Pessah – Plus rapide que le temps…

Pessah – Plus rapide que le temps…

Durant sept jours, tu mangeras… des Matzot… car c’est avec précipitation que tu as quitté le pays d’Egypte

Devarim 16, 3

Dans notre société en pleine accélération, où nous vivons dans l’immédiateté des nouvelles technologies « censées » nous faire gagner du temps, et où nous sommes sans arrêt sous pression d’une efficacité constante, nous avons complétement perdu notre rapport avec « l’instant présent », ne se voulant plus être vécu. Pourquoi s’étonner alors si le bonheur et la satisfaction n’existent plus. La fête de Pessah, sur le nom de Passah qui signifie « sauté par-dessus » (pass-over en anglais), énonçant ainsi le caractère précipité de sortie d’Egypte, va nous aider à redéfinir la notion du temps, du zèle et de la hâte, pour ainsi nous permettre de retrouver la clef du bien-être.

Hipazon ou excès de zèle

La fête de Pessah se place sous le signe de la précipitation, du Hipazon. Cette pâte qui n’eut pas le temps de lever, à priori accidentellement, en raison de la vitesse fulgurante à laquelle se produisit la sortie d’Egypte, devient pourtant le phare symbolique de cette fête, La Matsa. Celle-ci doit être composé des mêmes ingrédients que son contraire le Hamets, leur seul distinction se trouvera dans le temps de repos avant la cuisson, marquant ainsi le caractère précipité de cette libération. D’après certaines coutumes, on porte le plateau du seder en chantant « bivhilou (précipitamment) nous sommes sortis d’Egypte ».

On retrouve ce même Hipazon concernant l’agneau pascal, qui devait être mangé par les Hebreux le soir précédant la sortie d’une manière presque bousculé : « la ceinture aux reins, chaussures aux pieds, bâton à la main, et vous le mangerez à la hâte ». Alors qu’ils n’étaient pas encore sur le point de se mettre en route, la Torah cherche à leur donner l’apparence de gens alertés, comme si la liberté ne pouvait se découvrir que dans une urgence où son émergence doit nous trouver déjà dépassé dans l’acte que nous entreprenons pourtant.

Comment expliquer cet excès de zèle comme synonyme de délivrance ? Cette manière de sortir ou de manger n’est-elle pas plutôt le fait d’hommes qui fuient leurs poursuivants que celle d’hommes libres ?

En fait, explique le Maharal de Prague, l’empressement de la sortie d’Egypte n’était pas l’expression d’une rapidité dû à une urgence conjoncturelle. Elle était l’objet d’une intervention divine, non soumises aux lois de la nature, venant placer ce peuple d’Israël à un niveau hors du temps et de la finitude, un niveau d’éternité. C’est ainsi qu’on comprendra les propos du prophète Samuel qui évoquera dans la suite, D.ieu, comme « L’Éternité d’Israël qui ne ment pas ».

Dans cette logique, se justifie parfaitement le caractère impérissable de la Matsa, contrairement au Hametz qui, par cause d’un simple laps de temps, va être appelé à s’abimer et se détériorer.

Cependant, déjà est-il difficile pour nous d’assimiler l’idée même d’éternité qui, n’ayant ni début ni fin, ne trouve aucune définition dans notre univers entièrement cyclique, mais alors en quoi serait-elle liée avec le comportement précipité. Aussi, n’y a-t-il pas beaucoup de présomption pour un peuple à se déclarer éternel ?

La Matsa et le zèle de la fourmi

Par ailleurs, cette propriété de laMatsa, l’absence de temps, va devenir une qualité inhérente à l’accomplissement de toute Mitsva. Le verset « vous surveillerez les matsot » pourra se lire aussi « vous surveillerez les mitsvot » nous révèlent nos sages,démontrant ainsi, au-delà du simple jeu de mots, qu’une Mitsva laissé au repos et non accompli avec élan, fermente, se désintègre et perd toute son intensité, au même titre que cette pâte qui passe du statut de Matsa au statut de Hamets. Comment comprendre une telle chose ? Une Mitsva accompli sans zerizout perdrait elle toute son importance ?

