« Exilés » dans les hôtels : un sentiment de perte de contrôle
Lors de ma récente visite aux évacués du sud, qui cherchent actuellement refuge dans des hôtels après avoir subi l’attaque traumatisante du Hamas contre leurs régions respectives, j’ai pu observer un sentiment dominant de frustration et d’anxiété. L’incertitude et le manque de contrôle sur leur situation semblaient leur ronger le moral. Alors qu’ils parlaient des conditions favorables dans les hôtels, comme les repas réconfortants, les fauteuils confortables, la piscine, les ateliers et les cadeaux occasionnels, il y avait un sentiment sous-jacent qui résonnait dans leurs mots : « On se croirait dans une prison ici ! ». Cette déclaration surprenante contrastait avec le cadre idyllique de l’hôtel, mais c’est un sentiment fréquemment exprimé par les évacués. Le déplacement forcé de leurs foyers, l’absence d’un sentiment de sécurité et les sentiments accablants d’aliénation et d’incertitude ont tous contribué à cette perception d’être piégés ou emprisonnés.
À la lumière de ces émotions vécues par les évacués, tournons maintenant notre attention vers notre Paracha qui marque le début la descente en exil.
Le cœur réveillé de Yaacov cherche encore un encouragement !?
En entendant la nouvelle stupéfiante de la survie de Yossef en Égypte, le cœur de Yaakov déborda d’une joie indescriptible, résonnant avec les mots : « la vie revint au cœur de Yaacov leur père » (Berechit 45:27). Dans ce moment de pur bonheur et d’épanouissement, l’esprit de Yaakov aspirait à se lancer dans un voyage immédiat « Je veux partir poser à nouveau mes yeux sur lui, avant de mourir ». La Torah insiste sur le fait que « Israël s’est mis en route », en soulignant spécifiquement le nom « Israël », qui symbolise la nature élevée et exaltée de Yaakov, soulignant ainsi ce summum de l’exaltation. Contrairement à ses prédécesseurs qui offraient des ‘olot (holocauste), Yaakov a choisi de présenter des sacrifices de nature distincte, les « zeva’him », communément appelés “chélamim” (Rac Ch.R Hirsh). Ces offrandes, partagées par tous, symbolisaient un sentiment d’unité et de joie communautaire. Par cet acte, Yaacov a cherché à exprimer son sentiment de plénitude et sa gratitude sans limite envers Hachem.
Cependant, à ce moment précis, Dieu ressentit le besoin de rassurer personnellement Yaacov en lui disant : « N’aie pas peur de descendre en Égypte ». Cela nous incite à réfléchir : Pourquoi Hachem a dû encourager Yaacov, alors qu’il se lançait avec impatience dans un voyage pour retrouver son fils bien-aimé ? Est-il habituel d’ordonner « N’aie crainte !» à celui qui n’a apparemment pas peur ?
« Les charrettes de Pharaon » – emprunter ce moyen de transport ?
Une observation intéressante à faire est qu’après la révélation divine, Yaacov se leva et entreprit son voyage vers l’Égypte accompagné de ses fils, en profitant des charrettes qui avaient été gracieusement envoyées à leur usage. En étudiant les versets, il apparaît que c’est à ce moment précis, alors qu’il quittait Beer Sheva, que Yaacov décida d’utiliser les charrettes de Pharaon. Cela pique notre curiosité d’explorer la raison de sa décision de s’abstenir d’utiliser ces charrettes plus tôt, lorsqu’il a initialement quitté sa maison pour prendre la route.
En vérité, l’empressement de Yaacov à se rendre en Égypte provenait uniquement de son désir de voir Yossef. Une fois qu’il aurait retrouvé son fils bien-aimé, le désir de son cœur était de retourner sur la Terre sacrée d’Israël. C’est pourquoi, Yaacov a choisi de se lancer seul dans son voyage, sans compter sur le moyen de transport fourni par Pharaon. Le refus de Yaacov d’utiliser les moyens de transport envoyés par Pharaon n’était pas dû à un quelconque dédain ou mépris, mais plutôt au reflet de sa détermination inébranlable à ne pas se laisser détourner de son objectif. Il ne souhaitait pas succomber par inadvertance à l’offre alléchante de s’installer en Égypte, comme le souhaitait Pharaon. Yaacov, dans sa noble nature, ne souhaitait pas s’encombrer de la bonne volonté de Pharaon, il préféra donc ne pas emprunter ce moyen de transport.
« Il offrit des sacrifices au Dieu de son père Isaac »
On peut aller plus loin et suggérer que Yaacov, conscient de l’alliance de ‘ben habétarim‘ transmise par la tradition familiale, selon laquelle ses descendants connaîtraient un dur exil, était inquiet qu’on lui demande de quitter sa terre natale pour l’Egypte. Il espérait tant que l’exil en question ne serait pas déclenché par lui. C’est pourquoi il s’arrête à Beer Sheva et prie « le Dieu de son père Isaac ». Il aurait été opportun de mentionner également le « Dieu d’Avraham » ou en tout cas d’omettre toute mention des ancêtres et écrire simplement « il offrit des sacrifices à son Dieu ». Le Ramban explique que la peur de Yaacov provenait de l’attribut de ‘Din (rigueur) associé à l’exil, symbolisé par Isaac.
