Un enfant peut-il rendre un objet trouvé ?

Un enfant peut-il rendre un objet trouvé ?

Un enfant qui rend un objet abandonné à son propriétaire sera-t-il considéré comme ayant volé son père ?

Question :

Avraham laissa tomber par inadvertance une somme de 150 ₪ dans une épicerie. Quelque temps plus tard, au moment de passer à la caisse, il se rendit compte de sa perte.  A ce moment, David, un jeune garçon de 12 ans, proclama avoir trouvé de l’argent. Avraham se manifesta, à la suite de quoi David insista pour restituer la somme perdue à son propriétaire, même si ce dernier lui expliqua, en toute honnêteté, qu’a priori il n’était pas en devoir de la lui rendre. En effet, la loi stipule que celui qui trouve de l’argent dans un magasin peut se l’approprier.

Cependant, une question se posa pour Avraham. Il est tranché dans le Choul’han ‘Aroukh (§270) que la trouvaille d’un enfant revient à son père. Cela revient donc à dire que dès lors que David souleva l’argent, il appartenu à son père. Il n’avait donc pas le droit de les donner à Avraham. Son acte de piété s’assimilant donc plutôt comme étant un fait de vol, la question qui nous est parvenu fut :

Avraham devra-t-il rendre cet argent ?

En outre, Avraham prétendit qu’au moment même de la perte, il n’avait pas encore procédé au Yéouch (ou abandon consciente) de l’argent, étant donné qu’il n’avait pas encore remarqué son absence. Au moment où il prit réellement conscience de cela, l’argent se trouvait déjà chez David. Par conséquent, son Yéouch n’est pas valable, puisque l’enfant prit possession dudit argent de manière illégale (vu qu’il n’avait pas encore le statut d’abandonné). Selon la règle de ‘BeIssoura Atta LeYadeh’, les 150 ₪ appartiennent donc encore à Avraham.

Cet argument légitimiserait-il la restitution ?

Réponse :

Y’a t-il un Yéouch valable de la part de Avraham ?

L’argument d’Avraham selon lequel l’abandon proprement dit de l’argent ne se fit qu’après s’être retrouvé dans les mains du petit, se verra a priori repoussé grâce à la règle stipulée par le Min’hat ‘Hinou’h (Commandement 539) disant que tout ce qui se trouve dans les mains d’un enfant est considéré comme se trouvant posé à même le sol. La règle de ‘BeIssoura Atta LeYadeh’ ne trouvera donc pas son application ici.

Aussi, nous pouvons ajouter que la loi (§262, 3) fut tranchée comme l’avis de Rabbi Its’hak qui disait qu’un homme a l’usage de palper sa poche (pour en vérifier le contenu) à chaque instant. Ainsi, nous estimons que le propriétaire de l’argent procède au Yéouch aussitôt après la perte, étant tout de suite au courant de celle-ci.

Cela étant, même si Avraham prétendit qu’il ne remarqua pas immédiatement la perte d’argent, il ne sera pas crédible, vu qu’il va à l’encontre de la présomption de Rabbi Its’hak.

Cependant, ce raisonnement n’est plus évident à notre époque. En effet, la réalité est que les gens ne tâtent plus leurs poches à chaque instant.

De plus, nous pouvons ajouter qu’ici Avraham s’est saisi de l’argent, il pourra donc aller à l’encontre de cette présomption, cette dernière n’étant plus suffisante pour lui retirer cette emprise. (Mou’hzak Neged ‘Hazaka)

Toutefois, il est souvent rapporté au nom du ‘Hazon Ich que même de nos jours cette présomption à toute son actualité, la réalité n’étant pas en mesure de modifier une institution rabbinique. (La règle de ‘Hefker Bet Din Hefker’ étant de mise, nos Sages sont en droit de destituer la propriété de chacun, permettant ainsi à l’autre protagoniste de l’acquérir de manière légitime. Peu nous importe donc de la pertinence de cette règle, le fait même qu’elle soit instituée entraîne un abandon systématique de la part du propriétaire.)

