Cette semaine, Israël a connu une grande joie lorsque nous avons appris une double
vengeance : l’élimination en quelques heures à peine de deux hauts dirigeants ennemis, recherchés depuis longtemps. Nous avons tous ressenti un sentiment de soulagement et pu respirer plus librement, particulièrement depuis les événements tragiques du 7 octobre.
On ne peut ignorer le lien avec la paracha de la semaine, dans laquelle nous avons reçu l’ordre de se venger de Midian. Cette paracha nous offre une occasion unique de comprendre en profondeur la signification de la vengeance.
La vengeance : positive ou négative ?
Le terme « vengeance » suscite chez beaucoup une réticence. Il nous apparaît comme négatif et problématique. Ce malaise est d’ailleurs étayé par l’injonction de la Torah (Vayikra 19:18) : « Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les fils de ton peuple ».
Pourtant, le roi David semble nous enseigner au contraire que la vengeance est quelque chose de positif, lorsqu’il dit : « Que les hommes pieux triomphent dans la gloire, qu’ils entonnent des chants sur leurs couches […] Ils tireront vengeance des peuples, infligeront des châtiments aux nations » (Tehilim 149). Et aussi : « Le juste se réjouira quand il verra les représailles » (Psaumes 58). Ces versets expriment clairement la compréhension que la vengeance est une action positive.
Cet aspect ressort également de ce que nos Sages ont dit (Berakhot 33b) : « Grande est la vengeance qui a été placée entre deux noms de l’Éternel, comme il est dit : “Dieu des vengeances, Éternel” ». En conséquence de quoi, nous remercions l’Éternel dans la prière « Al HaNissim » d’avoir vengé notre vengeance sur les Grecs.
De fait, à travers l’étude de notre paracha, nous pouvons analyser l’essence de la vengeance, et ainsi comprendre dans quelle mesure celle-ci peut être considérée comme positive.
Pourquoi le même commandement apparaît-il deux fois ?
Après l’épidémie qui frappa le peuple d’Israël suite au péché de débauche avec les filles de Moav et de Midian, Hachem ordonne à Moché : « Traitez les Midianites en ennemis et frappez-les, car ils se sont montrés vos ennemis par les ruses qu’ils ont machinées contre vous dans l’affaire de Péor, et dans celle de Kozbi […] » (Bamidbar 25:17-18).
Plusieurs chapitres plus loin, dans la paracha de Matot, le texte revient sur ce sujet après avoir abordé divers sujets.” L’Éternel ordonne de nouveau à Moché : « Exerce sur les Midianites la vengeance due aux enfants d’Israël ; après quoi tu seras réuni à tes pères. Moché parla alors au peuple, disant : “Qu’un certain nombre d’entre vous s’apprêtent à combattre ; ils marcheront contre Madian, pour exercer sur lui la vindicte de l’Éternel […] » (Bamidbar 31:2-3).
Il nous faut comprendre pourquoi la Torah répète le même commandement de frapper les Midianites, une fois dans la paracha de Pinhas et une autre fois dans la paracha de Matot ? Et pourquoi est-ce le dernier commandement donné à Moché avant sa mort ?
Qui sont les pires, Moavites ou Midianites ?
Concernant l’ordre de se venger des Midianites et non des Moavites, Rachi explique que les Moavites sont entrés dans l’affaire par peur, craignant d’être pillés, tandis que les Midianites se sont mêlés à une querelle qui ne les concernait pas. En d’autres termes, la différence réside dans leurs motivations : Moav a agi par peur des enfants d’Israël, craignant pour sa sécurité. Cette crainte donnait une sorte de justification à leurs actes, même si elle n’était pas totalement justifiée. En revanche, Midian s’est immiscé dans un conflit qui ne le concernait pas, par pure haine envers le peuple d’Israël et par volonté de nuire. Et donc la vengeance est destinée aux Midianites, car leurs actes sont plus graves que ceux des Moavites.
Cependant, nos Sages semblent indiquer le contraire. Dans le Talmud (Baba Kama 38b), ils s’interrogent sur l’ordre divin à Moché : « N’attaque pas Moav et ne t’engage pas dans un combat contre lui »(Devarim 2:9), ce qui suggère apparemment que Moché envisageait de le faire. Comment aurait-il pu penser à faire la guerre sans autorisation ? En fait, il a fait un raisonnement a fortiori, se disant : si pour les Midianites, qui ne sont venus qu’aider Moav, la Torah a dit « Traitez les Midianites en ennemis », à plus forte raison pour les Moavites eux-mêmes ! Hachem lui a répondu : « Ce n’est pas comme tu le penses. J’ai deux descendantes de valeur à en faire sortir : Ruth la Moavite et Naama l’Ammonite. »
Ces propos de nos Sages indiquent que les Midianites, venus à l’aide de Moav, portent une responsabilité moindre que les Moavites qui ont manifesté une hostilité directe. Ce qui paraît contraire aux propos de Rachi. Comment concilier ces deux idées contradictoires ?
Deux commandements : traiter en ennemis et se venger
Il me semble qu’il y a ici deux aspects distincts : 1) traiter en ennemis ; et 2) se venger.
Il est vrai que dans les deux cas, le contenu de l’ordre est de frapper l’ennemi, mais il y a une différence fondamentale entre les deux commandements. Alors que « traiter en ennemi » se réfère principalement à Israël, la vengeance se réfère à l’ennemi.
