Parachat Vayakel – Comment ne pas passer à côté de ses talents

Parachat Vayakel – Comment ne pas passer à côté de ses talents

Peut-on réussir après une enfance maltraitée ?

Une étude a tenté d’analyser l’origine de la réussite chez les personnes ayant eu une enfance difficile, tant dans le domaine professionnel que social et familial. À première vue, tout poussait à croire qu’ils seraient voués à l’échec. Ayant expérimenté la misère, subi la violence parentale, l’abandon, la pauvreté… Rien, absolument rien, ne pouvait prédire le brillant avenir qui les attendait. Bien au contraire, en marge de la société ou même parfois incarcérés en prison, tout semblait indiquer qu’ils ne parviendraient jamais à exploiter leur potentiel inhérent. Malgré tout et contre toute attente, ils sont parvenus à s’en sortir et se hisser à de haut niveaux, et parfois même, plus que ceux dont les conditions initiales de base promettaient un bel avenir, et qui disposaient d’un tremplin tout prêt vers le succès. Comment expliquer un tel phénomène ?

Nous reviendrons sur cette question à la fin du développement.

Betsalel, prédestiné à la construction du Michkan

L’image qui ressort des Parachiot relatives à la construction du Michkan est celle de Betsalel. C’est l’homme qui a été choisi entre tous pour confectionner les ustensiles du Mikdach.

Après que les Bnei Israel aient apporté de tout cœur leurs offrandes pour les besoins du Michkan, Moché vante auprès d’eux les qualités de Betsalel comme LE personnage désigné pour être le chef d’orchestre de l’œuvre de fabrication du Michkan : « Voyez, l’Eternel a désigné par nom Betsalel, fils de Ouri, fils de ‘Hour, de la tribu de Yéhouda etc… Il l’a empli de l’esprit divin, d’intelligence, de discernement, de connaissance et d’aptitude pour tout art, etc » (Chémot 35; 30-31).

En réalité, dans la Paracha précédente déjà, Hachem avant fait l’éloge de Betsalel auprès de Moché dans les mêmes termes, et là également, il avait amorcé cette description de la sorte : « Vois, J’ai appelé par son nom Betsalel » (32; 2). Le Ramban explique la raison de cette insistance comme venant pour dire que le potentiel particulier que possédait Betsalel n’était pas fortuit. Betsalel avait été préparé depuis sa conception pour la confection des ustensiles du Michkan. C’est en cet honneur qu’il est venu au monde, d’après la formule : « Avant que tu ne sortes des entrailles maternelles, Je t’ai sanctifié ». Dès le début de la Création, la néchama élevée de Betsalel fut préparée pour cet instant où il serait désigné par ordre divin pour la construction du Michkan.

S’il n’en était pas ainsi, dit le Ramban, Betsalel n’aurait pu accuser ce passage entre cette servitude amère et grossière de l’Egypte et ce saint ouvrage délicat et raffiné de confection des ustensiles du Michkan.

Au cours des années d’esclavage en Egypte, les mains des Bnei Israel ne connurent que la boue, la vase et l’argile. C’est sans limites qu’ils furent asservis rudement dans un esclavage au cours duquel ils passèrent leur temps à pratiquer les travaux les plus grossiers comme la construction et la fabrication des briques. Comment parvinrent-ils, en l’espace du temps qu’il faut pour le dire, à se transformer en artisans orfèvres des plus précis dans le travail de matériaux tels que l’or, l’argent et les diamants, et cela, sans « formation professionnelle » ni aucune pratique préalable ?

C’est dans cette intention que Hachem dit à Moché « Vois, j’ai appelé par son nom, Betsalel », comme pour lui dire “prends conscience de ce phénomène extraordinaire, et sache que Je l’ai rempli de l’esprit divin pour être en mesure de réaliser tout cela au profit du Michkan”.

Chacun de nous peut être un Betsalel

Cependant, les qualités dont Betsalel fut gratifié, nous les retrouvons également dans une certaine mesure chez les autres auteurs de l’ouvrage. Ce fondement, le Ramban nous l’enseigne à partir de notre Paracha. Après que Moché ait fait l’éloge des qualités de Betsalel auprès des Bnei Israel, Moché lance un appel « à toute personne portée par son cœur pour entreprendre l’ouvrage, pour le faire » (36; 2).

Qui étaient ces gens portés par leur cœur ? Si l’on parle des donateurs, ils ont déjà été mentionnés sous l’appellation « dont l’esprit a été porté à donner ». Quel est donc le sens de l’expression « être porté par son cœur » ?

