Qui ne connaît pas la célèbre réponse des Enfants d’Israel lors du Don de la Torah ? Cette déclaration, « Na’assé VéNichma’ », littéralement « Nous ferons puis nous écouterons », leur valut de recevoir des couronnes célestes et même une comparaison avec les anges.
Dans le Talmud, nos Sages décrivent les nombreuses choses que nos ancêtres reçurent pour cette réponse. Nous rapporterons deux d’entre elles.
Rabbi Eli’ézer dit : A l’instant où Israël précéda « Na’assé » à « Nichma’ », une voix céleste sortit et leur demanda : « Qui dévoila ce secret à Mes Enfants, secret utilisé par les Anges de Service ? » Ainsi qu’il est écrit : « Bénissez D.ieu, Ses Anges, héros pleins de force, acteurs de Sa parole, qui écoutent en la voix de Sa parole » (Psaumes 103,20). Au départ « des acteurs » puis seulement ils « écoutent ».
Rabbi ‘Hama fils de Rabbi ‘Hanina dit : Il est écrit « Comme le pommier parmi les arbres de la forêt, ainsi mon bien-aimé parmi les fils » (Cantiques des Cantiques 2,3). Pourquoi Israël est-il comparé au pommier (les Tossafot expliquent qu’il s’agit du cédratier) ? De la même façon que le pommier (ou le cédratier) voit pousser son fruit avant ses feuilles, ainsi Israël précéda « Na’assé » à « Nichma’ ».
Chabbat 86a
De prime abord, l’importance accordé à la réponse du peuple juif a de quoi surprendre. En effet, toute personne confiante promettrait de faire la volonté de son bien-aimé, à plus forte raison s’il s’agit de son créateur et de son sauveur ! Toute histoire romantique débute par la promesse d’accomplir tout ce qu’intimera la dulcinée…
Pourquoi alors faudrait-il voir ici le secret des anges plutôt qu’une belle marque d’amour ? Quelle particularité si spéciale se cache-t-elle dans cette réaction qui ne symboliserait somme toute qu’une garantie d’être prêt à accomplir avant même d’avoir entendu la nature de la requête (comme Rachi l’expliquera) ?
En outre, si l’on regarde la chronologie des versets dans le récit du Don de la Torah, nous trouvons trois étapes dans la réponse des Enfants d’Israël :
- Le 3 Sivan, à la suite de la promesse de D.ieu de faire de Son peuple « une royauté de prêtres et un peuple saint » (Exode 19,6) le peuple répondit ensemble : « Tout ce qu’a dit l’Eternel nous ferons (Na’assé) » (ibid. 19,8)
- Ensuite, le 4 Sivan, Moché transmis les diverses injonctions divines déjà ordonnées, à la suite de quoi une fois encore le peuple répondit d’une seule voix : « Toutes les chose que l’Eternel a parlé, nous ferons (Na’assé) » (ibid. 24,3)
- Enfin, le 5 Sivan, lors de la contraction de l’Alliance entre D.ieu et Son peuple, Moché lu le « Livre de l’Alliance » aux oreilles du peuple, qui dirent (au pluriel dans le Texte) : « Tout ce qu’a dit l’Eternel nous ferons et nous écouterons (Na’assé VéNichma’) » (ibid. 24,7)
Pourquoi ces trois occurrences dans la réponse des Enfants d’Israël ? De plus, que signifie cette évolution qui semble être en réalité une décadence ? Au début du mois de Sivan, leurs actions étaient fusionnelles [« Israël campa là-bas contre la montagne » (ibid. 19,2)], puis lentement, chacun retrouva son individualité, jusqu’à être complétement indépendants dans leur réponse finale, réponse que nous retiendrons comme la quintessence de cet évènement…
Pour clôturer nos interrogations, si nous partons du principe que l’essentiel était leur volonté de faire, au-deçà de l’ordre, pourquoi avoir eu besoin de mentionner le fait qu’ils allaient écouter ? Chose évidente, a priori… Pourquoi avoir changé des précédentes réponses, qui ne parlait que de la partie de l’action ?
