Pessah – Quatre fils, Quatre questions : 4 étapes dans la transmission de la Émouna

Pessah – Quatre fils, Quatre questions : 4 étapes dans la transmission de la Émouna

Les Quatre Questions – Paradoxe entre esclavage et liberté

La réponse aux quatre questions soulevées dans le chant bien connu de Ma Nichtana se trouve, selon le Talmud, dans le texte de Avadim Hayinou qui le succède. Dans celui-ci, nous nous souvenons de notre esclavage en terre égyptienne, avant que D.ieu Lui-même vienne à notre secours.

Ces propos répondraient ainsi aux quatre points d’interrogation, sur la consommation de la Matsa et du Maror, sur l’obligation d’être accoudés et sur le devoir de tremper nos légumes à deux reprises.

Cependant, outre le fait que cette citation de Avadim Hayinou ne donne de réponse explicite aux quatre questions, une réponse précise nous est donnée à la fin du récit de la Hagada, sur le sens de la Matsa et du Maror. L’interprétation de ces Mitsvoth varie-t-elle en fonction de notre position dans le récit ? 

Ma Nishtana - Wikipedia

Dans son commentaire sur la Hagada, le Abrabanel propose une lecture originale de ce texte. Il ne s’agirait pas ici de quatre questions distinctes mais d’une seule interrogation composée de quatre éléments. Le lecteur du récit s’étonne sur le paradoxe ressenti tout au long de cette soirée entre le sentiment d’esclavage et celui de la liberté.

D’une part, la Matsa oupain du pauvre (ou mêmepain de la souffrance) et le Maror qui nous rappelle l’amertume de l’esclavage, mettent en relief notre statut d’esclave. D’autre part, en trempant les aliments et en s’accoudant comme des princes à la table du roi, nous manifestons notre liberté totale. Comment combinons-nous ces deux comportements contraires dans la même soirée, l’un de soumission et l’autre d’indépendance ? Pourquoi ne pas nous concentrer sur un seul sentiment d’autonomie ?

A partir de cette optique, la réponse apportée par la Hagada est claire, nous explique Abrabanel. A travers ces deux pôles, nous mettons en relief la nature de la sortie d’Egypte, où notre changement de statut a été brutal. Notre délivrance ne s’est pas produite progressivement, mais d’un seul coup, au milieu de la nuit. Alors que dans la première moitié de la soirée nous étions encore esclaves, dans la seconde, nous entrons déjà dans le statut d’hommes libres. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons commémorer ce moment de délivrance sans évoquer ces deux dimensions radicalement opposées.

Néanmoins, il convient tout de même de comprendre pour quelle raison le besoin de cet empressement fut inhérent à la Sortie d’Egypte ? Pourquoi ne pas avoir laissé au peuple un temps d’assimilation ?

Il semblerait que l’accent mis sur la période d’esclavage fait partie intégrante de notre liberté. Il ne s’agit pas simplement d’un effort de commémoration mais plutôt d’une description au service de notre liberté, nous accompagnant dans notre rapport à D.ieu. C’est cela le sens profond du texte Avadim Hayinou. Nous devons comprendre et assimiler que si Hachem nous a délivré de notre esclavage égyptien, c’est forcément pour que l’on soit Ses esclaves. Jusqu’à présent nous étions esclave de Par’o, désormais nous servons l’Eternel.

Pour approfondir cette idée, nous pouvons affirmer que l’atteinte d’une quelconque liberté est indissociable de la notion d’esclavage. Il n’existe aucune liberté absolue où l’homme est totalement maître de son indépendance. L’idée est de choisir entre la limite matérielle ou la spiritualité infinie. La seule façon de s’extraire de l’enfermement égyptien est en devenant esclave de son contraire, l’infini. Celui qui est capable de pénétrer dans le domaine de l’infini, autrement dit du Divin, est le seul à pouvoir goûter à la véritable liberté, celle qui ne connait plus de restrictions et de limites. En d’autres termes nous assure Rabbi Yéhouda Halevi : “Les esclaves du temps sont esclaves d’esclaves. Seul le serviteur de Dieu est libre”.

Voici une réponse à cette dualité entre esclavage et liberté, évoquée dans Ma Nichtana. L’esclavage ne fait pas uniquement référence à la première partie de la nuit comme prétend Abrabanel, mais la seconde également y est concernée. Dans les deux parties nous conservons ce statut d’esclave, dans la première à Par’o et dans la seconde à Hachem. Tel est le véritable sens de cette nuit, on ne peut parler ni de liberté et ni d’esclavage, mais seulement d’esclavage à la liberté, autrement dit à l’infini.