Le Ramban explique qu’il est question de ceux qui firent don de leurs compétences et leur énergie, et qui trouvèrent légitime de s’associer à la conception et la fabrication du Michkan. « Le port de leur cœur » selon la lecture du Ramban, vient exprimer le niveau d’élévation de leur cœur et cette conviction dont firent preuve les artisans qui prirent en charge la responsabilité de l’érection du Michkan, et cela, bien qu’ils n’aient jamais été formés aux métiers spécialisés nécessaires à sa construction. Ces mêmes personnes parmi les Bnei Israel, qui auparavant travaillaient de leurs mains, affairés à de grossiers travaux de manipulation d’argile et de confection de briques, prirent l’initiative et se présentèrent à Moché en disant « nous voulons également participer à la réalisation de l’ouvrage sacré, nous ferons tout ce que mon maître nous dira ». C’est là, le sens de l’expression « néssiout lev – être porté par son cœur », cette élévation dont parle la Thora.

Mais en définitive, notre questionnement n’est pas résolu. Comment purent-ils se présenter à Moché avec autant d’assurance et lui demander d’avoir une part dans un ouvrage aussi raffiné en manquant eux-mêmes de la plus élémentaire expérience, étant plutôt exercés aux métiers du bâtiment bien plus sommaires ? Cela ne ressemble-t-il pas au pilote immobilisé par une panne, dont l’un des passagers qui n’a jamais vu même de cockpit propose de prendre les commandes de l’avion, tant est brûlant son désir de décoller et d’arriver à destination !? Le Ramban lui-même ne nous a-t-il pas dit que Betsalel ne fut choisi que parce qu’il était prédestiné à cette mission depuis sa naissance !?

Mais il ajoute quelques mots néanmoins. Il explique que du fait de « d’être porté par son cœur », l’homme est susceptible de percevoir au fond de lui cette aptitude à mener à bien le projet en question.

Être porté par son cœur a pour sens, le dévoilement des compétences et capacités enfouies au fond de la personne.

A l’époque où ils étaient esclaves en Egypte, l’apprentissage du travail du bois et des métaux précieux n’était pas permis aux Bnei Israel. Par contre, le profond désir de contribuer à l’ouvrage du Michkan a permis de révéler en eux des forces créatives insoupçonnées. De la sorte, ils se sont dévoilés comme les plus talentueux artisans. « Être porté par son cœur » ne consiste pas en de l’orgueil ou de la prétention. C’est une pleine aspiration et une volonté profonde. C’est le dévoilement de prédispositions et de potentiels cachés en la personne pour être mis à la disposition du public et du sacré.

Merci Moché d’avoir cru en nous

Le Hatam Sofer (parachat tétsavé) va même plus loin dans ce propos. Il explique que c’est là la raison pour laquelle Moché a reçu l’ordre de se tourner vers tous les « Sages de cœur – les Hakhmei lev », et non pas vers Betsalel uniquement. « Et toi, tu parleras à tous les Sages de cœur que J’ai rempli d’un esprit de sagesse » (28; 2). Comme l’explique le Hovot Halevavot (introduction), tout homme détient un potentiel intérieur très profond dont HKBH l’a gratifié. Il existe de puissantes forces intérieures dont l’homme n’est pas toujours conscient, il faut que quelqu’un l’éveille à cela. Si personne ne lui révèle les talents et les facultés dont il a été gratifié, il est possible qu’elles restent cachées ‘comme la graine de semence’. La graine de semence, lorsqu’elle n’est pas nourrie par un environnement de terre adapté et d’eau qui lui est nécessaire, pourrit.

C’est le sens des paroles d’Hachem à Moché lorsqu’Il lui a dit : Tu parleras à tous les sages de cœur, et que leur diras-tu ? ‘Que tu les as remplis de l’esprit de sagesse’. Ce que tu leur diras et ce dont tu les informeras, c’est qu’ils sont remplis d’un esprit de sagesse, grâce à cela ‘ils confectionneront les vêtements de Aharon etc…’, car de la sorte, ils seront éveillés et seront à même de faire émerger leur potentiel interne et ainsi l’exprimer.

En cela, Moché rabbénou fait appel à tout un chacun parmi les Bnei Israel pour les engager à être « Betsalel ». Oui, Betsalel est né prédestiné à cette tâche dès l’origine de la Création, mais chacun de nous peut s’approcher de ce niveau et se transformer en cet associé principal dans la construction sacrée. L’appel de Moché a enclenché un mouvement d’hommes « portés par leur cœur », et tous purent ressentir cet élan profond qui ne demandait qu’à exprimer les qualités intérieures cachées en eux.

Quand la sagesse d’une femme édifie la maison

Pour illustrer cette idée, on peut citer l’histoire de la prophétesse Déborah et son mari Barak fils d’Avinoam. Barak était un homme simple et même ignorant, et pourtant il fut surnommé d’un nom prestigieux : « Lapidot » (de la racine Lapid ech/torche de feu). En fait, ce qui lui valut ce nom provient de ce qu’il fabriquait des mèches épaisses pour le temple, afin que leur lumière soit forte et puissante.

