Parachat Tétsavé – Quand le brouillard nous aide à voir plus clair

Parachat Tétsavé – Quand le brouillard nous aide à voir plus clair

La poursuite de l’infini

La quête du bonheur est universelle chez tous les êtres humains. Pourtant, beaucoup se trouvent insatisfaits en dépit de tous leurs efforts. Ce manque de contentement provient bien souvent d’une aspiration à quelque chose d’infini, au-delà des limites de leur situation. Cette quête de l’infini à travers des choses comme des biens matériels, des réalisations ou des relations interpersonnelles mène souvent à la déception, ces sources de bonheur étant par nature temporaires et finies.

Certains théoriciens avancent que cette aspiration est l’un des motifs profonds sous-tendant les comportements addictifs, les individus cherchant du sens ou une transcendance à travers des substances ou des comportements qui promettent une évasion temporaire des contraintes de la réalité. Bien sûr, cette poursuite de l’infini à travers l’addiction est finalement vaine et autodestructrice. Loin de mener à un accomplissement véritable, l’addiction peut piéger les individus dans un cercle vicieux de dépendance, d’isolement et de désespoir.

Alors l’être humain devrait-il chercher la satisfaction dans les aspects finis de l’existence, ou vaudrait-il mieux élargir notre perspective vers des possibilités infinies ?

L’huile et l’encens réjouissent le cœur

Notre paracha s’ouvre sur l’ordre d’allumer les lumières de la Ménorah et s’achève sur le paragraphe de l’autel de l’encens (Mizbea’h haKetoret).

En vérité, il existe un lien entre l’acte d’allumer le candélabre et celui de brûler l’encens. Comme il ressort à la fin de notre paracha, le rituel du Ketoret était imbriqué dans celui de l’allumage de la Ménorah, ainsi qu’il est dit explicitement : « Chaque matin, lorsqu’il accommodera les lampes, il fera cet encensement ; et lorsque Aaron allumera les lampes vers le soir, il le fera encore » (Chemot 30:7-8). À tel point que les Sages en ont déduit que l’on intercalait l’encensement entre l’allumage des cinq premières lampes et celui des deux dernières lampes.

Le midrach rapporte au début de notre paracha ce verset : « L’huile et l’encens réjouissent le cœur » (Michlé 27), et fait le rapprochement suivant : de la même façon que l’Écriture mentionne la joie ressentie par Hachem après la Création, ainsi que le dit David : « Que l’Éternel se réjouisse de ses œuvres » (Tehilim 104:31), ainsi nous trouvons la joie chez Lui après l’édification du Michkan.

Il nous faut comprendre la profondeur de ce lien entre l’encens et le luminaire, et comment ils provoquent la joie chez Hachem.

Ils t’apporteront de l’huile d’olive pure

Pour cela, revenons au commandement qui ouvre la paracha : « Ils t’apporteront de l’huile d’olive pure », un ordre qui semble à première vue hors sujet.

Notre paracha poursuit le thème commencé dans la paracha précédente, celui de la construction du Michkan. Si dans Terouma les Bnei Israel sont enjoints de construire la structure et les ustensiles du Tabernacle, de l’intérieur vers l’extérieur, dans Tetsavé l’on ne traite plus de la structure mais des Kohanim qui y serviront, avec l’ordre de fabriquer les vêtements sacerdotaux, et les sept jours durant lesquels auront lieu l’investiture de Aharon et ses fils.

Dès lors, commencer la paracha par un ordre traitant de l’allumage de la Menorah est incompréhensible. Notre paracha ne traite pas du tout des rites accomplis dans le Michkan mais de sa construction, et l’ordre d’allumer la Menorah est donné dans la parachat Emor (Vayikra 24:4) : « C’est sur le candélabre d’or pur qu’il entretiendra ces lampes ».

Et si l’intention de la Torah était uniquement de commander d’apporter de l’huile d’olive pure, ce qui semble effectivement ressortir de l’expression « Ils t’apporteront », ce n’est pas non plus à sa place puisque cela aurait dû se trouver au début de la paracha Terouma, là où sont énumérées les 13 éléments nécessaires à la construction du Tabernacle. Et de fait, dans cette liste est déjà inclus : « de l’huile pour le luminaire » (Chemot 25:6).

