Peut-on assigner en justice un chef d’état en cours de mandat ?

Peut-on assigner en justice un chef d’état en cours de mandat ?

La semaine dernière, pour la première fois dans l’histoire d’Israël, un Chef de gouvernement en exercice a été appelé à comparaître en justice lors d’un procès pénal. Il s’agit bien de Binyamin Nétanyaou qui s’est tenu devant le tribunal dimanche dernier pour une audience sur son affaire. La question se pose de savoir si, selon la Halacha, un chef d’état doit être jugé comme tout autre accusé, ou non?

Immunité parlementaire – La situation juridique actuelle

Avant d’aborder le sujet, passons en revue ce qui est convenu par la loi. La loi en Israël accorde l’immunité parlementaire au président, aux ministres du gouvernement et aux membres de la Knesset. Ils ne peuvent être inculpés d’infractions pénales, sécuritaires ou civiles que si leur immunité a été levée par la Knesset sur recommandation du procureur général et du comité de la Knesset. Parfois, l’impression est que certains exploitent leur statut et leur immunité et violent sciemment les lois et les règlements, dans le domaine pénal (détournement de fonds publics) ou d’autres domaines.

Cette immunité est divisée en deux types:

  • L’immunité de fond (ou irresponsabilité) – protège le parlementaire de toute poursuite pour des actions accomplies dans l’exercice de son mandat. Cette immunité est absolue et ne peut être supprimée.
  • L’immunité de procédure (ou inviolabilité) – vise les infractions commises sans rapport avec l’exercice de ses fonctions. Dans ce cas l’immunité n’est pas systématique, mais le membre de la Knesset mis en examen peut faire appel au Comité de la Knesset et lui demander de lui accorder l’immunité pour des raisons bien précises.

Le législateur savait que, s’agissant d’un membre de la Knesset, l’acte d’accusation aurait pu être déposé dans la discrimination ou par manque de bonne foi afin de nuire à son activité publique, et a inscrit cet argument comme clause dans la loi. De plus, en ce qui concerne le Premier ministre, il a été déterminé que seul le procureur général pouvait approuver l’ouverture de l’enquête.

Il nous faut à présent examiner l’approche halakhique sur cette question.

L’immunité de fond

Le concept d’immunité n’est pas tenu pour acquis dans la loi d’Israël. Fondamentalement, chaque personne peut être critiquée pour ses actions, et elle en est responsable même si elle les a faites dans l’exercice de ses fonctions. Cependant, nous trouvons différentes lois halakhiques dans lesquelles les sages ont exempté des titulaires de charge qui avaient commis une erreur dans l’exercice de leurs fonctions.

D’après la Tossefta (baba kama §6; 17), lorsqu’un enseignant frappe un élève ou qu’un émissaire du tribunal frappe un justiciable qui refuse de comparaître et le tue accidentellement, il ne sera pas condamné à fuir vers les villes de refuge. En effet, le tribunal accorde une dérogation à l’agresseur qui a agi « avec la permission d’un tribunal », afin de permettre une conduite raisonnable des titulaires de charge, qui ne craindront ni ne s’abstiendront de faire leur travail.

Cette idée est exprimée clairement dans le Talmud (Sanhedrin 6b) : Et si le juge se lamente en disant: Pourquoi devrais-je m’engager dans une tâche aussi lourde et difficile? Le verset déclare: « Il est avec vous pour juger », d’où il résulte qu’en rendant sa décision, un juge n’a que ce que ses yeux voient. Il lui est enjoint de porter le meilleur jugement possible sur la base des informations dont il dispose et il n’est responsable de rien d’autre

La Tossefta (ibid) cite aussi le cas d’un médecin expert qui aurait blessé involontairement son patient, et déclare que celui-ci n’en sera pas responsable. La raison de cette règle est de promouvoir le bien-être de la société (tikoun haolam – Tossefta Guitin §3; 8). Cela constitue une exception à la règle selon laquelle on est toujours responsable de ses actes (adam mouad léolam). Sinon, le médecin s’abstiendrait de guérir (Tachbetz 111, 82). Néanmoins, cette exemption dans les cas non intentionnels est, dans le langage de la Tossefta (baba kama 6; 17): « des lois de l’homme, et son jugement est rendu au Ciel ».

