Noah – La Tour de Babel: l’individu remplacé par le collectif

Noah – La Tour de Babel: l’individu remplacé par le collectif

Le récit de la génération de la Dispersion, ou Dor HaFlagah, ne représente que dix versets dans notre Paracha. Leur faute est implicite, nulle mention de cette dernière dans le Texte. Dans les dires de nos Sages nous trouvons une inculpation à l’idolâtrie, mais le lecteur attentif ne verra dans la Torah qu’une crainte de se retrouver dispersé sur la surface de la terre. Un dessein certes puéril, mais sûrement pas païen…

De nombreuses façons d’expliquer cette faute ont été abordées par nos commentateurs, que ce soit pour trouver dans leurs arguments une hérésie punissable (cf. Nahmanide) ou pour y voir une atteinte à la procréation, un refus à la propagation de l’espèce humaine sur le globe (cf. Ohr Ha’Hayim).

Nous allons essayer dans cette courte réflexion de conjuguer les différents aspects de leur motivation, en mettant en exergue leur unité, soulignée par l’expression ‘Toute la Terre avait une seule langue et un objectif commun’ (Genèse 11,1). Cette lecture est inspirée en partie de celle du Rav Chimchon Refael Hirsh.

Ce désir de renforcer leur unité et cette peur de la dispersion nous amène à analyser leur comportement sous un angle différent. En effet, leur volonté de former une collectivité prit le pas sur la valeur de l’individu. Pire, le sens de cette dispersion est justement la place que la société donne à ses composants, leur appréhension équivalait donc à une volonté d’annuler ces derniers au profit de l’ensemble. Une personne, selon la vision de cette génération, ne se devait qu’être un maillon de la longue chaîne de l’humanité, sans aucune essence propre. Ainsi, le Pirkei DeRabbi Eliezer (chap. 24) nous décrit leur comportement en ces termes : « Si un homme venait à tomber (de la Tour), ils ne faisaient aucun cas de lui, en revanche, si une brique venait à tomber, ils se laissaient choir et sanglotaient (en disant 🙂 Quand allons-nous pouvoir la remplacer ?! »

Cette attitude, inhumaine à nos yeux, exprime bien leur compréhension erronée de la société ; annuler l’individu pour ne s’en servir qu’à une fin générale, un but commun à tous.

Leur erreur consistait donc à concevoir une collectivité non pas comme un ensemble de particuliers, ayant chacun une essence et une conscience qui lui est propre, mais plutôt comme entité indissociable, un individu à grande échelle. 

Le verset, exprimant leur projet de construction, utilise deux mots à racine semblable : ‘Et le bitume (‘Hémar) leur servir de mortier (‘Homer)’. Le moyen, ici le matériau, leur servit de but en soi. Selon notre éclairage, cela signifie que le moyen d’associer un ensemble de personnes s’est retrouvé être la finalité à atteindre.

Deux conséquences néfastes découlent de cette représentation de l’unité :

  1. L’individu, étant dépourvu d’essence, ne peut se lier à son Créateur. Il ne sert donc plus à rien, c’est la raison même de l’existence qui est remise en question… C’est donc l’antithèse de la procréation (cf. l’avis du Ohr Ha’Hayim) 
  2. L’assemblée, en se débarrassant de sa complexité, rejoint l’identité de D.ieu, car Lui aussi est Simple et non Complexe. Comme Adam HaRichon, qui de sa particularité à être unique, pouvait se prendre pour D.ieu, ainsi cette génération, de leur unicité au détriment de l’unité, pouvait prétendre au Nom… (cf. l’avis du Ramban)  

Par la Dispersion, la subjectivité et l’opinion personnelle est revenue. Elle a pris la place de l’objectivité universelle, d’une compréhension globale et générale. Dorénavant, chacun pourra avoir sa vision personnelle de la réalité, l’expression de l’intériorité de l’individu est devenue possible. Ainsi, le risque de se prendre pour D.ieu est devenu minime, car sujet à une confrontation avec le reste du monde. L’uniformité fut abolie, la création de Nations, possédant chacune une mentalité et une constitution différente, permit à la diversité de triompher.

L’Unité a alors repris sa véritable définition. La notion de communauté n’est là que pour servir l’individu, et non le remplacer. L’apport de la généralité permet de combler les défaillances du singulier, seule garante de la réalisation de son potentiel.

Ce n’est d’ailleurs qu’à travers un homme solitaire que le peuple juif ait pu voir le jour. Avraham Avinou, de par son originalité et son individualité, retrouva le sentier originel vers le Service Divin.

Plus tard, une autre Tour devra s’élever, en lieu et place de sa prédécesseur. La Tour de David, métaphore représentant le Temple, se verra être un lieu de Rassemblement, opposé de la Dispersion de la Tour de Babel. Car si la première fut une contraction de l’Humain, fausse projection du Divin, la seconde sera une contraction du Divin, (grâce à Sa Présence dans l’enceinte du Temple) avec comme but la véritable projection de l’Humain, celle d’une individualité si particulière…

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.