Dans le Midrash (Tanna Debey Eliyahou, chapitre 9), il est dit que grâce à ces actes de Barak, Deborah obtenu cet immense privilège d’exercer comme prophétesse et juge au sein Israël, à une époque où Pinchas ben Elazar était encore en vie :

« Dieu dit à la prophétesse : Déborah ! Toi qui a pris l’initiative de faire des mèches épaisses, afin d’amplifier la lumière dans le temple, Je te majorerai en Israël et sur les douze tribus d’Israël »

À première vue, il semble qu’il y ait ici une erreur. Après tout, c’est plutôt son mari Barak qui s’est assuré que les mèches soient épaisses. Pourquoi alors Dieu attribue-t-il ce mérite à Déborah son épouse ?

Seul celui qui comprend le poids de l’éducateur qui, tout en répandant son esprit sur ses élèves, est capable de découvrir les talents cachés en eux, peut comprendre pourquoi le mérite de l’action de Barak fut attribué au profit de sa femme Déborah.

Déborah, qui malgré sa grandeur et ses vertus exceptionnelles, accepte de nouer une relation conjugale avec un homme d’une grande simplicité, bien moins sage et instruit qu’elle. Et non seulement elle ne lui montre aucune condescendance ni ne lui témoigne aucun mépris, mais bien au contraire, elle se soucie obstinément de sa réussite dans ce monde – olam ‘hazé, et même pour son monde avenir – olam ‘haba.

Elle propose à son mari de se livrer à un métier simple qui ne nécessite aucune compétence préalable. Mais elle ne se contente pas de ça, elle lui demande d’orienter cette simple action vers des valeurs sacrées, et de conduire ses mèches au Michkan de Chilo’h. C’est ainsi que Barak parvient à exprimer son talent, il fait son travail avec beaucoup d’élégance, tout en prenant soin d’épaissir les mèches afin d’obtenir le plus de lumière possible pour le Temple. Cet investissement vertueux lui a valu l’illustre surnom de ‘Lapidot’.

« Qu’est-ce qui a fait que Barak soit compté parmi les hommes bons et dignes pour le monde avenir ? Sa femme Deborah ! Sur elle et sur ses semblables a été dit : La sagesse des femmes édifie la maison (Michlei 14; 1) »

« Tout ce dont l’enfant a besoin, c’est d’un adulte qui croit en lui »

C’est l’une des bases que l’on peut apprendre de la construction du Tabernacle.

Beaucoup de talents et de capacités sont cachés dans chaque personne, sans qu’elle en soit forcément consciente. Même lorsque c’est le cas, la personne a souvent peur des stigmates ou des échecs passés et ne parvient pas à prendre des initiatives et à se développer. Notre Paracha nous enseigne que tout homme est capable d’oser défier les prédictions les plus pessimistes. C’est ce qui est arrivé aux enfants d’Israel qui ont pris l’initiative audacieuse de participer à la construction du Mishkan. Selon le langage de la Torah, ils étaient « portés par leur cœur ».

Le désir ardent, ainsi que le sens de la mission de participer à cette construction, ont réussi à déceler leurs qualités profondément cachées et ancrées dans leur nature. Mais cela en soi n’était pas suffisant. Il fallait aussi que quelqu’un y croie. En effet, il est une grande règle en éducation : « tout ce dont un enfant a besoin, c’est d’un adulte pour y croire », pour reprendre les mots du rav Shlomo Carlebach. Même si un homme possède en lui beaucoup de facultés, si personne ne lui exprime son appréciation, il ne sera pas suffisamment conscient de ses capacités et aura du mal à les mettre en pratique. Par contre, si même une seule personne croit en lui, cela lui donnera une force énorme qui réussira à faire ressortir le bien qui se trouve en lui.

Si nous revenons à l’étude par laquelle nous avons ouvert notre propos, et à la question : qu’est-ce qui a fait que des personnes ayant eu une enfance difficile réussirent même mieux que celles dont le passé promettait un grand succès ?

En fait, cette même étude avait remarqué un dénominateur commun : tous les sujets avaient, sans exception, un adulte qui avait cru en eux. Cela pouvait être un voisin ou une voisine, un enseignant, un oncle, une tante, un grand-père, une grand-mère … Et ce qui est intéressant, c’est que cet adulte n’avait pas besoin d’être un personnage qui entretenait une relation régulière et à long terme avec le sujet. Cela pouvait être une rencontre aléatoire avec le même adulte, qui aurait réussi à persuader le sujet à l’aide d’un simple discours, que quelqu’un croyait en lui.

Alors rappelons-nous de ceci : chacun a en lui des ressources et des talents qui ne demandent qu’à se manifester. Ils n’attendent qu’une petite étincelle de foi, et quelqu’un qui croie en eux. Cette confiance les aidera à allumer leur potentiel, et à activer vigoureusement tous les moteurs de créativité contenue en eux. Alors pourquoi donc ne pas devenir ‘ce quelqu’un-là’ ?

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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