Chavouot – Entre le «Don» et la «Réception» de la Torah

Chavouot – Entre le «Don» et la «Réception» de la Torah

La fête de Chavouot tombe le 50ème jour alors que Matan Torah eut lieu au 51ème jour

La date de la fête de Chavouot correspond au 50ème jour du compte du Omer, soit 50 jours après la sortie d’Egypte.

Mais les commentateurs s’interrogent quant à savoir pourquoi la fête de Chavouot est appelée « זמן מתן תורתנו – moment du don de notre Torah ». Pourtant, le Don de la Torah a eu lieu le 51ème jour, à compter du lendemain de la date de la sortie d’Egypte. En effet, les Bnei Israël sont sortis d’Egypte un jeudi et reçurent la Torah le Chabbat, ce qui fait 51 jours.

Dans ce cas, pour quelle raison célébrons-nous cette fête le 50ème jour ?

En raison de ce questionnement, certains commentateurs proposent comme réponse le fait que le « moment » signifié de Matan Torah ne correspond pas à une date précise. Cela revient à dire que la fête de Chavouot correspond à la période où nous avons reçu la Torah mais pas forcément à une date précise. Mieux encore, le Rivach (responsa 96) écrit sans ambages qu’il n’y a aucun lien de corrélation entre Chavouot et Matan Torah.

Ces propos sont évidemment, spécifiquement innovateurs, car la guémara évoque à de nombreuses reprises le fait que Chavouot corresponde effectivement au jour où la Torah fut donnée.

La fête de Chavouot: un temps préparatoire ?

Une autre approche serait envisageable, le fait qu’en réalité, l’essentiel du don de la Torah que nous célébrons, ne correspond pas à celui où nous avons entendu les 10 commandements. Mais se réfère au jour où nous fûmes prêts à recevoir la Torah, soit le 50ème, prélude au don de la Torah. Cette approche est expliquée par le Maharcha qui écrit que ‘ce jour contient en lui le principe qui veut que la crainte précède la sagesse’ comme il est dit « sa crainte a devancé sa sagesse ».

Sur cette même base, Rav Ch.R Hirsch z”l écrit que cette fête est justement appelée Chavouot (les semaines) car son aspect préparatoire vient traduire toute son essence à travers les sept semaines de Pessah à Matan Torah.

Tous ces arguments ne nous suffisent néanmoins pas, car ce n’est pas sans raison que nous ne comptons pas le cinquantième jour dans ces jours préparatoires ! Il s’agit plutôt de relever que ce jour est surdimensionné au point même de transcender les lois de la nature. Et ainsi que l’ont défini nos Sages, il se positionne en contrepartie de la cinquantième porte de bina, à laquelle même Moché rabénou lui-même, n’a pas eu accès. Dans ce cas, il devient clair que ce cinquantième jour n’a pas uniquement une finalité de préparation mais qu’il est un jour plus élevé que les autres, par ce qu’il engendre de surnaturel à partir des sept semaines qui lui précèdent. N’étant pas inclus dans ces jours de préparation, cela revient à dire qu’il se tient comme pièce unique et indépendante de l’entité que constituent les sept semaines. Quant à son appellation sous le terme de « chavouotsemaines », elle s’explique par le fait qu’il soit le résultat « à haut niveau », de ces semaines écoulées. En quoi en est-il le produit hors-pair ? Par le fait qu’à travers cette préparation, nous façonnons ce cinquantième jour qui en est le summum et contient en lui toutes ces semaines passées.

Il ne convient donc pas de formuler que l’essentiel de Matan Torah consiste en sa préparation, qui se fait le 50ème jour. Au contraire, le 50ème jour est le jour de la réalisation de tout l’objectif, et il devient difficile de comprendre la raison pour laquelle Matan Torah ne fut pas donné en ce jour. Qui plus est, il ne semble pas logique que l’essentiel de la fête se fonde sur sa préparation et sur tout ce qui s’est fait préalablement à Matan Torah. Car en effet, toute la nature historique de ce moment repose sur le fait que nous avons été témoins et vu de nos propres yeux, notre Roi descendre depuis le Ciel sur la Terre dans une flamme de feu. Il semble donc que cette crainte qui précède la sagesse, se trouva justement au moment des dix commandements et non préalablement, comme décrit le verset « afin que Ma Crainte soit sur vos visages pour vous éviter de fauter ». La sagesse quant à elle, siège dans les Tables de la loi qui devaient nous être données quarante jours après.

