Parachat Vayétsé – Amour sororal et conduite morale

Parachat Vayétsé – Amour sororal et conduite morale

Notre Paracha conte l’épopée de Yaacov Avinou, depuis sa fuite jusqu’à son séjour chez Lavan. Son mariage avec ses filles ainsi que la naissance de ses enfants nous sont décrits avec moults détails. Nous allons, pour notre part, nous attarder sur la fameuse discussion entre Ra’hel et son époux. 

En effet, elle est assez intrigante. Ra’hel, victime de sa stérilité, lui demande des enfants, ce à quoi il répondit que lui en a, Hachem l’a seulement privée à elle… (Belle réponse à donner à une femme en détresse…) Cette ‘discussion’ se conclut avec la proposition de Ra’hel de donner sa servante à Ya’acov. Que s’est-il passé exactement ?

Bien plus tard, il est écrit qu’Hachem s’est souvenu de Ra’hel, des ‘Simanim’ (ou signes) qu’elle a transmis à sa sœur Léa lors de sa nuit de noces. Pourquoi ce souvenir intervient seulement à ce moment ? Cet épisode s’est passé avant son propre mariage, pourquoi avoir attendu jusqu’à maintenant ?

A ce moment, lors de la naissance de Yossef, Ra’hel prononce une phrase qui à priori n’a pas sa place ici. Elle ne vient pas pour justifier le prénom donné, comme dans la naissance des précédents, car c’est le verset suivant qui donne la raison du nom de Yossef. Juste avant, elle dira ‘Assaf Elokim ete ‘Herpati’ qui signifie que D.ieu a effacé sa honte. Pourquoi l’avoir prononcé à ce moment ? 

Enfin, on peut se demander pourquoi lorsque Yaacov s’est enfui à la fin avec femmes et enfants, Ra’hel s’est tellement embêtée à voler les idoles de son père, un mécréant de la pire espèce ?

Pour répondre, il nous faut analyser la personnalité de notre matriarche, Ra’hel.

Après sept années de travail continu, où l’attente de se voir réunir avec son promis atteint son paroxysme, Ra’hel vit son père prendre sa sœur et la placer sous le dais nuptial. Malgré sa propre déception, elle se rendit compte que sans les signes que Yaacov lui avait transmis, le pot-aux-roses allait être découvert. Pour éviter de voir le déshonneur s’abattre sur sa propre sœur, elle désobéit à son fiancé et fit en sorte d’éviter la catastrophe. 

Cette force d’annulation de ses propres envies, de prendre le risque de perdre ce rôle si noble de matriarche, par égard à la dignité de Léa, nous montre la nature de cette femme. Elle suivit ses convictions, quitte à s’attirer les foudres de Yaacov, par égard aux émotions de son aînée. Pour elle, peu lui importe ses besoins, elle sera prête à mettre l’autre en avant, à placer le respect d’autrui avant ses projets. Elle méritera ainsi d’être nommée la ‘Akeret HaBayit, ou les Fondations de la Maison. Seule une personne capable de se vouer entièrement à son foyer, en oubliant sa propre vie, peut prétendre à la construction de la Maison d’Israel. 

C’est cette même flamme qui lui guidera de venir en aide à son père, en lui volant la source de son iniquité… Le fait que cela lui coûtera la vie ne sera pas un frein à cette décision…

Ainsi, la réprimande que Yaacov lui a faite au moment où elle lui demanda une progéniture ne peut se comprendre qu’à travers une étude de son essence. Nos Maîtres nous révèlent que Yaacov était un homme de Vérité, Ich Emet. Cette vérité, aptitude qui le caractérisait, lui fit réagir à la requête de Ra’hel de façon très vive. En effet, sa réponse cinglante fut : ‘Suis-je à la place de D.ieu qui t’as retenu le fruit de tes entrailles ?’. Le Nom utilisé ici est Elokim, spécifique à la Rigueur Divine. Son intention était de lui faire comprendre que son absence de fécondité n’était que la conséquence stricte de son abnégation. Elle était prête à refuser une mission illustre pour préserver l’intégrité de Léa, à elle d’en assumer les conséquences. Cette vision de causalité est le fruit même de la vérité qui animait notre patriarche. Son intégrité l’obligeait à replacer cette demande dans son contexte, refusant par cela d’implorer la Miséricorde divine. 

Nous pouvons ajouter que la Vérité en soi n’est pas à assimiler à la stricte rigueur. Seulement, c’est cette capacité à déterminer avec précision pour une situation donnée l’usage de la justice ou de son contraire, la pitié (cf. Mikhtav MéElyiahou). Ici, vu que lui-même avait des enfants, la Bonté divine n’avait pas besoin d’être suscitée, il pouvait se suffire d’une analyse de la réalité.

Ra’hel accepta le Jugement divin, fruit de sa propre décision. Elle décida donc de procréer par procuration, en donnant sa servante à Yaacov.

Malgré tout, Hachem se souviendra de ce qu’elle avait accompli et lui octroiera une descendance. Cela surviendra précisément durant l’épisode des mandragores, quand Léa accusera sa propre sœur en disant : ‘Déjà que tu m’as prise mon mari…’.

A cette attaque illégitime, Ra’hel se taira. Elle ne dira rien, gardera pour elle cette injustice criante. A ce moment précisément, Hachem se rappellera son acte héroïque. Comment, alors que c’était grâce à son sacrifice que le mariage de Léa et Yaacov a pu avoir lieu, que à cause de cela elle fut privée de participer à la création d’une famille, Léa a pu proférer une telle chose ? 

Le mérite de son silence sera la naissance de Yossef, le fils par excellence de Yaacov. C’est ce nouveau mérite qui la récompensera, car le fait d’avoir transmis les Simanim entraina au contraire la décision inverse. Dès lors, la honte qu’habitait Ra’hel, cette honte de voir un acte d’amour et de compréhension de l’autre se retourner contre soi, prendra fin. A la naissance de son fils, Ra’hel proclame au monde que nul acte ne reste sans conséquence. Le salaire d’une bonne action arrive quoi qu’il arrive. Le Maître du Monde veille sur chaque action et chaque non-action, rémunérant de manière légitime. Ce même Elokim qui lui rendit responsable de son absence de matrice, sera celui qui retirera sa honte grâce au mérite de ce silence…  

A la fin des temps, ce sera elle qui parviendra à faire revenir ses enfants de l’exil. Elle qui fut prête à renoncer à être l’épouse du Juste et la mère des Tribus, pour empêcher les larmes d’une mariée de couler, verra Hachem Lui-même sécher ses larmes et la consoler en lui promettant que sa maison, son foyer, sera à nouveau réuni sous une même fondation, celle d’une mère aimante et dévouée…