Vayétsé – Quand le ciel rejoint la terre

Vayétsé – Quand le ciel rejoint la terre

Le départ de Yaacov

La Paracha commence par les mots « Vayetsé Yaacov – Yaacov est sorti ». L’accent est mis sur le départ du lieu qui avait été consacré par ses Pères. Celui que la Thora qualifie d’« homme intègre, qui vivait dans les tentes », est tenu de partir, de quitter la maison d’étude. Avant cet instant, Yaacov avait atteint le niveau spirituel le plus élevé – 63 années passées dans la maison de Ytshak, en plus des 14 années consacrées à étudier chez Chem et Ever. D’ailleurs, nous enseignent nos Sages (Yébamot 76) – à 84 ans, le corps de Yaacov n’avait jamais connu d’impureté. Et voilà que maintenant, il part pour « Haran », nommée ainsi car cette région abritait des hommes éveillant la colère du Maître du monde, on y retrouve le mot « haron af  » (midrach).

Yaacov quitte soudainement l’univers où il a pu tisser un lien étroit avec Hachem, pour plonger au cœur d’un monde profane inconnu et profondément étranger – un monde sans rapport aucun avec l’esprit d’Avraham dans lequel il a baigné depuis sa venue au monde. Ajoutons à cela que c’est en ce lieu qu’il est supposé trouver une épouse et édifier la Maison d’Israel. Tout ceci représente une réelle décadence pour lui. Il en est bien conscient, et tremble par avance de ce à quoi il devra faire face.

Il ne comprend pas la raison pour laquelle il ne lui est plus possible de rester étudier à la Yéchiva, de continuer à s’élever en spiritualité et laisser à Essav tout ce qui a trait à ce monde-ci. Qu’adviendra-t-il de son aspiration à suivre le chemin de son père ? Pourra-t-il à Haran poursuivre ce parcours unique et si particulier ?

Le rêve de l’échelle va éclairer Yaacov dans ces questionnements.

La vision de l’échelle

Au cours de sa route, lors de son sommeil, Yaacov voit une échelle posée à terre dont le sommet atteint le ciel, et des anges qui y montent et y descendent. Dans ce même rêve, Hachem apparaît à Yaacov et lui fait trois promesses : 1/ le protéger en chemin, 2/ lui donner Erets Israel en héritage, 3/ bénir et multiplier sa descendance comme la poussière de la terre.

A priori, l’essentiel du rêve avait pour destination de transmettre à Yaacov ces trois promesses. Si tel est le cas, quelle est la place de la vision de l’échelle ? Quel est le lien entre ces deux sujets ? Par ailleurs, c’est précisément la vision de l’échelle qui impressionna Yaacov, au point qu’il déclara à son réveil « Ici se trouve la porte du Ciel ».

Il nous importe donc de comprendre le sens de cette échelle, ainsi que le phénomène des anges qui y montent et y descendent ? Depuis quand ont-ils besoin d’une échelle pour monter au ciel ?

De même, le lieu où est posée l’échelle mérite réflexion. Nos sages nous enseignent que la base de l’échelle était posée à Beer‑Cheva et son sommet parvenait au ciel au-dessus de Beth‑El. Cela signifie que son centre était situé sur le Har Hamoria, endroit du Beith Hamikdach ! Le Maharal s’étonne d’ailleurs à ce sujet : quelle est la sainteté particulière du milieu de l’échelle, contre lequel le temple est dirigé ? Il est en effet entendu d’attribuer une sainteté au sommet de l’échelle, car c’est le point de destination céleste. Est également possible de considérer le point de départ et lui accorder une sainteté. Mais quelle est la logique de prendre un point au centre et d’y voir la Porte du Ciel ?

Le Beith Hamikdach dénommé « cou »

Nous trouvons dans la Thora que le Beith Hamidach est surnommé « cou » (Berechit 45; 14). Le Maharal (Gour Arié) explique que le cou est le point de jonction entre le corps matériel et la tête, support de l’esprit de l’homme et de sa néchama. Ainsi le Mikdach est dénommé cou, car il correspond au point de rencontre entre le ciel et la terre.

