Le fils rebelle est jugé selon son devenir
Dans la section de cette semaine, le verset énonce : « Si un homme a un fils qui s’écarte et se rebelle, qui n’écoute pas la voix de son père ni celle de sa mère etc., et tous les gens de la ville le lapideront avec des pierres et il mourra » (Dévarim 21; 18)
Cette sanction apparait beaucoup trop sévère et totalement disproportionnée au regard de la faute commise. Cet enfant glouton et buveur, finalement, se conduit de manière frivole, et ne respecte pas ses parents ni ne leur obéit. Et pour un tel comportement, il mériterait la mort par lapidation ?! Nos Sages s’interrogent et se demandent : « Ainsi, pour avoir mangé le poids d’un « tartémar » (environ 250 grammes) de viande et avoir bu un demi « log » (environ 40 centilitres) de vin, ce garçon doit être conduit devant le Tribunal pour être lapidé ?! Ils répondent que la Thora pousse l’analyse du comportement d’un tel garçon jusqu’au bout, et prévoit qu’en définitive ce dernier dilapidera l’argent de son père, et faute de trouver satisfaction finira par se poster à la croisée des chemins pour dévaliser les créatures. La Thora préfère qu’il meure innocent plutôt qu’il ne périsse coupable. Un propos similaire est rapporté : « le Ben Sorèr Oumoréh – le fils rebelle » est mis à mort à cause de sa fin prévisible.
La Thora fixe ici un principe sans précédent : ce fils fautera sans équivoque. Il est voué à devenir criminel, sans aucun espoir de le voir s’amender. En d’autres termes, son libre-arbitre l’a quitté. Nous ne trouvons un tel principe nulle part ailleurs. A aucun autre endroit de la Thora ne se présente un tel cas, où l’on puisse témoigner dès le début qu’une personne s’apprête inexorablement à suivre la mauvaise pente, sans aucun espoir de repentir.
C’est là, le sens du rapprochement des mots « Sorèr Oumoré – libertin et rebelle », et ainsi que l’explique le Seforno, sa rébellion est sans aucun doute ce qui l’empêche de se repentir de sa débauche.
« Nous avons été libertins et rebelles »
Dans le Vidouy de Yom Kippour, nous reconnaissons personnellement et exprimons notre propre rébellion en utilisant ces mêmes termes, lorsque nous disons « Sorerim oumorim hayinou – nous avons étés libertins et rebelles ». Il ne fait pas l’ombre d’un doute que ces mots ont été inspirés par notre paracha.
Dans ce cas, comment comprendre que le Vidouy fasse partie intégrante du processus de téchouva alors que notre paracha vient justement exprimer qu’il n’existe pas de téchouva possible pour ce fils rebelle?!
Il semble que cela vient nous enseigner un principe fondamental :
Bien que ce fils rebelle, dont il est question ici, soit un cas rarissime au point même que selon certains avis, il n’ait même pas existé, malgré tout, chacun de nous, tel ce personnage décrit par la Thora, est susceptible de se trouver dans des situations qui le conduiront à fauter. Sur cette base, la Thora vient témoigner que celui qui néglige les garde-fous mis en place en relation aux mauvaises mœurs, en arrivera à transgresser les interdits essentiels. Et ainsi en va-t-il de même pour toutes les lois de distanciation, véritables « barrières de protection » établies par nos Sages de mémoire bénie.
L’essentiel du reproche porte sur ce qui nous conduit à la faute
L’essentiel du reproche fait à l’homme pour ses fautes, ne porte pas sur la transgression elle-même, mais sur le fait de s’être mis dans une situation qui l’a poussé à fauter. Nos Sages ne nous apprennent-ils pas qu’un homme ne faute que parce qu’un souffle de folie l’y a conduit ?! Dans ce cas, comment réprimander cet homme pour avoir failli ? N’a -t-il pas été justement poussé par ce vent de folie ? N’est-il pas dans ce cas considéré comme irresponsable de son acte ? Le Rav Haim Chmoulevitch ztsl explique que la responsabilité porte sur le fait que la personne ait pu se retrouver dans ce cas de figure qui lui a laissé la possibilité de trébucher et de se faire prendre dans les filets de l’interdit.
La plupart des transgressions ont pour origine un mode de vie malsain. Indubitablement, une personne qui court après le temps en permanence, en mode « pressé », finira par négliger la récitation des brakhot. De même, tout celui qui ne se fixe pas un temps en viendra à rater l’heure de la lecture du Chéma Israel. Pareillement en va-t-il concernant les interdits relatifs aux mauvaises mœurs, qui sont le résultat de regards inappropriés en des lieux inopportuns, ainsi que du manque de rigueur quant aux endroits fréquentés.
Ce n’est pas pour rien que l’on retrouve dans notre Paracha la permission pour le soldat parti en guerre d’épouser la « belle captive ». A ce sujet, nos Sages expliquent que la Thora a accordé cette permission pour contrer le mauvais penchant, car si elle ne le permettait pas, le soldat l’épouserait de façon illicite. La Torah témoigne par là qu’une personne dans une situation de guerre finira par fauter, et ainsi l’autorisation d’épouser une telle femme est-elle accordée ici de manière inédite.