Pour essayer d’apporter un élément de réponse, nous devons nous pencher sur la seconde déclaration du Talmud, ramenée au début de nos propos, concernant le fait d’avoir précédé l’action à l’écoute.
Comparé à un arbre qui devance son fruit à son feuillage, notre peuple, lui, agit avant d’écouter. Evidemment, il ne s’agit pas ici d’une simple écoute, car sinon l’acte n’aurait aucun sens, mais d’une certaine compréhension, compréhension apportée par l’étude. Ainsi que le résumera le Maharcha, suivant le principe que « l’étude n’est pas le principale mais plutôt l’acte », ici, le fruit symbolise l’acte tandis que l’étude est comparée au feuillage. Malgré tout, nous connaissons tous la conclusion du Talmud (Kidouchin 40b) qui affirme que « tous ont répondu : l’étude est le principal car il amène à l’action ! » Ce raisonnement trouble la base de nos priorités.
L’action est donc primordiale, mais est amenée uniquement grâce à l’étude. C’est l’étude qui définit réellement l’acte, lui permettant de s’exprimer dans toute sa superbe. Comment comprendre l’apport de l’étude, réflexion théorique et éthérée, pour l’action, qui ne serait somme toute qu’un simple mouvement physique ?
En réalité, l’acte n’est que l’expression d’une volonté. Nous agissons en conséquence d’une volonté. Ainsi, le Ramban expliquera le sens de l’épreuve (ou Nissayon), en partant du principe que D.ieu, en étant Omniscient, n’a pas besoin d’une épreuve pour connaître la capacité ou la volonté de l’Homme à la surmonter. L’action ne sert donc qu’à concrétiser un potentiel non rétribuable. Seuls les faits sont dignes d’être récompensés, il faut donc pour cela les mettre en pratique. Mais au fond, c’est la volonté de l’Homme qui est mis en exergue. [A titre de comparaison, les moyens d’acquérir un objet servent de support à une volonté de le faire changer de propriété…]
D’ailleurs, en sortant du système châtiment/récompense, l’acte en tant que tel importe peu. Pour preuve, quand Moché transmis, le premier Nissan, au peuple d’Israël le commandement du sacrifice de l’agneau pascal, le Texte dit (Exode 12,28) : « Et les Enfants d’Israel allèrent et firent comme l’Eternel avait ordonné à Moché ». Comment témoigner d’un acte effectué dix jours plus tard ? Rachi, en rapportant le Midrach, énoncera un principe incroyable : « Puisqu’ils ont pris sur eux (l’accomplissement de cet ordre), le verset considère comme s’ils l’avaient fait ! »
Prendre sur soi, c’est lier sa volonté à la Volonté divine, c’est faire en sorte de vouloir de façon tellement forte que nul besoin d’acte pour prouver sa bonne foi.
Cette notion, de faire de Sa volonté la volonté personnelle de l’homme, est explicitée dans le commentaire du Maharal de Prague sur les Maximes des Pères (Dere’h ‘Haïm 2,4). Ainsi explique-t-il l’affirmation « Fais de Sa Volonté ta volonté, afin qu’Il fasse de ta volonté Sa volonté ». S’attacher à Sa volonté à un point tel que notre volonté devient Sienne, voilà l’apothéose de la fusion avec Lui. Grâce à un attachement fort, nous pouvons réussir à changer nos volontés, les sublimant en Sa volonté.
Prendre sur soi, dans le sens total du terme, c’est parvenir à exprimer par la volonté seule, une adhésion à Sa parole. L’acte importe alors peu, car l’attachement est alors parfait.
Comment alors parvenir à ce niveau si parfait d’acceptation de la parole divine, au point de la rendre sienne ? La réponse est : par l’étude. C’est en cela qu’il faut comprendre la conclusion du Talmud. L’étude est essentielle car elle permet de placer l’action à sa véritable place, celle de l’expression non pas d’une volonté humaine, mais de la Volonté par excellence. En effet, l’étude apporte une certaine compréhension. Sans prétendre détenir l’essence de la chose, cette compréhension personnelle permet de s’identifier au sujet étudié, de l’intégrer et de le vivre. Ainsi, grâce à l’étude, l’action est beaucoup plus intime et intense. Elle ne révèle non pas une volonté étriquée car limitée, mais quelque part possède une dimension d’infini, c’est l’attache même au divin qui se met en place. En résumé, ce n’est pas l’acte le plus important, mais bien l’Acte, cette expression d’une Volonté absolue, amené par la force de l’étude.