Ces questions concernent toutes sortes de responsabilités délictuelles de fonctionnaires publiques, comme par exemple, les dommages causés par inadvertance par les forces policières ou autres. Toutefois, ces questions ne sont valables, comme indiqué plus haut, uniquement pour des infractions commises dans le cadre de la fonction de la personne. En revanche, l’immunité de procédure, c’est-à-dire contre les infractions sans rapport avec son rôle, et qui n’est accordée à une personne qu’en vertu de son statut, n’existe pas en droit juif, sauf pendant certaines périodes où le roi craignait que le pouvoir judiciaire ne soit lésé, comme nous le développerons ci-dessous.

Immunité de procédure

La michna dans Sanhédrin (18a) enseigne : Un roi ne juge pas et n’est pas jugé.

Cependant, concernant cette halacha, Rav Yossef a précisé qu’elle n’a été enseignée uniquement en ce qui concerne les rois d’Israël, qui étaient violents et désobéissants aux lois de la Torah, mais en ce qui concerne les rois de la maison de David, le roi juge et est jugé, comme il est écrit: « O maison de David, dit le Seigneur, exécute la justice le matin » (Yermiyaou 21; 12). Or, celui qui n’est lui-même pas soumis au jugement, ne peut juger les autres, en vertu du principe enseigné par Reich Lakich à partir du verset « hitkosheshu vakoshu » (tséfania 2; 1) : Ornez  vous-même d’abord, puis ornez les autres. Et donc, puisqu’il est compris dans le verset de Yermiyaou  que les rois de la dynastie davidique peuvent juger les autres, il est sous-entendu qu’ils peuvent également être jugés.

Mais quelle est finalement la raison pour laquelle nous ne pouvons pas juger les rois d’Israël ?

La crainte du roi Yanaï et des rois d’Israël

Le Talmud (sanhédrin 19a) raconte la tragédie sous-jacente à la raison pour laquelle on ne peut pas juger un roi d’Israël : Le roi Yanaï avait été convoqué devant le tribunal lors du procès d’un de ses serviteurs accusé de meurtre. Alors que celui-ci venait de s’asseoir en entrant au Beit Din, le grand Tana, Chimon ben Chetach ordonne aussitôt les sages: Mettons nos yeux sur lui [Yanai] et jugeons-le. Et il poursuit : Yanaï le roi, tenez-vous debout et laissez-les témoigner sur vous. Et sachez que vous ne vous tenez pas devant « nous », mais devant le Créateur du monde!. Le roi Yanaï alors répond : Je ne ferai pas ce que vous dites, mais seulement ce que vos collègues disent. Les autres sages avaient peur et ne voulaient pas être aussi audacieux que Chimon ben Chetach, et ils ont donc caché leurs visages vers le sol. Chimon ben Chetach leur dit: Êtes-vous des maîtres de pensées? Laissez venir le vrai maître des pensées et qu’il se débarrasse de vous. Immédiatement, l’ange Gavriel est venu les battre contre le sol et ils sont morts. À la suite de cet incident, il a été décrété qu’un roi n’était pas impliqué dans le jugement; il ne peut être jugé ni témoigner.

Cette histoire laisse entendre que c’est le roi Yanaï qui aurait assassiné les sages. En effet, il suffit de lire l’histoire raconté dans le traité kidouchin (66a), pour comprendre que le roi Yanaï n’épargnait aucune force et ne s’abstenait d’aucun moyen pour imposer son pouvoir, jusqu’à même tuer tous les sages d’Israël dans le feu, suite au conseil de Elazar ben Po’ira. Maintenant que les sages devaient lui faire face et lui dire de se lever, aucun des courtisans n’osait le faire, craignant que Yanaï ne répète son premier acte.

C’est ainsi qu’il ressort également des paroles du Rambam :

Nous avons déjà expliqué que tous les rois de la Maison de David peuvent être jugés et que l’on peut témoigner à leur propos, alors que les Sages ont décrété que les rois du Royaume d’Israël ne peuvent ni juger, ni être jugés, ni témoigner ni être l’objet d’un témoignage, car ils méprisent les Sages et il en résulte profanation et déconsidération de la Loi. (lois des rois chap 3 §7)

Est-ce un règlement qui complimente le roi d’Israël ?