Il nous faut donc comprendre la signification spéciale de ce commandement qui ouvre notre paracha. De plus, l’expression « Ils t’apporteront » demande également explication, la Torah changeant ici la formulation employée au début de la paracha Terouma où il était dit « Ils prendront pour moi ». Ajoutons également que le paragraphe sur l’encens à la fin de la paracha semble, lui aussi, hors contexte et déplacé.

Manifestement, ces deux éléments que sont l’allumage et l’encens ne font pas partie de la description de la structure et des ustensiles du Michkan présentée dans la paracha précédente, mais sont plutôt liés au but de l’édifice et à la façon dont la Présence Divine s’y manifestera. Essayons de l’expliquer.

Une lumière perpétuelle – reflet de la splendeur de la lumière éternelle contenue dans l’Arche

Après avoir achevé les commandements relatifs à la fabrication des ustensiles, avant de commencer les préparatifs concrets pour l’inauguration du Michkan, D-ieu fait connaître l’objectif de l’ensemble : « Ils t’apporteront de l’huile d’olive pure… pour faire monter une lumière perpétuelle ». Il ne s’agit pas ici d’un ordre d’allumer la Menorah, mais la Torah vient plutôt nous enseigner le but du Michkan, qui trouvait son expression dans cette « lumière perpétuelle », et dans le fait qu’elle soit disposée « en dehors du voile qui est sur le Témoignage ».

Cette lampe perpétuelle révélait la lumière cachée de l’Arche, nommée Aron d’après la lumière, qui contenait le Témoignage et se trouvait à l’intérieur dans le Saint des Saints, de l’autre côté de la Parokhet, lieu dont l’accès était absolument interdit à tout homme.

La lueur de cette lampe perpétuelle venait révéler la façon dont l’homme peut se connecter à l’infinité de son âme divine, symbolisée par le « flambeau divin » (Michlé 20:27). On peut ainsi comprendre également la formulation du commandement ici tel qu’il est dit à Moché : « Ils t’apporteront », contrairement à l’expression dans la paracha Terouma où il était dit « Ils prendront pour moi ». En effet, comme l’explique Abravanel, la permanence de la lumière visait à souligner que celle-ci n’était pas destinée au service. Même après les heures du service, Moché pouvait entrer dans le Saint des Saints et converser avec la Présence Divine, ainsi qu’il est dit : « Moché entrait dans la tente d’assignation pour parler avec Lui » (Chemot 33:11). Cette « conversation » n’avait ni date fixe ni heure déterminée.

Cependant, ce degré élevé de possibilité pour l’homme de se connecter avec la lumière divine recèle un grand danger. L’homme pourrait croire qu’il a réussi à saisir le divin et le monde ici-bas, et cela peut le faire dégringoler lorsqu’il se rend compte de l’écart immense entre l’idéal et la réalité. Il n’y a pas deux choses plus opposées et éloignées que le Saint béni soit-Il, abstrait et infini, et la réalité matérielle et pleine de péchés. Cet abîme insurmontable est ce qui a conduit de nombreux philosophes et de nombreuses religions à nier la possibilité d’une relation entre le Créateur et ses créatures.

La Menorah et les Ketoret – au carrefour de l’humain et de la transcendance

Face à ce danger, le rite de l’encens avait pour rôle central de voiler les choses. L’homme n’est pas capable de percevoir D-ieu avec clarté, et Il sera toujours au-delà de notre portée. Mais en définitive, c’est précisément ce voile qui est la porte d’entrée vers la communication. La réalité manifeste, pleine de mystères et d’interrogations, est l’espace dans lequel le Saint béni soit-Il a choisi de résider et de révéler Sa volonté. C’est précisément à travers le brouillard, à travers ce qui est caché, que l’homme peut découvrir l’Éternel.