C’est ce qui explique que le Beith Hamikdach vienne justement se positionner au milieu de l’échelle. En effet, le ciel est aussi loin de la terre que la distance qui sépare le matériel du spirituel. Et le passage de l’un à l’autre nécessite de gravir de nombreux échelons. La seule et unique chose capable de connecter et d’embrasser ces deux contraires, c’est le temple. Car le Beith Hamikdach est un lieu céleste posé sur terre. De ce fait, il n’est pas possible de le relier uniquement au ciel pas plus qu’exclusivement à la terre. Mais il est le point médian entre eux, qui englobe et rassemble les deux extrémités.

Lorsqu’il est dit dans le Talmud (Sota 45) « du jour où le Beith Hamikdach fut détruit, il n’y a pas un jour qui ne porte de malédiction, où ne descende pas de rosée de bénédiction et où n’est pas annulé le goût des fruits ». Nous ne devons pas prendre cette affirmation comme une mesure de punition envers le Peuple Juif avec la destruction du Temple. Cette réalité est une conséquence, car cette rencontre entre le ciel et la terre dans le Beith Hamikdach permettait à la matérialité de s’élever. C’est semble-t-il la raison pour laquelle nous mentionnons le Beith Hamikdach dans le Birkat Hamazon (voir Maharal Nétiv haavoda chap 18).

A partir de tout cela, nous comprenons beaucoup mieux le sens de la vision de l’échelle.

Le point de jonction entre le ciel et la terre

L’échelle symbolise Yaacov avinou lui-même (Zohar), qui est parvenu à établir la jonction entre le ciel et la terre. Nos Sages racontent que les malakhim étaient troublés et confus, ils descendaient sur terre et voyaient Yaacov avinou couché sur la pierre, ils montaient au ciel et là également ils trouvaient Yaacov avinou. De fait, l’homme fut créé autant à partir du ciel que de la terre (Rachi Berechit 2; 7) car sa vocation est d’établir un lien entre eux. Yaacov qui est l’homme parfait par excellence, est le plus éminent « connecteur » et représente la plus valeureuse expression de ce principe. C’est cela que vient exprimer l’image de l’échelle.

Ce dévoilement fut une révélation pour Yaacov. Ce qui lui fit dire « Assurément (akhen) l’Éternel est présent en ce lieu, et moi (anokhi) je ne le savais pas ». Rabbi Chimchon de Austropoli explique que le mot « akhen » est l’acronyme des mots ‘Arié – Kérouv – Nécher’ : lion, chérubin et aigle, les trois figures que Yaacov savait être gravées sur le Trône céleste. De même, l’acronyme du mot « anokhi » est « Arié – Nécher – Krouv – Yaacov », mais cela – ‘je ne le savais pas’.

Yaacov perçoit dans le message divin l’affirmation selon laquelle la faculté majeure de ce Peuple – celui-là même qu’il s’apprête à établir – sera la capacité à faire descendre le ciel jusqu’à la terre, à sanctifier le matériel pour l’amener à un niveau où « Hachem se tient au-dessus de lui ». C’est pourquoi, les promesses que Yaacov reçoit mettent l’accent sur les actions terrestres, sur l’établissement de ce peuple extraordinaire dans sa terre, et sur son influence sur toutes les nations.

D’après ce qui a été dit, nous pouvons également comprendre la notion des anges montant et descendant l’échelle. En fait, ils montent et descendent à travers Yaacov lui-même, symbolisé par l’échelle. C’est ainsi que le Rav Haim de Volozhin (Nefesh Hahayim 1; 19) interprète ce verset : « Ils montaient et descendaient dessus – sur Yaacov ». Parce que l’homme a le pouvoir et la capacité d’élever par son essence le monde tout entier. Ici se révèle à Yaacov la puissance de son influence, comment toute la création pourra s’élever à travers lui et le peuple qu’il est sur le point d’établir, et comment il réussira à faire descendre les influences célestes sur terre.