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Pour essayer de comprendre cela, penchons-nous sur les paroles du roi Shlomo dans Mishlei (6, 6), qui s’extasie devant le zèle ébouriffant de la fourmi, qui travaille sans relâche durant l’été afin d’engranger des vivres pour la saison froide, et proclame : « paresseux, va vers la fourmi, observe ses manières de faire et instruis-toi ». Ce comportement stupéfiant de la fourmi n’a pourtant pas interpellé Rabbi Yohanan, qui a donné une série de comportements que l’on aurait pu apprendre en observant les animaux même si la Torah n’avait pas été donnée, et concernant la fourmi il dit qu’en l’imitant nous nous serions gardé du vol (Erouvin 100b).

En fait, explique le Rav Isthak Hutner, la notion de zerizout n’a rien à voir avec le fait d’agir vite, qui n’est que le reflet du degré d’envie ou de volonté, valable autant pour une Mitsva que pour aller voir un match. La zerizout est un concept supérieur, rattaché à l’accomplissement d’une Mitsva, et qui si la Torah n’était pas donnée, serait dénuer de sens, obligeant ainsi la fourmi d’être le symbole d’autre chose. Qu’est-ce que donc la zerizout?

Pour répondre, il nous faut regarder dans le Midrash Rabba qui s’interroge sur le roi Shlomo, qu’aurait-il vu de si utile pour le paresseux en lui indiquant d’aller apprendre de la fourmi ? Et le Midrash explique que celle-ci ne se nourrit que d’un grain de blé et demi, et pourtant Rabbi Shimon bar Yohaï témoigne qu’un jour on trouva dans le trou d’une fourmi une quantité de 300 Kour (plus de 70 000 litres) de nourriture qu’elle engrange de l’été à l’hiver. La raison qu’elle se trouve pour justifier son attitude, affirme le Midrash : « Peut-être qu’Hashem décrètera davantage de vie pour moi, et ainsi, j’aurais de quoi manger ». La fourmi serait-elle surréaliste?

Une telle question serait la preuve d’une mauvaise compréhension de ce qu’est la zerizout. Le zèle qui se traduit souvent par le fait d’agir avec élan, n’est en fait que le résultat et l’expression d’un désir ardent à atteindre une destination sans faire de chemin. C’est une aspiration à s’échapper du temps et s’arracher des limites temporelles pour se rattacher à une dimension plus éternelle. C’est ce que nous révèle cette fourmi au travers de son désir d’immortalité, et c’est ce que représente la Matsa, qui porte en elle le message du hipazon, caractère précipité de la sortie d’Egypte. Cette intervention divine qui venait marquer une nouvelle création, celle de la naissance de notre peuple, devait avant tout redéfinir la notion du temps. Celle-ci devait inscrire notre existence dans une temporalité qui porte au plus profond d’elle-même le but qu’elle réalise. Afin d’élucider cette idée, il faudrait revenir d’abord sur la nation même du temps.

A la poursuite du temps

Le Gaon de Vilna explique que les premiers mots de la Torah « bereshit bara elokim » viennent révéler que le premier élément de la création fut le temps, porteur de ce reshit, d’un commencement en voie d’une finalité. En ce sens, le temps que nous connaissons n’est qu’une « créature » temporelle d’un monde en gestation, un monde où toutes nos actions s’inscrivent dans un processus en vue d’une destinée. C’est la signification même du mot Zéman temps de la racine de Hazmana – réservation, qui définit le temps comme une préparation, comme un moyen d’accéder à ce pourquoi il est destiné. Il explique ainsi le sens de l’expression de prière ossé bereshit (celui qui fait le commencement) qui se démarque de la formule plus générale de ossé maassé bereshit (celui qui fait l’ensemble des créatures), plaçant ainsi la dimension du temps comme substance de base, comme support existentielle permettant l’existence du restant des créatures. Cela rejoint l’idée du Maharal, où toute substance matérielle est inévitablement soumise à la dimension temporelle et au changement, une idée qui est mieux comprise depuis la révélation d’Einstein de la relativité générale, où il existe une interaction entre la matière et l’espace-temps, ou comme il l’écrit : Temps et l’espace et de la gravitation n’ont pas d’existence séparée de la matière.

