Cette période transitoire entre la fin de l’année écoulée et la nouvelle qui s’annonce est de facto, dans le monde yéhoudi, une occasion de bilan et de remise en question.
En regard de ces remises en question, notre Paracha – que nous lisons toujours à l’approche de Roch Hachana – nous offre une clé toute particulière pour traverser cette période en toute quiétude : « Car cette loi que Je t’ordonne aujourd’hui, elle n’est pas cachée de toi et elle n’est pas loin de toi ». Selon le Ramban, ce verset est une allusion à la mitsva de Téchouva, il vient nous donner un message unique et clair : « cette mitsva-là » – la téchouva – n’est pas du tout loin de nous. Elle est vraiment là, à portée de mains : « la chose est très proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur pour la réaliser ».
Peut-on changer ?
Nous sommes naturellement enclins à faire dépendre nos défauts de causes variées, et à les placer comme des réalités objectives sans possibilité de changement. Deux conséquences à une telle conception des choses : la fuite de ses responsabilités et la désespérance du changement. L’homme se voit comme dépendant de facteurs extérieurs, de ce fait, il ne croit pas en sa capacité de changer.
Face à ces deux arguments, la Thora nous informe :
« Elle n’est pas dans le ciel pour dire, qui montera pour nous au ciel et nous l’apportera… elle n’est pas au-delà des mers pour dire, qui traversera la mer pour nous la ramener ».
La téchouva ainsi que le secret du changement ne dépendent pas de la situation où l’on se trouve. Ne faisons pas dépendre nos vies de notre environnement et de son influence, de la société, des normes et des habitudes de l’endroit où l’on a grandi. Ne disons pas ‘si j’avais grandi de l’autre côté de la mer…’ car « elle ne situe pas de l’autre côté de la mer ». De même, ne pensons pas être à l’abri de pulsions néfastes, de difficultés ou de toute forme de perturbation. Ne faisons pas dépendre nos failles de nos pulsions matérielles et des bas instincts qui semblent impossibles à modifier. Car en effet, nous ne sommes pas des anges, et « elle ne se trouve pas dans le ciel ». Comprenons et intériorisons que cette faculté de faire téchouva ne dépend pas d’éléments extérieurs, mais bien de nous-mêmes, de notre volonté profonde – « car la chose est très proche de toi ».
De même, Elazar ben Dordya, qui ne laissa pas passer une faute sans l’avoir expérimentée au point d’être plongé et submergé par de méprisables tendances, a finalement compris qu’en se comportant de la sorte, sa vie n’était que néant et futilité. Au bout du compte, il désira faire téchouva. Mais malgré-tout, il est intéressant de constater qu’il ne réussit pas à y parvenir complètement tant qu’il fit dépendre son repentir de tous genres de facteurs externes comme le ciel et la terre (voir Avoda Zara 17a). Ce n’est que lorsqu’il se retrouva seul, qu’il se libéra de tout ce qui le retenait prisonnier, qu’il comprit que la chose ne dépendait que de lui. Et c’est ainsi qu’il parvint finalement à se connecter à nouveau aux forces divines qui l’habitaient.
C‘est en effet une exigence ferme qui n’appelle à aucun compromis, mais qui en même temps réconforte et encourage. Quel que soit le niveau où l’on se trouve, il existe une étincelle de volonté qui sommeille au fond de nous et qu’il est impossible d’éradiquer. C’est à partir de cette étincelle qu’il sera possible de percer, de se libérer de toutes ces servitudes, de rompre toutes ces chaînes.
Pouvons-nous entendre une voix céleste ?
En réalité, l’homme recèle en permanence en lui cette faculté de faire téchouva. C’est ainsi que Rabbi Tsadok HaCohen interprète cette fameuse « Voix Céleste » qui sort chaque jour du Mont Horev et proclame « malheur à vous créatures qui faites honte à la Thora » (Avot 6). A première vue, il y a ici une difficulté : si chaque jour, une « voix céleste » sort, pour quelle raison ne l’entendons-nous pas ? Et si nous ne l’entendons pas, pourquoi elle sort ?
A ce sujet justement, rabbi Tsadok explique que la « Voix Céleste » n’est autre que la voix intérieure cachée dans les profondeurs de l’âme d’une personne, qui le dresse face à l’exigence de perfectionnement et d’amélioration.
Cette voix intérieure, aussi faible soit-elle, est une espèce de boussole, un guide intérieur, qui est apte à nous piloter tout au long de notre vie sinueuse et embrouillée, libre qu’elle est de toute influence extérieure.
Mais finalement, permettons-nous à cette Voix Céleste de se faire entendre ?