Cependant, au milieu de cette révélation que Yaacov reçoit à travers « ses visions nocturnes » (Berechit 46:2), une transformation significative se produit lorsque Dieu appelle « Yaacov ! Yaacov ! » au lieu d’employer le nom « Israël ». Au cours de cette rencontre, Yaacov acquiert la compréhension de son rôle destiné à ouvrir la voie à un exil tumultueux. Il apprend également que Yossef sera celui qui posera la main sur ses yeux, comme l’explique Ibn Ezra, indiquant que son décès aura lieu en Égypte plutôt qu’en Terre d’Israël. Cette prise de conscience touche au cœur de la plus grande peur de Yaacov, car tout ceci indique le début de l’exil de ses enfants, qui a maintenant été indubitablement « signé » et mis en mouvement.
Le rôle transformateur de l’exil – un voyage de découverte de soi
Contrairement aux préoccupations de Yaacov, Dieu répond avec une perspective alternative : « N’hésite pas à descendre en Égypte, car je ferai de toi une grande nation » (Berechit 46:3). En effet, c’est uniquement dans les frontières de l’Égypte que tu t’épanouiras véritablement et deviendras une grande nation.
Il est vrai que l’exil est une expérience difficile qui implique de quitter sa patrie et son environnement familier. Le peuple juif, en particulier, est confronté à la difficulté supplémentaire d’être vulnérable aux influences étrangères, à l’assimilation et la perte d’identité. C’est aussi une période où la présence bienveillante de Hachem peut ne pas être aussi ouvertement visible, laissant la place à ceux qui souhaitent nuire au peuple élu. Malgré tout, l’exil joue un rôle indispensable dans la formation de l’identité de ce peuple. En réalité, c’est par l’exil que l’on peut véritablement se découvrir, voire se réinventer. Souvent, les transformations les plus significatives de la vie se produisent dans les moments difficiles où l’on se sent acculé. Face à des menaces existentielles, les individus puisent souvent dans des réservoirs cachés de force et de résilience qui étaient auparavant invisibles. Ces pouvoirs intérieurs émergent des profondeurs de l’âme, révélant leur véritable potentiel.
D’après cette même logique, nous pouvons ajouter que l’un des objectifs fondamentaux de l’exil est le sentiment omniprésent d’être un étranger au monde. Lorsqu’un individu décide de se déraciner et de migrer vers un pays étranger, même si sa situation matérielle est favorable et qu’il ne subit pas de souffrance particulière, demeure un sentiment persistant d’être déconnecté de son environnement. Il faut beaucoup de temps pour que ce sentiment d’éloignement se dissipe. L’adaptation à la culture locale, au mode de vie, aux coutumes et à la langue est un processus progressif qui s’étend sur plusieurs générations. Dans la Guemara, il est expliqué qu’il faut plusieurs générations pour qu’un converti se débarrasse de l’étiquette de « celui qui est originaire d’ailleurs ».
Mais finalement, c’est précisément ce sentiment d’étrangeté qui nous incitera encore plus à changer, à corriger, et à déployer de plus grands efforts pour créer un monde qui correspond à notre image. Le sentiment d’étrangeté est une indice, non pas pour abaisser notre propre niveau de vie pour nous sentir égaux aux nations du monde, mais au contraire, il suscite en nous le désir de mettre en œuvre des changements significatifs à l’échelle mondiale.
Pour conclure
En observant les évacués du sud, leur sentiment dominant d’être enfermés dans une « prison dorée » reflète clairement la détresse causée par l’absence de contrôle. Il est largement reconnu que les événements traumatisants privent souvent les individus de leur sens de l’action et de leur capacité à façonner leur propre destin. Par conséquent, une véritable guérison ne peut se produire que lorsque ce sentiment de contrôle est rétabli.
Dans un lieu où des forces extérieures dictent souvent nos vies et nous laissent un sentiment de déconnexion, nous devons reconnaître le profond sentiment d’impuissance qui peut surgir. Car c’est précisément ce sentiment d’impuissance qui devrait nous pousser à prendre des mesures sans précédent pour redécouvrir notre moi authentique et nous réapproprier notre raison d’être. Au cours de ce voyage, nous rencontrons des territoires inconnus qui peuvent sembler intimidants au premier abord. Pourtant, c’est dans ces espaces inconnus que nous avons la possibilité de nous transformer.
Au milieu de tous ces événements, étendons nos pensées et nos prières aux milliers de personnes qui se retrouvent exilées et déconnectées. Qu’ils puissent retrouver prochainement leur foyer, animés par de nouvelles motivations et un réservoir intérieur de force qui les rendent plus forts et plus résilients que jamais.