Élever la terre ou faire descendre les cieux ?

Reste encore à répondre à la question de savoir quel est l’essentiel ? Consiste-t-il à élever la terre jusqu’au ciel, ou bien à faire descendre les cieux sur terre ?

Lorsque Yaacov se réveille de son sommeil, il donne deux noms à cet endroit. L’un Beth Elokim – la Maison du Seigneur qui exprime ce potentiel de créer un dévoilement de la Chekhina sur terre. Le second Chaar Hachamayim – la Porte du Ciel qui révèle cette faculté de monter au ciel. Cependant, lorsqu’il se lève le matin, il emploie un seul nom : « Il appela cet endroit Beth El – Maison d’Hachem ». Et de même en va-t-il du vœu que formule aussitôt Yaacov, qui souligne sa promesse d’établir en ce lieu ‘Beth Elokim’. Et en contrepartie du fait qu’Hachem lui procure du pain pour manger et des vêtements pour se vêtir, il promet que ‘Hachem sera pour moi Elokim’, là encore – Elokim sera avec moi et non pas moi avec Lui.

Yaacov mérite d’avoir ce dévoilement suprême dans son sommeil. C’est la réponse d’Hachem au moment où il se dirige vers la maison de Lavan et s’apprête à construire sa propre maison, base de l’édifice de tout le Peuple Juif. A cet instant précis, Yaacov est appelé à intérioriser cette notion. Jusqu’alors Yaacov a vécu une lutte avec Essav, observant cette contradiction évidente entre un homme siégeant dans les tentes et un homme des champs. Et voici qu’au moment de quitter la maison de son père pour l’exil, il lui apparaît clairement que la réalité matérielle n’est pas uniquement la préoccupation de Essav. Elle est même précisément celle de Yaacov, car Essav est lui-même totalement inapte à établir une connexion entre matérialité et spiritualité.

Le Désir du Ciel

Il nous reste maintenant à savoir comment pouvons-nous vraiment avoir conscience de pouvoir combiner ciel et terre ? Et comment Yaacov mérita-t-il ce niveau ?

Il semble que la réponse à cette question se trouve dans les paroles du midrach :

« ‘mon âme a soif de Toi, ma chair te désire passionnément, sur un sol altéré, aride, sans eau’  (Téhilim 63). Nos maîtres disent que de même que mon âme est assoiffée de Toi, ainsi tous mes 248 membres sont assoiffés de Toi. Où cela ? Sur un sol aride, sans eau »

berechit raba 69; 1

Le midrach fait ici allusion à la comparaison entre David et Yaacov. De même que David fut forcé de fuir Jérusalem contre son gré, seul et pourchassé dans le désert ; ainsi, Yaacov est contraint de quitter la maison paternelle et la terre d’Israel pour un avenir incertain, sur un parcours semé de souffrances et d’épreuves.

David, assoiffé et fatigué, atteint dans son honneur, de quoi parle-t-il en cet instant ? Pas de sa famille qu’il a dû abandonner, pas plus de sa royauté perdue, mais de sa soif du D-ieu Vivant. De même, explique le Sefat Emet, Yaacov mérita un tel rêve du fait de sa profonde soif de Hachem. Au cœur de ce rêve, il comprend que de même que son âme est assoiffée du Divin, ainsi, même affairé aux sujets de ce monde, il est également possible d’élever toute matérialité par cette aspiration et cette soif.

C’est justement dans les périodes et les situations que l’homme traverse où il se sent coupé de son âme, à des moments où il se rapproche des sujets terrestres, qu’il lui incombe de tourner ses pensées et ses aspirations vers son Père au ciel. Rabbi Nahman de Breslev nous a appris la chose suivante : « Tu te trouves où tes pensées se trouvent, et sache que tes pensées se situent où tes désirs te portent ». Le languissement et la soif d’Hachem sont ce qui préserve l’homme en toute circonstance, et ce faisant, ils lui permettent de mériter la brakha. « Je te garderai partout où tu iras » nous dit le verset.

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.