Nous pouvons à présent comprendre la symbolique du fruit et du feuillage. Le but du feuillage est de faire le passage entre l’arbre et son environnement. Ainsi, les feuilles jouent un rôle important dans les fonctions vitales de la plante, en participant notamment à la photosynthèse et aux échanges gazeux avec l’extérieur (respiration, transpiration). Plus précisément, l’énergie lumineuse est captée par la chlorophylle présente dans les parties photosynthétiques de la plante (comme les feuilles), et permet de convertir l’eau et le CO2 de l’air en matière organique. Une feuille peut seulement utiliser la lumière visible pour faire la photosynthèse. Une feuille peut seulement utiliser la lumière visible pour faire la photosynthèse.
Le feuillage est donc capable d’absorber de la lumière, immatérielle, et de l’intégrer en son organisme.
De la même manière, l’étude est un moyen d’intégrer la Lumière (Ohrayta) de la Torah et de la faire pénétrer dans sa réalité, de la faire sienne. Le fruit, extérieur à l’essence de l’arbre, exprime quand même sa nature. (Un pommier produit des pommes et un cédratier des cédrats.) Ainsi, l’acte exprime la volonté de celui qui l’accomplit, tout en étant extérieur à celui-ci.
Lors du Don de la Torah, le peuple hébreu commença par affirmer son allégeance concernant l’accomplissement des commandements. Par deux fois, il exprima son amour et sa confiance à son libérateur, prêt à se soumettre à tous ce que ce dernier ordonnera. Mais cela n’était pas suffisant. Pour contracter une Alliance éternelle avec le Créateur, il fallait faire en sorte de dépasser l’amour. De s’engager à ne faire plus qu’un avec Sa parole.
Promettre de faire la volonté de son bien-aimé est très restrictif. Au bout d’un moment, l’excitation et l’enthousiasme retombent. Etant extérieur à nous-mêmes, cette décision s’étiolera jusqu’à n’être qu’un poids pour celui qui s’est engagé. C’est pour cela que D.ieu ne s’est pas suffit de cette promesse, aussi porteuse d’amour soit-elle.
Pour s’engager pour l’éternité et accepter au plus profond de soi cette mission, il fallait également un engagement d’une tout autre nature : un engagement personnel, grâce à la promesse d’étudier cette Torah, et de la comprendre. A notre niveau, certes, mais c’est suffisant pour être relié non pas par un ordre, mais par une volonté commune. Sa volonté deviendra leur volonté.
Mais cette promesse de l’étude ne peut qu’être personnelle. Cela dépend de la compréhension subjective de l’individu, de son investissement et de son intérêt pour la Torah. Voilà pourquoi l’uniformité de la réponse ne pouvait concerner que la partie de l’acte. L’étude, quant à elle, est une affaire de tout un chacun, séparément. La réponse devient donc lentement individuelle.
Pour conclure, il fallait que le peuple, dans son ensemble, parviennent à un engagement pour concrétiser un asservissement à la cause divine. Par deux fois, leur promesse de faire les a assujetti à D.ieu. Mais pour que leur acte ne soit pas que le reflet d’une religion basée sur le « faire » , il fallait promettre d’« être » !
Ainsi, la force de leur réponse se situe dans le « Nichma’ », dans cette capacité d’être et de devenir, à leur niveau, une Volonté éternelle, indépendante de sentiments extérieurs à eux-mêmes. Non plus une marque banale d’amour, mais un début de métamorphose…
En cette période de Chavou’ot, que l’on puisse faire de nos actes non pas de simple expressions d’une volonté personnelle et limitée, mais des Actes éternels, fruit de Sa Volonté, par le biais de l’étude et d’une compréhension subjective de celle-ci…