Il est très facile de se soustraire à cette voix intérieure, en particulier lorsqu’elle est en contradiction avec d’autres voix plus familières et plus agréables à écouter. Si nous ne sommes pas entièrement disposés à prêter oreille à son message, elle finit par aller en s’amenuisant, au point que lorsque nous sommes désireux de l’entendre, nous n’y sommes plus aptes.
Roch Hachana – une journée d’écoute
Roch Hachana permet de remédier à cette difficulté. La mitsva du jour est d’écouter. Celui qui sonne le chofar ne récite pas la brakha de « faire entendre le son du chofar » ou bien « sonner du chofar », la brakha consiste à « לשמע קול שופר – entendre le son du chofar », car l’essentiel de la mitsva consiste à écouter et non pas à sonner le chofar, comme le relève le Rambam dans ses responsas.
Dans le Talmud Yérouchalmi (Taanit §3) nous pouvons lire un passage intéressant pour ne pas dire surprenant :« Pourquoi sonne-t-on dans des cornes ? C’est pour dire que nous sommes considérés comme des animaux qui beuglent devant Hachem ». Comment est-il possible d’établir une telle similitude entre l’homme et l’animal ?
Nous pouvons peut-être expliquer cela de la manière suivante : l’animal n’est pas doté d’une parole liée à l’intellect, mais seulement d’une expression émotionnelle, car les animaux sont entièrement guidés par l’instinct. Chez l’homme, la parole est le fruit d’une réflexion, elle fait appel à l’intellect, représentant par là sa supériorité par rapport aux autres créatures. Mais en réalité, il existe une autre forme d’expression chez l’homme qui est encore plus élevée et raffinée que la parole standard. Cette même force que nous qualifions d’« instinct » chez les bêtes, lorsqu’elle apparaît chez l’homme, dévoile une parole d’une autre dimension, une parole venant du sentiment du cœur qui révèle cette fameuse voix intérieure. C’est là le secret du son du Chofar.
L’écoute intérieure – une écoute active
Dans ce monde moderne assommé par tant de bruit et dénué de réflexion, dans une société qui n’attend pas vraiment qu’un propos soit intelligent pour le diffuser aux oreilles de milliers de personnes, le chofar vient insuffler en nous le cadeau de l’écoute attentive : cet enseignement extraordinaire que si seulement nous arrêtions le flux intensif des mots et étions prêts à véritablement écouter, nous réussirions à entendre des voix bien plus profondes et serions en mesure de dévoiler des choses cachées. A Roch Hachana, nous partons pour un voyage où nous allons apprendre à écouter.
Une voix appelle dans le désert
Le prophète Yechaya dit « une voix appelle dans le désert, prenez le chemin d’Hachem » (Yechaya §40 ; 3). L’appel tourné vers Hachem sort précisément du désert, de l’endroit où le bruit ne couvre pas le délicat son du silence. La qualité du désert d’être peut-être le seul endroit où certaines voix peuvent être entendues, alors qu’elles sont englouties et non ressenties dans l’agitation urbaine. Ce n’est pas pour rien que le désert a été le lieu d’épanouissement de nombreux dirigeants, le lieu qui ait fait « pousser » des prophètes et autres nombreux personnages inspirés par l’esprit divin, qui renoncèrent à une vie routinière, délaissèrent pour un temps le bruit de la vie quotidienne pour prêter oreille au délicat son qui montait là-bas.
L’histoire d’une vie
La sonnerie du chofar tourne autour de quatre sons centraux : tékyia, chevarim, téroua, et pour finir, une nouvelle tékyia. En cela se résume l’histoire de notre vie. Cela commence par la « tekyia » – son simple et long. Nous avons tous traversé ce monde à l’état de petits enfants – naïfs, simples et purs. Après cette étape, tout s’est embrouillé. Le son du chofar s’allonge et se casse en morceaux – les « chevarim ». Nous avons grandi, mûri, la vie s’est poursuivie et s’est compliquée, il y a même eu par la suite des moments qui se sont éparpillés en débris – « téroua ». Cela nous a rendu rugueux, compliqués et hermétiques.
Roch Hachana vient nous ramener au point de départ, à cette voix lisse et longue de la fin – à nouveau « tékyia », pour éveiller en nous le fondement originel, pur, propre, simple, profondément ancré au fond de nous. Il n’a jamais disparu, pas même le temps d’un instant. Il a seulement été recouvert par de multiples couches de poussière, par du sarcasme et du désespoir. En ce jour, la voix limpide du chofar les « dépoussière » avec force et nous ramène à notre état originel, à nous-mêmes, à Hachem.