’inventer un émissaire pour se raccorder à Hachem. La sensibilité féminine est apte à tisser un lien spirituel sans artifice.)

La tente de Moché, rencontre entre Hachem et l’homme au quotidien

Il nous est désormais possible d’appréhender plus aisément l’épisode de la tente que Moché a dressé en dehors du camp. En agissant ainsi, Moché voulait prouver au peuple que le Chekhina est apte à se trouver chez l’homme, même s’il s’agit d’un particulier et qu’il se trouve en dehors du camp. Cette façon d’agir permettait au peuple d’assister à la rencontre entre la Chekhina et l’homme dans son quotidien et pas uniquement au cours de moments d’exception. Et comme l’écrit la Thora, Hachem parlait à Moché face à face comme un homme parle à son ami. C’est là tout l’objet de la émouna en Moché, dont la finalité est de nous amener à comprendre que l’Existence d’Hachem s’exprime chez la personne elle-même, et que celle-ci détient cette faculté de se lier à Hachem comme Moché l’a fait.

Intermédiaire : écran ou transition

« Les tables étaient écrites sur leurs deux côtés, de part et d’autre elles étaient écrites » (32; 15)

Ce verset nous indique que les Tables étaient transpercées de part et d’autre, au point que nos sages disent que les lettres « mem » et « samekh » qui y étaient inscrites s’y tenaient par miracle. Il était possible de lire l’écriture en recto verso, de chaque côté.

Rav CH. R. Hirch écrit que si les Tables du Témoignage n’étaient écrites que d’un seul côté, la personne préposée pour lire au peuple les lois qui y sont inscrites, aurait constitué une sorte d’écran pour la foule, tenue de réceptionner les lois de sa bouche. Par contre, dans la mesure où l’écriture était lisible sur chaque face, elle s’en trouvait autant dirigée vers Moché que vers le peuple, et c’est ce qui venait annuler le possible statut de Moché comme intermédiaire, car de cette façon, il se mêlait pleinement au groupe.

De fait, ce n’est pas en vain que la Thora fut donnée par l’intermédiaire du plus humble des humains. Mais afin qu’il ne soit pas permis de penser que Moché puisse constituer une barrière entre Hakadoch Baroukh Hou et le peuple. Pour cette raison également, Moché était « lourd de bouche et de langue » de manière à ce que l’on ne puisse en venir à penser qu’il exprimait les choses de lui-même.

Moché a prié Hachem de pardonner au peuple, allant même jusqu’à dire « Efface-moi de Ton Livre que Tu as écrit » (32; 32), car il était clair pour Moché que son existence entière était dévouée à Israël. Cette qualité de renoncement à soi est ce qui fournit à Moché cette possibilité d’être le transmetteur de la Thora. C’est en cela qu’il acquit la faculté d’être cet agent entre Hakadoch Barouk Hou et le peuple, à l’image d’un pont qui assure la liaison, et non pas comme un intermédiaire qui fait écran entre eux.

On comprend dès lors que la faute des Bnei Israël en façonnant le veau d’or révéla cette idée erronée de penser que l’intermédiaire est lui-même doté d’une importance. L’ampleur de la faute se trouve dans le fait que, selon une telle approche, aucune connexion ne puisse s’établir entre l’homme et son Créateur.

Rapportons les paroles du Rambam en guise de conclusion (Halakhot téchouva 5; 2) « Chaque homme est apte à atteindre ce niveau de tsadik de Moché Rabénou »

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.