Il nous faut donc encore comprendre pourquoi ne commémorons nous pas cette fête le 51ème jour ?

Matan Torah un jour, Kabalat Hatorah un autre jour

Le Maguen Avraham propose une explication, en vertu des propos de nos Sages (Chabat 88a), que Moché rabénou ajouta un jour à son initiative personnelle.

Qu’est ce que cela veut dire ?

On pourrait développer ses propos à partir d’un éclairage du Maharal de Prague à ce sujet. Le Maharal explique que l’intention n’est pas ici, de dire que Moché a repoussé la date de Matan Torah, car cette date est véritablement restée fixée au 6 Sivan du point de vue du « Donneur ». Seulement, pour ce qui est du receveur, Moché a retardé ce jour au 7 Sivan. Le Maharal initie ici une idée profonde et extraordinaire en introduisant une dichotomie dans le Don de la Torah : il y’a l’aspect du Donneur et celui du receveur. La date du 6 sivan est maintenue pour ce qui concerne son Donateur. Par contre, elle ne peut être retenue par Israel qui ne fut pas en mesure de recevoir la Torah ce jour-là, c’est pourquoi, cela fut reporté au lendemain.

De la profondeur de ces paroles on peut entrevoir ainsi les choses : nous n’avons pas été en mesure de nous rallier à ce jour où la Torah fut donnée en raison de Sa dimension extrêmement élevée, nous qui sommes rattachés à la terre, alors qu’Elle est comme faisant partie d’Hachem. Il était donc incontournable que le don de celle-ci se fasse en un jour et sa réception en un autre, les deux parties de cette transmission ne pouvant être réalisés simultanément. Le don de la Torah se fit le 50ème jour, en corrélation avec la 50ème porte, niveau qu’aucun être humain ne peut atteindre. Si nous avions accepté la Torah en ce même jour où elle fut donnée, elle aurait été réduite à notre faible niveau et en aurait perdu de sa valeur. La Torah nous fut donnée de telle sorte qu’elle garde sa suprématie et son caractère ultime. De cette manière, il appartient à l’Homme de s’y consacrer, se sanctifier, s’y attacher de manière à pouvoir l’appréhender. Dans le sens de ce qui est dit dans la Gémara (Kidouchin 66a), la Torah se trouve déposée à la portée de tous. Que tout celui qui désire la prendre, vienne et s’en saisisse ! C’est ce qui justifie que sa transmission et sa réception ne puissent avoir été synchrones, le même jour.

Mais il nous reste encore à comprendre pourquoi chaque année, cette fête est fixée au jour du Donneur, le 50ème jour, et non pas à celui du receveur, le 51ème ? de même qu’au moment de la sortie d’Egypte ?

Matan Torah : une réalité nouvelle

On peut proposer l’idée suivante: après avoir reçu la Torah, nous avons été transformés en une réalité nouvelle, gravissant ainsi l’échelon supérieur. Désormais, il nous est possible de nous relier à la dimension élevée du jour de Matan Torah. Seul au moment du premier Matan Torah lors de la sortie d’Egypte, où nous avons été métamorphosés et nous sommes passé d’un état à un autre, cela demanda un temps supplémentaire, dans la mesure où il nous fallut passer d’une condition inférieure, symbolisée par l’animal, à un niveau supérieur, représenté par le statut d’Homme. C’est ce qui nous permit d’être ces « capteurs » de notre Torah Hakédocha. Nous étions des êtres encore trop primaires et matériels, et à ce stade, la synchronisation du Donneur et du receveur n’était pas de mise.

Par contre, une fois parvenus au niveau supérieur, après avoir reçu la Torah une première fois, qui fit de nous le Peuple de prédilection, il nous est possible de nous rattacher au Donneur de la Torah, à ce 50ème jour ! Il est plus facile de concevoir que dès lors, la date du Matan Torah fut changée pour celle du 50ème jour.

Cette idée de nouvelle réalité, correspond parfaitement à la nature même du Don de la Torah, et c’est d’ailleurs ce qui vient également justifier l’offrande de la nouvelle récolte ce jour là.

Il semble que cette approche corresponde à celle de Rav Avdimi qui, au sujet du verset « les Bnei Israel se tinrent debout au pied de la montagne », nous apprend que Hakadoch Baroukh Hou menaça Israel de renverser la montagne sur le Peuple en leur disant « si vous acceptez la Torah, tant mieux, mais dans le cas contraire cet endroit deviendra le lieu de votre sépulture ». Comment interpréter cette menace lorsque l’on sait qu’un consentement de plein gré a une bien plus grande valeur qu’un agrément sous la menace ? Pour quelle raison fallait-il donc que l’acceptation de la Torah se fit justement sous la contrainte ?

