Parachat Mikets – Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve une réalité

Parachat Mikets – Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve une réalité

Yossef, Interprète et Conseiller

Paro fait un songe bouleversant qui ne lui laisse pas de repos. Dans le premier rêve, il voit sept vaches maigres manger sept vaches grasses. Dans le deuxième rêve, il voit sept épis minces et desséchés engloutir sept épis pleins et bien portants. Lorsqu’il se réveille, Paro se dépêche de faire appeler les magiciens pour qu’ils viennent interpréter son rêve. Mais aucun d’eux ne parvient à apporter une interprétation qui le satisfasse.

L’échanson, ancien prisonnier, se souvient alors de Yossef. Il raconte à Paro que le jeune Hébreu qui est en prison avait interprété ses rêves avec brio. Paro fait alors rapidement appeler Yossef pour qu’il interprète son propre rêve. Ce dernier interprète alors le rêve de la façon suivante : l’Égypte connaîtra sept années d’abondance suivies de sept années de famine.

En conséquence, Yossef conseille de stocker de la nourriture pendant les années d’abondance afin que le pays puisse survivre aux années de famine. 

Paro, impressionné par la sagesse et la personnalité de Yossef, le nomme à un poste des plus importants : vice-roi.

Quelle sagesse dans les propos de Yossef ?

Plusieurs questions se posent :

1. Pourquoi Paro a-t-il accepté l’interprétation de Yossef plus que toutes les autres ? Ses magiciens avaient pourtant proposé diverses interprétations, comme le rapportent nos Sages, par exemple : « Sept filles te naîtront et tu en enterreras sept autres », ou : « Tu conquerras sept provinces et sept autres te combattront ». Quelle est donc la raison pour laquelle Paro a accepté les paroles de Yossef tout particulièrement ?

Pour résoudre cette difficulté, un midrach explique que Paro avait également rêvé de l’interprétation du rêve mais qu’il l’avait oubliée. Lorsque Yossef a exposé son interprétation, Paro s’en est alors souvenu et a su que c’était la vraie interprétation. 

2. De manière générale, on peut se demander quelle est la si grande sagesse qui transparaît dans l’interprétation du rêve, pour que Paro soit impressionné à ce point par Yossef et dise « Nul n’est aussi intelligent et sage que toi ». Après tout, les détails de la vision indiquaient clairement une famine et une abondance, non ? Il est possible que les magiciens aient refusé d’envisager cette possibilité à cause de leur confiance dans le Nil qui irrigue l’Égypte, et qu’ils n’aient pu imaginer qu’une famine était possible. Mais il ne fait aucun doute que les éléments du songe de Paro indiquaient une famine et une abondance ! Où se trouve alors la grande sagesse de Yossef ?

3. On peut également se demander pourquoi Yossef a conseillé à Paro : « Qu’on établisse des intendants sur le pays pour lever un cinquième des récoltes de l’Égypte pendant les sept années d’abondance. Qu’ils rassemblent toute la nourriture de ces bonnes années… Cette nourriture sera mise en réserve pour le pays, pour les sept années de famine… » Yossef n’avait été sollicité par Paro que pour interpréter son rêve ! Comment a-t-il donc osé outrepasser ce qu’on lui demandait et donner des conseils au roi d’Égypte ?

Une interprétation porteuse de message

En analysant l’ordre des versets, il apparaît que ce qui a impressionné Paro est précisément le conseil de Yossef de stocker de la nourriture et d’accumuler des provisions pendant les sept années d’abondance en prévision des années de famine. L’émerveillement de Paro ne vient pas après que Yossef ait expliqué la signification du rêve, mais après le conseil concret de Yossef sur la façon de s’organiser suite à cette interprétation.

Voilà ce que Paro a trouvé dans l’interprétation de Yossef qu’il n’a trouvé dans aucune autre proposition : l’interprétation du rêve avait un sens et un message sur ce qu’il incombe de faire. Les interprétations des magiciens se contentaient de prédire l’avenir, sans donner aucun conseil. C’est pourquoi elles n’ont pas convaincu Paro. Il ne voyait aucun intérêt à une telle explication, qui rendait le rêve sans signification pour lui. Même si cela pouvait être possible et plausible, pourquoi ferait-il un tel rêve ? Dans quel but ? Et surtout, pourquoi le roi d’Égypte plus que tout autre devait faire ce rêve ? C’est ce qui ressort de l’expression du verset « et personne ne pouvait les interpréter à Paro » (41:8), c’est-à-dire qu’il y avait peut-être des interprétations, mais pas pour Paro. Paro pensait que le rêve lui était adressé en sa qualité de monarque, et que l’interprétation devait donc être liée au fait qu’il était le chef de l’Égypte.

Contrairement aux interprétations des magiciens, l’interprétation de Yossef apportait un objectif et un but. Ce faisant, il a donné une signification au rêve. Paro a ainsi compris pourquoi ce rêve lui était spécifiquement adressé, comme responsable de l’Égypte, pour qu’il puisse s’organiser et faire face aux années de famine à venir.

Il semblerait même que le conseil de Yossef ne venait pas comme un conseil extérieur, mais qu’il faisait partie intégrante de l’interprétation du rêve. C’est ce qui ressort du commentaire du Ramban (41:36) qui écrit que Yossef a dit à Paro que la nourriture devrait être mise en réserve pour les années de famine, et qu’on ne devrait pas l’utiliser pour autre chose afin que le pays ne soit pas détruit, tout comme les vaches maigres n’étaient pas mortes de famine. Autrement dit, la survie de ces vaches malgré leur maigreur indiquait qu’il y avait une solution pour les années de famine.