L’homme a tendance à voir les fautes comme des choses indépendantes de sa façon de vivre. C’est ainsi qu’il lui est possible de mener sa vie à sa guise et décharger sa conscience en pensant : « tant que je ne commet aucun crime, quel est le problème ? » Cependant, nos Hakhamim, avec leurs garde-fous, nous font savoir que sans l’installation de telles précautions, rien ne saura empêcher l’homme de fauter; et cela, même pour des détails qui nous semblent sans importance.
On comprend de là, que l’essentiel du libre-arbitre de l’homme ne se situe pas dans l’interdit même, mais bien au niveau du mode de vie qu’il s’est choisi, ses fréquentations, son environnement, la manière dont il organise sa journée, sa façon de manger et de boire, etc.
La dimension élevée d’un homme tient donc bien davantage au mode de vie qu’il s’est fixé que dans sa propension à se retenir de fauter.
Même s’il faute à l’avenir, c’est aujourd’hui qu’il est appelé impie
Une question célèbre est celle de comprendre quelle est la différence entre le fils rebelle jugé sur son devenir, et la guémara Roch Hachana (16b) qui nous apprend qu’un homme ne peut pas être condamné sur ses actes futurs, comme il est dit à propos de Ychmael « car Elokim entendit la voix du jeune homme là où il était » ? Le Réem explique à ce sujet, que le fils rebelle a déjà entamé le comportement néfaste qui influencera son futur, c’est pourquoi sa sentence est d’être tué à cause de sa fin prévisible. Ce n’est pas le cas d’Ychmael qui fut jugé sur son présent, malgré ses actions à venir préjudiciables.
L’explication est la suivante: la sanction ne s’exerce pas sur le futur mais sur la situation présente qui fixe l’avenir du racha’. En ce qui concerne Ychmael, il ne suffisait pas que son avenir soit celui d’un impie pour être puni car il ne pouvait être jugé sur cela. Par contre, le fils rebelle quant à lui, a engendré son futur à travers ses actions présentes, et c’est sur cela qu’il est jugé.
On retient que le support du mal qui se trouve en l’homme se situe dans le fait qu’il se mette lui-même en situation de fauter, ainsi qu’il est rapporté dans la guémara Baba Batra (57b): celui qui fait le choix d’emprunter une rue mal fréquentée est appelé lui-même impie, même si pour y passer, il ferme les yeux.
Il est désormais possible de mieux comprendre le rituel du Vidouy que nous récitons tous, en ces termes « nous avons été libertins et rebelles », car chacun de nous est susceptible de se comporter comme ce fils rebelle, ne serait-ce que pour une seule transgression. Il nous arrive de générer des conditions qui ne manqueront pas de nous conduire à fauter. Effectivement, nous aussi, vivons le présent de cette façon, sans prêter attention où cela nous porte, mais en réalité nous façonnons nous-mêmes nos propres fautes. Et même si nous ne sommes pas vraiment comme ce fils rebelle de la Thora qui ne fera jamais téchouva, il peut également arriver à chacun de s’égarer dans des voies sans issue, à D-ieu ne plaise.
Le repentir en modifiant son mode de vie
A la lumière de ce qui a été dit, la façon de faire téchouva tient essentiellement dans un changement de mode de vie, dans le fait de changer ses mauvaises habitudes, de sortir de sa routine néfaste.
Nos Sages dans Ménahot (29b) s’interrogent sur la création du monde à partir de la lettre ‘Hé’ ! Et d’expliquer que le monde, tout comme le ‘Hé’ qui est « ouvert » vers le bas, ressemble à grande piece ouverte, et quiconque le souhaite peut quitter le droit chemin. Ils demandent également pour quelle raison, le « pied » de cette lettre, côté gauche, n’est relié à rien et semble suspendu ? De manière à ce que s’il désire se repentir, l’homme puisse revenir par cette petite ouverture du haut, expliquent-ils. Mais pour quelle raison ne rentrerait-il pas par l’endroit d’où il est sorti, demandent-ils encore. Et de répondre : il a été fait à l’intention du fauteur une ouverture supplémentaire, car il a besoin d’être aidé.
Que rajoute cette petite ouverture supplémentaire ? La grande ouverture par laquelle l’homme est sorti ne suffit-elle pas ?! Il semble que le Baal Téchouva ait besoin d’un nouveau passage, un nouveau chemin de vie. Il ne peut faire marche arrière et se repentir par la voie qu’il a emprunté pour s’écarter du bon chemin, avec les mêmes habitudes. Ce sont ces règles de vie défectueuses qui l’ont poussé à fauter.
Il nous incombe dans ce cas d’être particulièrement scrupuleux sur ces petites choses qui nous semblent sans conséquence négatives sur nos vies, mais qui en vérité sont étroitement liées à notre devenir. Le mode de vie que nous choisissons est celui qui fixera notre futur et cela dans tous les domaines ; dans les heures que nous aurons choisies pour nous coucher, dans notre façon de manger, dans celle de nous vêtir, dans l’environnement que nous choisissons…