Bien sûr que non! Cela indique plutôt une mauvaise situation dans laquelle se trouve le peuple, qu’il ne peut pas juger le roi comme toute autre personne, en raison de danger, alors que conformément au droit pur, le roi est soumis à la loi et à son système d’application. Par conséquent, l’immunité accordée aux rois à l’époque de la Michna indique le début de la dissolution du régime à la fin de la période du Second Temple, lorsque le régime a cessé d’obéir à la loi elle-même, une désintégration qui s’est terminée par la destruction du temple.

Le Talmud de Jérusalem (roch hachana 7b) illustre cela avec un dicton latin : פדא בסיליוס או נימוס או גריפות – Pour le roi la loi n’est pas écrite.

Cependant, le Kessef-Michné s’interroge: Si la différence réside entre un roi juste et un roi méchant, pourquoi le Talmud la définit-il comme une distinction entre les rois de la maison de David et les autres rois?  C’est pourquoi, il prétend qu’en vérité, les rois de de David se distinguent des autres rois, et doivent être jugé dans tous les cas, même s’ils présentent un danger similaire aux rois d’Israël, et cela, conformément au verset dans Jérémie (21; 12) « O maison de David, dit le Seigneur, exécute la justice le matin ».

Le Lehem-Michné quant à lui, ne partage pas cette détermination, et affirme que si une situation de danger est présente même chez les rois de David, ils ne seront pas assignés en justice. Seulement, les sages ont supposé que les rois de David seront humbles, et ils ne se comporteront jamais comme ceux d’Israël.

L’approche du Talmud de Jérusalem – Honneur au roi

Il est intéressant de constater une approche différente dans les écrits de Rav Yonathan de Lunel, qui interprète l’interdiction de juger le roi non pas à cause d’un danger, mais simplement parce qu’il  est honteux pour lui de se présenter devant un tribunal, inférieur à son niveau. On trouve déjà cette approche dans le Talmud de Jérusalem (sanhedrin 2; 3), qui ne répond pas comme le Talmud de Babylone comme quoi il s’agit d’un règlement adopté qu’à partir de l’époque de Yanaï, mais cela date déjà du temps de David, qui avait demandé de ne pas être jugé par des juges « de chair et de sang » mais plutôt par le rois de tous les rois, conformément au verset dans les psaumes (17; 2) « que ma justice paraisse devant ta face ». Il semble donc y avoir une controverse entre le Talmud de Babylone et celui de Jérusalem, si la raison de ne pas assigner un roi est par crainte de sa réaction, ou par respect de son honneur. [Cependant, il n’est peut-être pas nécessaire de dire qu’il existe un différend entre les Babyloniens et les Jérusalémites. Le rav Yitzchak Yedidia Frankel (rav de Tel Aviv) a tenté expliqué qu’il n’y a pas de désaccord entre eux, mais que la différence est due à des situations différentes].

Sur le plan pratique

Les décisionnaires contemporains, tels que le rav Chaoul israéli ainsi que le rav Yehuda Zoldan, écrivent que dans un état civilisé comme aujourd’hui, où le premier ministre ne peut pas tuer ni même agresser les juges qui l’ont condamné, celui-ci aura le devoir de se tenir en justice pour ses actes. Le rav Ouziel a également tranché de cette manière et a critiqué la possibilité d’accorder l’immunité aux élus, en ces termes: « Malheur à nous, de revenir à l’âge d’Hérode sur lequel a été dit: « Le roi ne juge pas et n’est pas jugé », mais appliquons plutôt le même principe que pour les rois de la maison de David, qui « jugent et sont jugés ».

Atteinte à l’intérêt public

Nous avons souligné dans l’introduction, qu’un des motifs pour accorder une immunité de procédure, est que l’acte d’accusation n’était pas de bonne foi. Cette inquiétude existe particulièrement pour le premier ministre, qui, naturellement, a de nombreux opposants. Nous avons également relevé que, parfois, enquêter sur un Premier ministre pour certaines infractions porte atteinte à l’intérêt public, car la gravité de l’infraction ou ses circonstances ne justifient pas une atteinte grave au fonctionnement du gouvernement.