C’est pour cette raison que Yossef a osé conseiller Paro, car en effet cela faisait partie de l’interprétation demandée. Ce sont justement les magiciens qui se sont contentés de prédire l’avenir sans donner aucun conseil qui n’ont pas réussi à convaincre Paro. Paro a été impressionné par le conseil très concret de Yossef, précisément parce que c’était ce qui venait parachever l’interprétation du rêve.

À la lumière de tout cela, il semblerait que ce soit également la raison pour laquelle l’échanson a été impressionné par l’interprétation de Yossef de son propre rêve lorsqu’ils étaient en prison. Là aussi, Yossef ne s’est pas contenté de prédire l’avenir, mais il a donné une signification à la sortie de prison de l’échanson : « Si tu te souviens de moi quand tu seras rentré en grâce auprès de Paro, parle en ma faveur pour qu’il me tire de cette prison » (40:14). Autrement dit, Yossef a donné une signification à l’interprétation du rêve de l’échanson : que celui-ci agisse pour le faire sortir de prison. Ce faisant, Yossef a donné un sens à leur rencontre. Certes, l’échanson a renié sa promesse et n’a pas voulu agir pour faire libérer Yossef. Mais deux ans plus tard, la prédiction s’est réalisée avec le rêve de Paro. A ce moment-là, l’échanson ne put continuer d’ignorer sa rencontre avec Yossef.

Yossef fait correspondre les vaches maigres et grasses

Yossef ne se contente pas de déchiffrer les détails d’un rêve, mais il donne un sens en reliant tous ces détails à un objectif. Les magiciens égyptiens avaient bien compris que l’interprétation était liée à sept choses bonnes et sept choses mauvaises, mais ils n’avaient pas su faire le lien entre ces événements. Yossef a expliqué la correspondance entre les vaches maigres et les vaches grasses : les sept années d’abondance sont nécessaires pour survivre aux sept années de famine.

Qui plus est, il y a un détail qui est rapporté dans le verset décrivant le rêve de Paro mais qui n’est pas mentionné lorsque Paro raconte son rêve à Yossef : « Les vaches décharnées se tenaient à côté des vaches grasses, sur le bord du Nil » (41:3). Autrement dit, avant que les vaches maigres ne mangent les vaches en bonne santé, elles se tenaient côte à côte. 

En réalité, Paro a trouvé l’explication de ce détail, qui montre le lien entre les années d’abondance et les années de famine, dans l’interprétation de Yossef – alors que Yossef n’était pas lui-même au courant de ce détail. Paro a alors compris qu’il y avait nécessairement quelque chose de divin dans l’interprétation de Yossef, comme il le dit : « c’est un homme qui a l’esprit de Dieu en lui ».

Le rêve libère l’homme des chaînes qui l’entravent

En y regardant de plus près, les rêves ont façonné toute la vie de Yossef. Ses frères le haïssent à cause de ses rêves, au point de vouloir le tuer. Il sort de prison grâce à son interprétation du rêve de l’échanson. Et il devient vice-roi d’Égypte en interprétant le rêve de Paro. Autrement dit, ce sont les rêves qui font l’histoire de Yossef, et en même temps celle du peuple d’Israël.

Yossef, personnage visionnaire, comprend que les rêves sont capables de ce dont la réalité est incapable : libérer l’homme des chaînes qui l’entravent. Le rêve est l’expression intérieure de l’homme dans un état où il se trouve affranchi de toute influence extérieure. Le quotidien enferme l’homme et l’empêche de s’échapper de son cadre. Le tumulte de la vie extérieure lui fait oublier son état intérieur. Pendant le sommeil, lorsque le corps de l’homme est au repos, les forces de l’âme s’éveillent et la volonté intérieure de l’homme prend le dessus. Ce que l’âme de l’homme ne peut exprimer quand le corps est actif, elle le fait lorsqu’il est dans un état de “un soixantième de mort”. C’est le rêve.

Selon la science, l’homme fait de nombreux rêves chaque nuit, mais au réveil il ne s’en souvient pas bien. C’est parce que la vie matérielle est en contradiction avec la vie spirituelle de la nuit.

On peut expliquer ainsi l’enseignement de nos Sages (Berakhot 55b) : « Tous les rêves suivent la bouche ». La parole, on le sait, est le point de rencontre entre l’intellectuel et le matériel. C’est elle qui est capable de transformer le rêve en réalité. La bouche se tient entre le monde de la pensée et le monde de l’action. L’interprétation donnée aux rêves peut convaincre et ainsi stimuler l’homme vers la réalisation de ladite interprétation.

L’interprétation des rêves est le pont entre la vie intérieure, spirituelle, qui sommeille en l’homme, et la vie réelle, matérielle. C’est pourquoi l’existence du rêve dépend de son interprétation. Le bon et le mauvais sont les deux faces d’une même pièce ; tout dépend de la façon dont on relie le matériel au spirituel. 

Yossef a compris que le rêve pouvait le sortir des chaînes de sa vie et l’amener à un sublime destin. C’est ce qu’ont dit nos Sages (ibid.) : « celui qui dort sept jours sans faire de rêve est appelé “mauvais”», parce que celui à qui manque la capacité de rêver ne voit le monde que tel qu’il est et non tel qu’il pourrait être.

Conclusion

L’homme ne peut pas changer les faits de la vie, mais dans une large mesure, la façon dont il façonne la réalité dépend bel et bien de lui. Le sens donné à la réalité dépend uniquement de lui.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

Leave Comment