Parachat Devarim – Ticha Béav – La destruction des Temples: « du retrait de la toiture à l’éradication des murs »

Parachat Devarim – Ticha Béav – La destruction des Temples: « du retrait de la toiture à l’éradication des murs »

La faute des explorateurs, plus grave encore que le veau d’or

Notre paracha mentionne deux fautes fondamentales et existentielles qui façonnent l’histoire de notre peuple : celle du veau d’or et celle des explorateurs.

Or, bien que la faute du veau d’or ait encore un impact jusqu’à nos jours (Sanhedrin 102a), les Tossefot (Yebamot 72a) estiment que cette faute reste moindre que celle des explorateurs, étant donné qu’elle a été pardonnée, et que par la suite nous avons mérité le Michkan.

Selon les sages, la cause originelle de la destruction du Beth Hamikdach se trouve dans le pleur du peuple lors de l’épisode des explorateurs. D‑ieu leur aurait reproché à ce moment-là : « Vous avez pleuré pour rien, vous aurez des raisons de pleurer ce jour-là ! » (Bamidbar rabba 15; 29). Cet épisode des explorateurs serait donc l’origine de la destruction du Beth Hamikdach.

Il est également rapporté au nom du Ariza”l (Bnei Issakhar 42 ;40) que la période de deuil appelée « ben hametsarim » se divise en deux parties : 13 jours (du 17 tamouz jusqu’à roch hodech) et 9 jours (depuis roch hodech jusqu’à Ticha beav).

  • 13 jours correspondant aux 13 attributs de miséricorde divine qu’a employé Moché lors de sa prière suite à la faute du veau d’or.
  • 9 jours, en rapport avec les 9 termes employés par Moché lors de sa prière suite à la faute des explorateurs.

Or nous savons qu’à partir de Roch Hodech Av, les règles du deuil s’intensifient. A nouveau, nous pouvons voir que la faute des explorateurs est plus importante que celle du veau d’or.

Comment comprendre cela ?

La différence entre les deux hourban

Nous trouvons dans le Talmud Yerouchalmi (Yoma 4a) une image intéressante concernant la destruction des deux temples : alors que la destruction du premier temple symbolise le retrait de la toiture, celle du second temple représente l’élimination des murs jusqu’à leurs fondations.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Il est écrit dans le Talmud Bavli (Yoma 9b) :« le premier temple a été détruit à cause des 3 fautes capitales : l’idolâtrie, la débauche et le meurtre. Mais lors du second temple, les juifs accomplissaient les mitsvot, alors pour quelle raison à t’il été détruit ? C’est à cause de la haine gratuite. En effet ce péché est équivalent aux trois fautes capitales précitées. »

Le Maharal (Netsah Israel chap 4) propose une explication intéressante : la nature de ces fautes à l’origine de la destruction des deux temples n’est pas due au hasard, car en réalité les deux temples étaient eux même de natures différentes.

Dans le premier temple, la présence divine était totale, et le peuple lui-même était d’un niveau très élevé. Par contre lors du second temple, le niveau des Bnei-Israël sur le plan individuel était beaucoup moins élevé, ils n’étaient plus apte à accueillir la Chekhina (présence divine).

Ce qui a tout de même permis l’existence de ce deuxième Beit Hamikdach, ce sont les Bnei-Israel eux même, c’est-à-dire l’union du peuple.

C’est pour cette raison précise que le premier temple à été détruit suite aux trois fautes capitales, qui sont par excellence les fautes qui vont à l’encontre de la présence de D‑ieu. Par contre, le deuxième temple, qui avait comme support l’union du peuple, cessa d’exister naturellement lorsque cette union disparut.

Deux supports possibles à la chekhina

Il ressort des propos du Maharal l’idée que deux possibilités se présentent à nous afin de créer un support à la présence divine :

1.       Le respect des mitsvot et la perfection de l’individu,

2.       L’union du peuple.

Ce sont d’ailleurs les deux rôles essentiels du temple, comme définit le Rambam (Sefer Hamitsvot 20) la raison de sa construction : c’est pour permettre l’offrande des sacrifices, et le rassemblement du peuple lors des fêtes. En d’autres termes, pour développer le rapport entre l’homme et le Créateur et l’union du peuple.

En réalité ces deux dimensions existent depuis la création du premier homme. En effet, le Talmud (Sanhedrin 38b) nous décrit que Hadam Harichon (le premier homme) était haut jusqu’au ciel et large comme la terre entière. Après la faute, le Saint-béni-soit-Il le rapetissa de long comme de large.

Il ne faut pas comprendre cet enseignement au sens littéral, il s’agit d’une image qui vient nous faire comprendre le rôle de l’homme sur terre : d’une part créer un lien entre le monde ici-bas et le monde céleste, en d’autres termes créer un rapport direct avec le divin ; et d’autres part, réunir l’humanité et propager la Royauté de D‑ieu dans le Monde. Tel est le sens de la « hauteur » et la « largeur » de l’Homme.

À la suite de sa décadence, l’humanité devra réparer son erreur. Il faudra donc restaurer ces deux dimensions que l’Homme a perdu : la dimension verticale, ou la relation intime avec le Créateur, et la dimension horizontale, ou la diffusion de Son message.

Les patriarches seront ceux qui privilégieront cette relation verticale. En tant qu’individus, ils feront en sorte de se réapproprier le lien entre la Terre et le Ciel, d’être l’élément de fusion entre ces deux réalités. Cette union atteindra son sommet avec Yaacov, lors du songe de l’échelle solidement ancrée au sol mais dont le sommet atteignait les cieux…

Ensuite vint la naissance des futures tribus, prémices d’une nation. Ils étaient la réalisation de la promesse divine faite à leur père : « Et tu te propageras à l’Est et à l’Ouest, au Nord et au Sud »Contrairement à leurs ancêtres, le rôle des Chevatim se trouvait dans la dimension horizontale. Ils n’étaient plus des individus, mais le début d’un peuple.