Le Kohen Gadol reçoit l’ordre explicite quant à la façon dont il doit s’approcher du Saint des Saints : il ne pourra entrer en tout temps dans le sanctuaire. En effet, pour pénétrer à l’intérieur, vers la plus grande proximité qui soit possible entre un homme et le Maître de l’Univers, il doit purifier ses mains et ses pieds, s’immerger, revêtir des habits particuliers, expier ses propres péchés, ceux des gens de sa maison, de son clan et de tout le peuple. Et lorsqu’il pénètre à l’intérieur, il doit encore faire monter une nuée d’encens. Cette nuée était destinée à couvrir et à voiler la Kaporet, éloignant ainsi l’homme de la manifestation divine. L’encens devait estomper et écarter, illustrant l’infranchissable abîme entre l’homme et le Tout-Puissant.

La lumière et le brouillard entrelacés

La lumière des luminaires et la fumée de l’encens semblent à première vue contradictoires. La lumière symbolise des choses claires et limpides, « brillantes comme le soleil ». Elle symbolise aussi l’intellect et la raison (le Netsiv explique d’ailleurs longuement que les sept branches de la Menorah symbolisent les sept sagesses de l’univers). L’encens, en revanche, est auréolé de mystère, avec la fumée qui s’en élève et monte. L’encens relève davantage d’un monde situé hors de notre compréhension et au-delà de notre portée.

Il semble que la solution de cette contradiction se trouve dans le secret de la lampe perpétuelle et la lumière infinie que l’homme veut et peut toucher. Cette lumière, non seulement n’est pas contradictoire avec l’encens, mais ne peut même être révélée que par l’encens : « lorsqu’il accommodera les lampes, il fera cet encensement ». Certes, l’intellect et la raison sont indispensables et importants, mais l’homme cherche à se connecter à une lumière plus infinie, lumière qui doit nécessairement être équilibrée par la conscience du mystère de l’univers et celui de l’homme lui-même, et avant tout par la conscience de D-ieu caché dans l’obscurité. On ne peut voir la lumière de la Menorah qu’à travers la perspective de la fumée de l’encens.

En conclusion

On peut ainsi comprendre la « joie » associée à l’huile et à l’encens. La joie provient de la lumière et de la clarté, comme il ressort des paroles du verset : « Pour les juifs, ce n’étaient que lumière et joie » (Esther 8:16). De même, Rachi suggére que le terme «tzaoraïm» (midi) proviendrait du langage associé à la lumière et à la joie, car la lumière provoque des sentiments de joie et de bonheur. Seulement, la lumière n’est jamais complète, comme le dit le renard au Petit Prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux. »

À l’époque du Mishkan et du Temple, une lumière distincte et rayonnante illuminait l’homme : la lumière émise par la Menorah, en particulier la flamme éternelle. Néanmoins, cette lumière ne pouvait être allumée que lors du service spécifique de Ketoret.

Cette combinaison de la Menorah et des Ketoret est un degré de vision doté d’une perspective large, et elle devrait être la vision de tout Juif.

Cette combinaison de la Menorah et des Ketoret symbolise un niveau de vision qui englobe une perspective très large et très profonde. À propos d’Avraham se rendant à la Akéda de Yitshak, il est dit : « Avraham aperçut l’endroit de loin » (Berechit 22:4). Selon le Midrach, il vit un nuage attaché à la montagne. Et lorsque Abraham demanda à Éliézer et à Yichmael, ses serviteurs : « Voyez-vous quelque chose ? », ils lui répondirent que non. Seul le sens de la vue d’Abraham et de Yitshak leur permit de voir cette vision « lointaine », une vision de l’Infini derrière l’enveloppe du nuage.

Le peuple d’Israël lors de la révélation du Sinaï mérita, lui aussi, ce type de vision, comme il est dit : « Tout le peuple voyait les tonnerres, les flammes, le son du chofar et la montagne fumante ; et le peuple à cette vue, trembla et se tint à distance » (Chemot 20:14).

C’est un message pour nous dans notre quête du bonheur et de la plénitude. Ce n’est qu’en intégrant en nous la lumière et le brouillard que nous pourrons nous lancer dans un voyage de découverte de soi et d’épanouissement personnel, nous élever au-dessus de nos limites et des comportements addictifs, et trouver un accomplissement véritable.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.