Bien qu’il soit difficile de trouver une source halakhique directe traitant de la question, nous trouvons dans le commentaire de rav Itshak Arama (Akeidat Itshak Berechit §25b) une idée intéressante sur le sujet. Cela concerne les paroles d’Avner Ben Ner, chef de l’armée du roi Chaoul.

Dans le livre de Chemouel (II §3), il est conté qu’après la mort de chaoul, David a été nommé roi à Hévron dans la tribu de Juda. Le chef de l’armée de Chaoul, Avner Ben Ner, a alors nommé le fils de Chaoul ‘Ich-Bochet’ comme roi sur le reste des tribus d’Israël. Pendant ce temps, il est raconté que Ich-Bochet le roi, reproche à Avner d’avoir des relations avec la concubine de son père Chaoul. Avner fut très irrité des paroles d’Ich-Bochet, et il répondit: « Suis-je une tête de chien, qui tienne pour Juda? Je fais aujourd’hui preuve de bienveillance à la maison de Chaoul …» Suite à cela, Avner décide de quitter Ich-Bochet pour se rallier au royaume de David à Hevron.

Ses paroles à première vue ne sont pas si bien comprises. Rav Itshak Arama s’étonne d’ailleurs sur le rapport que fait Avner entre le royaume et sa faute avec la concubine de Chaoul. Toute punition est pourtant censée être en rapprochement avec la faute. Et il explique que la logique d’Avner était, que dans une telle situation où lui-même était l’homme principale de la maison de Chaoul, il trouvait complètement stupide qu’on lui fasse de tels reproches. Lorsqu’il s’agit d’une personnalité dont tous le monde dépend, il est absurde d’adresser des réprimandes quelles que soient leurs envergures. De son point de vue, Ich-Bochet aurait dû être prudent comme David avec Avichaï (voir Chemouel II; 19). C’est pourquoi, quand Avner entend les paroles d’Ich bochet, ne voulant pas le considérer comme un saut, il le suspecte que celui-ci ne veut plus rester fidèle à lui dans ses guerres, et qu’il cherche simplement une excuse pour le lui révéler etc.

Rav Yitzchak Arama explique qu’il n’y a pas de place pour se quereller avec celui de qui le peuple dépend, car cette querelle pourrait être interprétée par lui comme ayant le rôle d’expression d’incrédulité qui blessera le peuple tout entier. Nous pouvons apprendre de là, que parfois, l’intérêt public est plus important que de se préoccuper des délits d’une personne. Son jugement peut toujours être repoussé jusqu’à ce que cette personne ne soit plus dans une position clé.

Aujourd’hui…

Nous vivons à l’ère d’une société occidentale et moderne qui est censée défendre « les droits de l’homme », sa liberté et sa dignité. Malgré-tout, il faudrait être aveugle pour ne pas discerner cette haine profonde envers Nétanyaou, entretenue par les « responsables » de la justice, ainsi que par les médias qui ont trouvé une bonne proie pour accroître leur rhétorique médiatique.

Le système de la Torah protège l’image de D.ieu qui est en l’homme, tout en conservant l’égalité devant la loi. Certes, tout le monde est égal devant la loi, mais cependant, tout se passe dans la discrétion et l’austérité. Tant que le justiciable n’apparaît pas comme coupable, l’ensemble du processus se passe avec réserve  et de manière très respectueuse. Le système occidental lui, ne se soucie pas de la dignité de la royauté et du gouvernement. Il est intéressant de constater aussi dans ce système, qu’il n’y a même pas de présomption légitime pour les juges ainsi que le système juridique, mais ceux sont les médias qui « assureront » la bonne conduite du système.

Nous n’avons plus qu’à  prier que se réalisent la prophétie de Yéchayaou (1; 26) : Je rétablirai tes juges tels qu’ils étaient autrefois, Et tes conseillers tels qu’ils étaient au commencement. Après cela, on t’appellera ville de la justice.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.