Parachat Ki Tissa – Le veau d’or contemporain

Parachat Ki Tissa – Le veau d’or contemporain

Le récit du veau d’or dans la Torah ne cesse de susciter une question évidente : comment le peuple juif, après les miracles de la sortie d’Egypte et du don de la Torah, a-t-il pu se précipiter vers un culte idolâtre en proclamant : « Voilà tes dieux, ô Israël, qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte! » ?

Le lien avec la terre : Une source de sécurité et de stabilité

L’homme, créature de chair et de sang, est profondément attaché aux réalités terrestres. Ce lien vital à la matière lui apporte un sentiment d’enracinement, de stabilité et de sécurité.

C’est pourquoi, par exemple, voyager dans l’immensité du cosmos peut avoir des effets psychologiques profondément perturbants. L’environnement spatial, caractérisé par l’isolement et l’absence de repères matériels, affecte le mental des astronautes. Le défaut de stimuli sensoriels et la perte des interactions sociales peut mener au sentiment d’égarement et de dépression. A contrario, les activités connectant l’homme à la Terre, telles que le jardinage, ont des effets bénéfiques reconnus sur la santé mentale.

Un autre phénomène intéressant : face aux turbulences en avion, les passagers s’agrippent instinctivement à leur siège ou à l’accoudoir, même si cela n’a aucun effet concret sur les mouvements de l’appareil. Car cela leur procure un point d’ancrage physique et une sensation de stabilité.

Moché Rabénou, la bouée de sauvetage du peuple

A la lumière de ces observations, la fabrication du veau d’or devient logique.

Après de longues années de labeur en Égypte, les Bnei Israel avaient développé un lien viscéral avec la terre. À travers les travaux de labour, semis et récolte, ils avaient tissé avec la Terre une relation forte qui renforçait leur attachement au monde matériel.

Le passage soudain d’un mode de vie terrestre à une dimension spirituelle, ponctuée de miracles et couronnée par la Révélation, peut se comparer à l’expérience des cosmonautes s’extrayant de l’attraction terrestre pour plonger dans l’inconnu cosmique.

Comment les enfants d’Israël ont-ils pu accomplir cette transition fulgurante ?

La réponse est simple : ils dépendaient totalement de Moché, à l’instar du passager s’agrippant désespérément à son siège en pleine zone de turbulences aériennes. Pour eux, Moché était celui qui incarnait la fusion paradoxale du spirituel et du physique. A travers lui transparaissait la transcendance du Divin ici-bas. Il était le point d’ancrage tangible de la Présence divine, comblant le fossé entre le matériel et le spirituel, l’humain et le divin. Il était la bouée de sauvetage à laquelle s’accrochait le peuple dans son passage de l’esclavage à la liberté, trouvant sentiment de sécurité et d’appartenance dans son leadership et son enseignement.

Ainsi, lorsque Moché s’attarda sur le Mont Sinaï, ce fut pour le peuple la désagrégation brutale de ce sentiment de sécurité. Privés de leur guide, les Hébreux furent engloutis dans un abysse d’incertitude, tels des astronautes perdus dans l’espace sidéral sans aucun moyen de secours, naviguant vers l’inconnu. L’absence de Moché, cet homme-pont entre le Ciel et la Terre, avait créé un vide vertigineux, plongeant le peuple dans une crise existentielle.

Le veau d’or, une réaction naturelle

Face à ce chaos, la fabrication du veau d’or fut une réaction naturelle, dictée par le besoin d’une accroche physique pour retrouver un sentiment de maîtrise et de sécurité, une représentation tangible du Divin susceptible de leur procurer un sentiment de sécurité et d’attachement.

Ce fut là une grave erreur des Bnei Israël que de croire qu’un objet matériel puisse devenir réceptacle de la Présence divine indépendamment de tout lien avec la source ! Certes, le Divin peut trouver une expression dans des formes tangibles, telles que Moché ou le Michkan. Mais l’essence de Dieu transcende par nature toutes les frontières du monde physique, et seule la connexion avec le divin confère une quelconque dimension spirituelle au porteur de ce lien.

La destruction des Tables de la Loi

Comprenant que le peuple s’était irrémédiablement fourvoyé dans l’idolâtrie matérialiste durant sa courte absence, Moché n’eut d’autre choix que de briser les premières Tables de la Loi. Taillées par D-ieu dans la pierre, les lettres gravées dessus tenant miraculeusement sans support aucun, ces Tables symbolisaient l’irruption du spirituel dans la matière brute et rappelaient avec force la nature transcendante de l’Absolu.