Nous vivons dans un univers entièrement plié à l’ordre du temps. Un ordre lié à une relation de cause à effet, où les évènements défilent et se succèdent les uns après les autres, dans un flux qui transforme le présent à peine vécu en passé aussitôt disparu. On a l’impression que les choses se matérialisent pour mieux disparaître. Dans cette perception, le temps est rattaché à la mort et à la disparition, où le moment présent que nous traversons est constamment rejeté dans un passé illico évaporé, comme dans un rêve où toute chose est vouée à disparaître.

Pourtant, nous connaissons tous ce désir instinctif qui réside en l’homme, le désir d’immortalité? Comment comprendre cette aspiration ou plutôt ce fantasme de faire échapper le temps à sa fugacité, et d’attraper le moment présent pour le faire perdurer allant à la poursuite d’un temps qui lui-même se volatilise?

Il semblerait que cette sensation est issue de l’histoire du premier homme, Adam, qui vivait l’éternel présent dans le jardin d’Éden avec sa femme Ève. Ce n’est qu’après avoir été chassé du paradis pour avoir mangé du fruit de l’arbre défendu, qu’il dut désormais cultiver le sol « à la sueur de son front » pour subsister. A la jouissance de l’instant a succédé le travail pour entretenir sa vie, autrement dit, l’activité pratiquée en fonction de buts placés dans l’avenir.

L’éternité au cœur du temps

De ce fait, nous pouvons comprendre la signification profonde de l’injonction donnée au moment de la sortie d’Egypte : « Ce mois-ci sera pour vous le premier mois ». Il s’agit en fait d’une interprétation nouvelle de l’éternité, capable de s’inscrire au cœur même de la temporalité. C’est être capable de vivre le moment présent comme sur un arrière-plan d’éternité, un peu comme l’image de nuages qui passent et défilent sur un ciel immuable et constant. N’est-ce pas Platon qui faisait du temps une image mobile de l’éternité!

A travers cette Mitsva du premier mois, Le reshit originelle est redéfini, et nous enjoint à considérer l’instant présent non pas comme la raison d’être d’un instant suivant, mais comme l’expression génitrice d’un projet, conduisant notre univers vers son ultime dévoilement.

Le Hipazon de la sortie d’Egypte est une manière de sortir de l’instantanéité du temps, et de ne pas se limiter à la fugacité de l’actuel si rapidement inactuel, mais plutôt essayer de vivre à son rythme tout en parvenant à le transcender. Ceci se manifeste dans la zerizout ou l’action zélée, qui est une manière de résoudre cette contradiction factuelle entre la finitude d’un monde processive et l’éternité de l’esprit absolu. Vivre sans zerizout, c’est accepter d’être condamné à la mortalité du temps.

« Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir ». Et Pascal de continuer « Ainsi nous ne vivons jamais mais nous espérons de vivre; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais ». Nous avons tendance à détruire notre vie au nom d’un bonheur futur, qui ne se matérialise jamais et qui disparaît aussitôt qu’il arrive. La solution se trouve dans l’action pressée de la sortie d’Egypte, qui dévoile une nouvelle conception du temps, non pas comme des grains d’un sablier qui s’écoulent d’un futur à un passé sans laisser aucune empreinte, mais comme un moment présent qui avance et se superpose sur une réalité au-delà des limites. C’est ainsi qu’on arrivera à vivre pleinement l’instant présent, sans devoir faire recourt à toutes formes de relaxation et de méditation tellement à la mode au

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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