Ainsi nous pouvons résoudre l’apparente contradiction entre le début et la fin du récit de la Hagada. Ce soir-là, notre premier souci est de ne surtout pas perdre notre statut d’esclave, afin d’accéder à la fin du Seder à la véritable liberté. Seul celui qui s’imprégnera du texte de Avadim Hayinou, nous rappelant notre servitude ardue, méritera de vivre pleinement la délivrance à l’aboutissement de la soirée. Cette même Matsa, qui à l’entrée de Maguid est appelée Lehem Oni Pain de la souffrance”, sera elle-même notre symbole de liberté avant de réciter les louanges à l’issue de Maguid.        

Toutefois, il nous appartient encore de comprendre pour quelle raison a choisi l’auteur de la Hagada de formuler ce paradoxe sous forme de Quatre questions ? Ce chiffre n’est pourtant pas par hasard, nous savons qu’à l’époque du Beth Hamikdach, l’une des questions de Ma Nichtana était de comprendre pourquoi l’agneau Pascal devait obligatoirement être grillé pour être consommé. Aujourd’hui, où cet étonnement n’est plus d’actualité, il a été curieusement remplacé par celui concernant les légumes trempés. Conserver Quatre Questions apparaît comme une nécessité. Quelle en est la raison ?

Les Quatre Fils – Formation en Quatre étapes

En approfondissant le sujet, un certain parallèle peut être établi entre la problématique soulevée dans les Quatre Questions et celle sous-entendue dans les questions posées par les Quatre Fils. Nous verrons que ces derniers sont en réalité quatre étapes dans la progression de l’Homme sur le sentier de la Foi. Ces Fils peuvent être assimilés à différentes facettes de nos êtres, personnifiées et caricaturées par des enfants.

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Les deux premières interrogations (soulevées par le Sage et l’Impie) nous font rentrer dans le Service Divin. Les deux dernières, quant à elles, décrivent cet asservissement apparent comme la véritable Liberté.

Le Sage demande : ”Quel sens donner aux préceptes, aux décrets et aux lois ?”

Il recherche ainsi une compréhension rationnelle et intellectuelle sur le sens profond de notre Servitude à D.ieu à travers le joug des Mitsvot.

Cette question est en réalité posée par tout un chacun, la nature humaine étant ainsi faite : L’Homme se doit de comprendre et d’assimiler des concepts de façon sensée et logique.

La réponse à ce désir de comprendre est : “Ainsi tu lui enseigneras quelques lois de Pessa’h… “ L’intention de l’auteur de la Hagada est de lui faire remarquer que de la même manière qu’après la consommation du sacrifice pascal, il n’y a point de place à d’autres mets, ainsi, une fois rentré dans le joug des Mitsvot, seul leur accomplissement est requis. La recherche de différentes ‘’saveurs’’ ne doit en rien entraver notre engagement. Leur accomplissement est donc indépendant de leur compréhension.

L’Impie (ou plutôt la partie sombre qui nous habite) s’étonne sur ce joug imposé. Quel intérêt de quitter un esclavage humain pour retrouver une servitude divine ?

Cette interrogation est légitime et aura fait couler beaucoup d’encre. Comment l’accomplissement de la Volonté Divine nous rend-t-elle libre ?

La réponse qui nous est donnée est : ‘’De même, toi, tu cogneras ses dents…’’ Le sens de cette répartie est une critique à la réelle motivation de cette prétendue recherche de la vérité. Le manque d’objectivité dans ce questionnement, découlant de notre mauvais penchant, ne peut être résolu de façon rationnelle. Le seul élément de réponse est cette affirmation accusatrice, ‘’s’il avait été là, il n’aurait pas été délivré…’’, une personne concevant une délivrance sans penser à s’extirper de la matière ne sera jamais libre. [Une autre interprétation consiste à prouver que cette réflexion ne provient pas de son intellect mais plutôt du Mal, indépendant de son essence. Si elle venait réellement d’une démarche intellectuelle, il ne serait pas sorti des entraves égyptiennes.]

La première partie de notre entrée sous la domination divine est ainsi achevée. Nous y avons traité de la définition de notre Service Divin, comme étant un véritable asservissement. Tout d’abord, l’approche intellectuelle est recadrée, avec l’accent mis sur les faits. Puis le Mal est refoulé, en le séparant de l’essence profonde de la personne et de ses aspirations.