Leur destruction visait à rappeler au peuple que son niveau de spiritualité présent ne lui permettait pas d’accéder directement à des hauteurs aussi sublimes. Ce fut une décision personnelle de Moché, témoignant de sa compréhension des limites humaines de son peuple.

Les secondes Tables, comme les premières ?

Moché reçut alors l’ordre de fabriquer de secondes Tables, à la fois identiques et fondamentalement différentes des premières : identiques dans leur contenu, mais faites de main d’homme, sans le miracle permanent des lettres suspendues. Cette injonction signifie que l’idéal spirituel suprême symbolisé par les premières Tables est préservé ; mais désormais, le peuple devra progresser pas à pas, par son propre effort, pour s’en rapprocher.

C’est pourquoi Hachem n’ordonna pas la destruction des Tables, mais se contenta d’approuver l’acte de Moché ; leur anéantissement aurait pu être interprété à tort comme la révocation d’un tel degré de spiritualité du monde et de l’humanité. Finalement, l’essence des premières Tables perdure, mais désormais l’effort humain est nécessaire pour arriver à y accéder. D’où l’interprétation voulant que les fragments des premières Tables soient conservés dans le Aron avec les secondes, rappelant la mission de chaque individu de reconstituer les premières Tables, soit de s’élever jusqu’au niveau spirituel suprême qu’elles représentent.

Fait de chair et d’esprit, l’humain porte en son sein une étincelle du Divin. Sa quête spirituelle consiste à découvrir et embrasser la part de transcendance nichée au fond de son être. Il incombe aux êtres humains de découvrir et d’intégrer leur spiritualité intérieure à leur existence terrestre. Il s’agit toutefois d’un travail progressif et continu, qui implique un cheminement incessant pour se connecter à la dimension spirituelle.

Dépendance au monde numérique, des médias et de l’information

L’histoire du veau d’or révèle une constante de la psyché humaine : face à l’insécurité, nous recherchons des substituts à nos repères habituels pour nous procurer un sentiment de maîtrise. De même que les Hébreux en l’absence de Moché fabriquèrent un fétiche rassurant, la société contemporaine n’a de cesse de s’agripper compulsivement aux écrans pour maintenir une illusion de stabilité et de connexion au monde.

A l’ère numérique actuelle, l’omniprésence des médias et réseaux sociaux et la connectivité permanente via les smartphones a considérablement influencé la manière dont les gens traitent l’information, l’actualité et le monde qui les entoure. Le caractère addictif de ce besoin de connexion permanente pour se sentir informé et relié peut nourrir un sentiment de toute-puissance, voire une distraction face aux questions existentielles de nos vies. Le flot incessant d’information suscite une sensation factice de maîtrise et de sécurité dans un monde de plus en plus chaotique et anxiogène.

De même, la préférence généralisée pour les interactions digitales au détriment des rapports humains réels peut conduire à une déconnexion des expériences et relations authentiques qui nourrissent l’âme. Du médecin rivé à son ordinateur pendant la consultation jusqu’à la famille aux membres happés par leurs téléphones pendant le repas, la technologie peut faire obstacle à un engagement humain significatif. Cette préférence pour la communication numérique peut conduire à une déconnexion des expériences et des rapports interpersonnels authentiques de la vie réelle.

Tel est le veau d’or contemporain : cette fuite délibérée hors des défis de la vie réelle au profit de réalités virtuelles factices dissociées du corps et de l’esprit. Ce renoncement au profit du numérique artificiel déconnecte l’individu de toute expérience authentique ainsi que de toute profondeur spirituelle.

Le remède enseigné par Moché

La solution à ce dilemme moderne se trouve dans le récit biblique. Avant même le commencement du processus graduel de reconstruction spirituelle symbolisé par les secondes Tables, Moché « prit le veau qu’on avait fabriqué, le calcina par le feu, le réduisit en menue poussière qu’il répandit sur l’eau et qu’il fit boire aux enfants d’Israël ».

Cette incorporation de l’or calciné dans l’eau témoigne du lien indestructible de l’homme avec la matérialité terrestre, tout en soulignant la nécessité vitale de raffiner et sublimer ce lien par l’élévation spirituelle. L’eau représente l’essence spirituelle que les humains doivent adopter pour transformer et transcender leur existence terrienne.

De même que l’or est purifié par le feu, l’humain doit traverser un processus de purification intérieure par la croissance spirituelle pour accéder à son plein potentiel et réaliser la pureté inhérente de son être profond.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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