Plus tard, une fois le peuple né à l’issue de la sortie d’Égypte, c’est Moché et Aharon qui incarneront ces deux dimensions. Si Moché à la capacité de faire descendre les valeurs divines sur terre – symbolisées par la Manne, l’action de Aaron vient répandre ces valeurs à l’ensemble du peuple. Par son mérite, les Bnei-Israël bénéficieront d’être entourés de nuées célestes tout au long de la traversée du désert.

L’origine des deux destructions

A partir de cela, il nous est permis de dire que dans les deux fautes historiques de notre peuple réside l’origine de la perversion des dimensions verticale et horizontale du peuple juif. Comme le propose le Beth Halevi (parachat Bo), la faute du veau d’or serait à l’origine du premier hourban, et celle des explorateurs à l’origine du second.

La faute du veau d’or généra un détachement entre l’homme et D‑ieu. L’erreur principale était de penser que notre rapport à D‑ieu nécessite obligatoirement un intermédiaire. Il s’agit donc d’une rupture dans la dimension verticale, qui entraînera notre peuple à commettre les trois fautes capitales lors du premier ‘hourban. En effet ces fautes sont le résultat d’un détachement entre l’homme et le divin.

La faute des explorateurs est d’une autre nature, qui est révélée par Moché dans notre paracha : « et vous dîtes : “C’est par haine pour nous que l’Éternel nous a fait sortir de l’Égypte ! C’est pour nous livrer au pouvoir de l’Amorréen, pour nous anéantir !” (Dévarim 1 :27). Et Rachi d’interpréter : « en réalité, D‑ieu vous aimait mais c’est vous qui le détestez ». Rachi nous fait comprendre la nature de l’homme : lorsque nous pensons être détestés, c’est parce que nous même détestons.

Si la faute du veau d’or représente un certain détachement entre l’homme et D‑ieu, la faute des explorateurs exprime une haine profonde envers D‑ieu.

La haine gratuite envers son prochain provient de la haine envers D‑ieu

Il semblerait que ce soit cette même haine envers D‑ieu qui engendrera la haine gratuite envers son prochain lors du deuxième hourban. Car la haine gratuite signifie en réalité la haine de la différence. L’homme par nature est incapable de supporter que l’autre ne pense comme lui. « L’enfer c’est l’autre » disait un philosophe français. La seule chose qui peut résoudre ce véritable problème est d’intégrer et d’assimiler que nous provenons tous d’un même homme, et d’un même D‑ieu, et que par conséquent nous sommes chacun une autre facette d’une seule vérité. Cette vérité existe uniquement à travers l’ensemble du peuple. Selon cette perspective, l’autre n’est plus un ennemi mais au contraire il nous complète.

La haine que nous avons envers D‑ieu provient de notre égo, de notre volonté d’exister par nous-même. C’est cet égo qui entraîna la faute des explorateurs, ils ne réussirent pas à admettre que D‑ieu puisse intervenir dans un domaine naturel comme celui de la terre d’Israël. Pour eux Dieu n’est pas mêlé à leur existence concrète. Ce même égo entraîna plus tard la haine gratuite envers son prochain.

Ainsi, nous pouvons comprendre l’image donnée par le Talmud Yerouchalmi : la destruction du premier temple symbolise le retrait de la toiture, c’est a dire la rupture de la dimension verticale ; celle du second temple représente l’élimination des murs jusqu’à leur fondation, soit l’anéantissement de la dimension horizontale.

La haine gratuite révèle un plus grand détachement de D‑ieu que l’idolâtrie

Nous comprenons désormais la gravité de la faute des explorateurs en regard de la faute du veau d’or. Si cette dernière exprime un détachement et un besoin d’intermédiaire, la faute des exportateurs révèle une haine envers D‑ieu.

Nous retenons de ce propos une leçon incroyable : la haine gratuite révèle un plus grand éloignement de D‑ieu que l’idolâtrie.

En réalité chaque parent peut tout à fait ressentir cela. Les disputes et querelles qui ne cessent jamais entre les enfants sont souvent plus douloureuses pour les parents que le manque d’obéissance. Un enfant n’obéit pas parce qu’il a lui-même d’autres envies et d’autres intérêts, mais il n’y a pas de remise en question du rapport parent-enfant. Par contre des disputes acharnées et incessantes entre enfants révèlent parfois un manque de conscience de leur origine. D’une certaine manière, ils remettent en question leur rapport avec les parents. Peut être qu’inconsciemment, il y a une certaine « haine » envers ces derniers.

Le second temple n’est toujours pas reconstruit

C’est certainement le sens profond de cette fameuse et mystérieuse équation talmudique (Yoma 9b) : « la faute du premier temple étant dévoilée, par conséquent la délivrance fut également dévoilée. Par contre, la faute du second temple n’étant pas dévoilée, la délivrance n’est toujours pas dévoilée. »

L’intention des sages n’est pas de nous dire que la faute du second temple était inconnue, mais plutôt qu’elle n’était pas manifeste ni exposée, car contrairement aux trois fautes capitales, il s’agit d’une erreur plus profonde et intérieure, dont l’homme n’est souvent pas suffisamment conscient, car cela touche le cœur même de son égo. Pour lui il ne s’agit pas de haine mais de non acceptation à la différence.

C’est cela qui donne la gravité à cette faute, au point où la Téchouva est particulièrement difficile ou même quasi-impossible. Raison pour laquelle le second temple n’est toujours pas reconstruit après presque 2000 ans d’exil, alors que le premier fut reconstruit 70 ans après sa destruction.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.