La deuxième partie consite à nous faire comprendre que cette servitude n’est autre que notre véritable liberté.

En effet, la partie simple et naïve de notre personnalité interroge de manière ingénue, ‘’Qu’est-ce ?’’. Il semblerait que le fond de sa question et identique à celui de l’impie. La seule différence est son ton candide. Après avoir repoussé le côté obscur de la personne, il n’y a plus de risque d’entendre poser des questions simplement pour provoquer. A présent, cette même question pourra être posée sous sa forme innocente. Le sens profond de cette interrogation est bien la recherche de la liberté dans les contraintes imposées par D.ieu. La réponse de nos Sages s’appuie sur une référence du Texte pour décrire comment Il nous a sorti d’Egypte ‘’de la maison des esclaves’’. L’accent est mis sur ce détail pour nous faire comprendre qu’en Egypte, nous n’étions pas seulement esclaves, mais aussi dans ‘’la maison des esclaves’’. Notre personnalité y était totalement occultée, notre identité fut bafouée, et notre nature intégralement annulée. Seul notre titre d’esclave fut conservé. L’asservissement n’avait pas de but précis, c’était l’esclavage pour l’esclavage. Alors D.ieu nous sortit, non pas de notre titre de serviteur, mais de notre état d’esclave. Nous sortîmes de ce lieu où notre définition profonde était cette subordination à la Matière. Pour cela, il fallait nous faire sortir ‘’avec une main ferme’’. A partir de ce moment, bien que cela n’eut pas d’incidence sur notre titre, nous fûmes délivrés des limites étriquées qu’imposait notre nature précédente. Esclaves de l’Infini, nous retrouvâmes notre essence, réelle définition de la Liberté.

Intégrer ce message de manière rationnelle est certes envisageable, mais la partie en nous ‘’ne sachant pas questionner’’ a du mal à ressentir cette notion et cette servitude aussi difficile que libératrice. La seule réponse pouvant pénétrer notre intériorité dans son ensemble est bien… notre sensibilité. L’injonction d’éveiller cette partie de nous-même est écrite au féminin, pour inciter cette facette de notre personnalité à véhiculer ce message. Notre sensibilité, nos émotions, peuvent donner vie à des concepts désincarnés. Vivre la Volonté Divine et pas seulement l’accomplir est l’unique solution à cette insensible réaction.

L’injonction d’éveiller cette partie de nous-même est écrite au féminin, pour inciter cette facette de notre personnalité à véhiculer ce message. Il y a lieu d’ajouter que le rôle de la femme est ici mis en exergue, en utilisant ses capacités affectives pour donner une dimension vivante et sensible à notre relation avec notre Créateur. Elle seule permettra de trouver l’équilibre entre des aspirations élevées et une réalité commune et banale.

Ainsi se conclut cette seconde partie, révélant non pas la légitimité du Service Divin comme la première, mais plutôt le dévoilement de la liberté véritable, à travers le sentiment profond d’avoir retrouvé son essence.

Ces Quatre Fils sont donc ce développement menant l’Homme à sa fidélité, sa Emouna, envers D.ieu et Ses préceptes. Grâce à ce développement, nous avons une compréhension plus complète de ce paradoxe caractérisant cette nuit du Seder, entre contraintes et affranchissement.

Les Quatre Questions et les Quatre Fils – Conclusion

A la lumière de ce qui a été dit, un parallèle entre ces quatre facettes de notre personnalité et les quatre questions posées d’emblée au début du Seder peut être établi.

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La question sur l’exclusivité de la Matsa, aliment clé de notre servitude et de notre souffrance d’une part, et signe de la hâte de la délivrance d’autre part, correspond au Sage. Elle symbolise notre état d’esclave permanent.

La question sur les herbes amères correspond à l’Impie, cette partie séparable de notre essence qui, de nature, conservera à jamais le goût amer de la dépendance à notre Monde.

Tremper les aliments, signe de majesté et de richesse, est lié au Simple, rectifiant l’idée de la liberté en faisant de nous des Princes à la table du Roi des Rois.

Le fait de s’accouder, quant à lui, exprime l’idée d’opulence non pas comme un concept, mais comme un mode de vie. Le dernier fils y trouve ainsi un moyen d’éveiller ses sensations endormies.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.