Le premier commandement : « Traitez les Midianites en ennemis », bien qu’il implique de les frapper, a pour principal objectif de les haïr ; « traiter en ennemis » signifie essentiellement les considérer comme tels (Rachi). Le but de cette haine est que nous ne soyons pas influencés par la conduite de Moav et de Midian. Comme l’écrit le Or HaHaïm : « Quiconque a goûté au péché naturel ne peut facilement s’en séparer, tant le désir de la chose et son attirance pour elle le dominent ; ainsi, il est privé d’expiation. C’est pourquoi, après qu’Israël eut goûté à la débauche et se fut attaché à Baal Peor, D-ieu voulut les guérir. Il leur conseilla de haïr ceux qui les avaient fait pécher pour ce qu’ils leur avaient fait faire. Par cette pensée, le désir même du péché s’éloignera d’eux et leur deviendra étranger. »
En revanche, le second commandement de venger les enfants d’Israël se réfère principalement aux Midianites, son objectif principal étant d’extirper le mal de ce monde. C’est la raison pour laquelle Moché s’est mis en colère contre les chefs de l’armée qui avaient laissé les femmes en vie, car bien qu’ils leur aient infligé un coup extrêmement dur, ils n’avaient pas encore éliminé le mal qui résidait principalement chez les femmes, cause du péché. C’est une erreur de penser que la vengeance est destinée à assouvir les sentiments de colère, ou à apaiser la fureur. Elle doit plutôt être exécutée de manière calculée pour empêcher la propagation du mal, tout en comprenant la profondeur du mal qui a été causé.
À la lumière de cela, il semble que ce que Rachi nous dit, à savoir que les Midianites étaient pires que les Moavites, se réfère au point de vue de la motivation qui les guidait. Alors que les Moavites agissaient par peur, les Midianites agissaient par haine. Par conséquent, s’agissant de l’ordre de vengeance qui vise à éliminer le mal du monde, les Midianites sont considérés comme pires. En revanche, les paroles de nos Sages, qui concernent l’ordre de traiter les Midianites en ennemis, se réfèrent principalement à Israël, dans le but de les empêcher d’être influencés négativement. À cet égard, les Moavites sont considérés comme pires, car ce sont eux qui ont initié l’attaque.
La signification profonde de la vengeance
Nous avons appris que la vengeance ne doit pas venir de notre côté pour apaiser une quelconque colère en nous, mais qu’elle vise principalement à détruire le mal.
Cela permet de comprendre la différence entre les paroles de D-ieu et celles de Moché. Alors que D-ieu a dit à Moché « Exécute la vengeance des enfants d’Israël », Moché l’a appelée « la vengeance de l’Éternel ». Les deux côtés ont voulu souligner que la vengeance ne doit venir d’une colère personnelle ni assouvir sa propre satisfaction, mais qu’elle vise à annuler le mal. Ainsi, Hachem se réfère au tort causé aux enfants d’Israël, regardant l’acte des Midianites comme une souillure du peuple. Moché, de son coté, ne voulait pas parler du mal fait au peuple, mais de l’opposition à D-ieu, comme l’explique Rachi : « Celui qui combat Israël s’oppose à Dieu ». Ainsi, la vengeance est perçue comme une nécessité de faire régner la justice et d’extirper le mal du monde. L’annihilation du mal a pour but de faire régner le bien.
La vengeance dans la Torah ne vient pas de motivations personnelles, de l’excitation sous le coup de l’émotion ou d’une ferveur irréfléchie, elle n’est même pas une simple punition, mais l’exécution de la justice dans le monde, et par là se fait la glorification du nom divin. Comme l’écrit Rav Dessler (Mikhtav MeEliyahou, vol. 2, p. 124) : « La faute est une profanation du nom de D-ieu, et la vengeance une sanctification de Son nom. Elle est le reflet de la bonté suprême par laquelle D-ieu nous enseigne comment sanctifier Son nom. C’est les sens des propos de nos sages : Grande est la vengeance qui a été placée entre deux noms (de bonté), c’est-à-dire que le contenu de Sa vengeance n’est que bonté. »
Il semble que ce soit la raison pour laquelle cette vengeance constitue le dernier commandement donné à Moché avant sa mort. Les enfants d’Israël n’étaient pas capables de l’accomplir sans lui, car Moché, avant sa mort, cherchait à annuler le mal et à vaincre l’injustice, afin d’apporter la justice à son peuple. Comme dit le Midrach (Tana Devei Eliyahou, 22 :5) : « à propos de Moché, il est dit : Le juste se réjouira quand il verra la vengeance ».
La vengeance comme réparation du monde
Nous devons nous souvenir que les actes de vengeance doivent être faits avec discernement, dans le but d’apporter une réparation au monde. Ce faisant, nous agissons non seulement pour notre sécurité, mais aussi pour les valeurs de justice et de moralité sur lesquelles notre société est fondée.
La véritable vengeance va au-delà de l’action physique pure et simple. Elle constitue une annulation essentielle du mal par le renforcement et l’augmentation du bien. Dans ce contexte, notre meilleure réponse à nos ennemis est principalement un comportement opposé à celui du mal que nous cherchons à annuler. Cela signifie que nous devons accroître l’unité entre nous, renforcer la solidarité mutuelle et augmenter la glorification du nom divin.
C’est la légitimation la plus profonde de l’idée de vengeance – non pas comme un acte de représailles, mais comme un processus de réparation du monde et d’augmentation du bien. Ce faisant, nous réalisons l’idée de la « vengeance de l’Éternel » dans son sens le plus élevé, en sanctifiant le nom divin et en transformant les défis et les difficultés en opportunités de croissance spirituelle.