L’explication tient dans le fait qu’une acceptation de plein gré ne peut porter que sur des choses qui sont à notre portée de compréhension et d’entendement. Par contre, il ne nous est pas possible d’accepter de plein gré lorsqu’il s’agit d’une chose pourvue d’une réalité différente. Cela reviendrait à vouloir implanter en un animal l’idée d’accepter le concept d’être un homme. Ou encore implanter en l’homme l’idée de devenir ange. C’est en effet hors de l’entendement humain ! Cela ne peut donc mettre en jeu une quelconque volonté humaine. Dans ce cas, il est possible de comprendre que la Torah n’ait pu nous être donnée que sous cette forme de contrainte.

Ce n’est qu’après avoir accepté la Torah, s’y être attachés, et avoir troqué notre état primaire pour une nouvelle stature anoblie, que nous avons été aptes au temps de Pourim à l’accepter à nouveau, et cette fois de plein gré et avec amour.

La différence entre Israël et les nations

Cette dimension nouvelle d’une amplitude supérieure que nous avons acquise au moment du Matan Torah est ce qui nous distingue des autres nations. Le midrach rapporte qu’avant de donner la Torah à Israel, le Maître du monde la proposa aux nations qui lui dirent « Qu’est-il écrit dans cette Torah ? » Hachem leur fit part de l’interdit de tuer. Ils répondirent « Maitre du monde, toute la nature de leur père était de tuer. C’est à son sujet qu’il est dit « les mains sont celles de Essav » et c’est ainsi que Ytshak a béni Essav en lui disant ‘tu vivras par ton épée’ ! ».

Comment comprendre une telle réponse lorsqu’on sait que les nations sont astreintes aux sept mitsvot des Bnei Noah, dont l’une d’entre elles consiste justement à ne pas tuer ?

A partir de ce qui a été dit, la réponse semble évidente. Il est vrai que les nations ont été prescrites de sept commandements, mais malgré tout, il existe une différence avec les mitsvot données au Matan Torah. Car comme nous l’avons dit, celles-ci font partie d’une structure nouvelle qui transcende la nature, et s’affilient par essence au Peuple Juif qui se distingue des nations par sa nature, ses midot et se trouve plus distancié du crime, du vol et autres fautes. Les nations n’étaient pas en mesure d’accepter ce principe, même si dans les faits, elles sont capables d’accepter superficiellement ces interdits.

Nous comprenons de tout ce qui précède, qu’au moment du Matan Torah, Israël n’a pas reçu un « paquet » d’interdits et d’obligations. C’est dans son essence même qu’Israël fut transformé selon une dimension qui surpasse la nature et qui l’astreint à l’observance de toutes les mitsvot, car le manquement à l’une d’entre elles correspond à une carence de cet état privilégié.

Pourquoi la Torah ne mentionne pas que ce jour est le jour de Matan Torah

A la lumière de ce propos, il nous est permis d’expliquer la raison pour laquelle la Torah ne mentionne pas ce jour comme celui de Matan Torah. En réalité, l’objectif de ce jour est que le bénéficiaire de la Torah se connecte étroitement à son Donateur. C’est là tout le sens à donner à ce jour en tant que « Matan Torah » et non « Kabalat HaTorah » (le don et non la réception). C’est la raison pour laquelle nous le fêtons le 50ème jour et non pas, comme à l’époque du Matan Torah, le 51ème jour. En effet, la Torah nous a élevés dans tous nos actes, nos moindres gestes. Elle nous a donné les moyens de nous rattacher à son Donneur.

Mais puisque ce Matan Torah en temps réel lors de la sortie d’Egypte n’a put être traduit concrètement le 50ème jour dans une dimension de receveur, et ce jour est resté celui du Donateur qui n’a ni consistance, ni matérialité, c’est la raison pour laquelle la Torah ne le mentionne pas en tant que jour de Matan Torah. Ce n’est qu’après avoir reçu cette Torah, en y investissant nos forces que nous serons à même de nous rattacher à ce jour-là précisément et qu’il nous sera possible de le transformer en jour de Matan Torah mutuel authentique, donné et reçu conjointement et simultanément, de part et d’autre.

En d’autres termes, si la Torah ne mentionne pas que Chavouot est le jour de Matan Torah, c’est parce que c’est l’homme seulement qui possède le pouvoir de donner ce titre à ce jour.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.