Malgré tout, la saisie de l’argent par Avraham lui permet de décider de ne pas suivre l’opinion du ‘Hazon Ich, selon la règle de ‘Kim Li’. Son absence de prise de conscience de la perte sera donc prise en compte. (Il se pourrait également que même le ‘Hazon Ich se pliera à la réalité des faits, si le concerné explicite son ignorance des faits. Il n’aurait alors parlé que dans l’absolu.)

Nous pouvons donc affirmer, à ce stade du raisonnement, que l’argent revient à Avraham de droit.

[Cependant, nous pouvons avancer que même sans le Yéouch d’Avraham, nous parlons d’ici d’une perte sans signe distinctif, sans obligation de restitution. Selon l’avis du Rambam et du Choul’han ‘Aroukh (§260 9) celui qui la trouve pourra l’utiliser (selon le Chakh, selon le Sem’a il l’aura acquise entièrement, dans le cas où il souleva la perte avec l’intention de la restituer.) Si c’est ainsi, nous pouvons de nouveau établir que David vola son père en rendant l’argent à Avraham.

Seulement, même sur cet argument Avraham pourra utiliser la règle de ‘Kim Li’, affirmant qu’il suivra l’avis des contestataires au Rambam (c’est-à-dire le Raavad et le Ramban, et ainsi postule le Choul’han ‘Aroukh HaRav) qui pensent que sans ‘Siman’ la loi sera ‘Yéhé Mouna’h’ (le laisser en dépôt jusqu’à la révélation de Eliyahou HaNavi). Néanmoins, selon cet argument, même Avraham ne pourra l’utiliser et devra le laisser en dépôt…]

La trouvaille d’un enfant revient toujours à son père ?

De plus, sur l’affirmation que la trouvaille d’un enfant revient à son père, nous pouvons dire :

  • Premièrement, cette dernière n’est vraie uniquement dans un cas où le fils eut l’intention de se l’approprier, mais dans notre cas, il prit l’argent en vue de le restituer, son cas est assimilable à un majeur qui soulève une perte en vue de la rendre, il ne s’approprie point de cette perte. (Cf. Ketsot Ha’Hochen §259 1)

[Malgré tout, voir le Netivot HaMichpat (ibid.) qui écrit que même s’il la prit sans aucune intention de la voler, son intention ne sera pas obligatoirement qu’il veuille la restituer, mais cela dépendra de l’abandon du propriétaire. S’il se trouve qu’au même moment le propriétaire fit Yéouch, cela lui appartiendra mais s’il se trouve qu’aucun Yéouch ne s’est encore appliqué, il la rendra au propriétaire… Selon cette vision des choses, il se peut que notre enfant n’eût l’intention de le rendre que partiellement, mais si la loi stipulait un dédouanement de restitution, il l’aurait soulevé pour lui-même. Dans notre cas, cela reviendrait à dire que sa prise fut pour son propre bénéfice, rendant ce verdict caduc.]

  • Aussi, nous pouvons dire que cette affirmation dépend de la fameuse controverse dans la règle que tout objet trouvé d’un enfant revient à son père : l’acte d’acquisition de l’enfant prévaudra-t-il pour le parent ou alors faudra-t-il que ce dernier réitère un acte d’acquisition (l’enfant étant simplement tenu de l’amener à son père) ?

[Voir Rachi et Tossafot ‘I Amart’, Ritvah ‘Mipené’, Mahari Abouav ramené dans la Chitah Mekoubetset]

Selon les avis stipulant un nouvel acte d’acquisition de la part du père, il se trouve donc que l’argent ne s’est jamais retrouvé dans la propriété du père, il n’est donc question d’aucun vol, seul une carence dans l’obligation de l’enfant de le ramener à son père peut être évoquée.

L’avis selon lequel l’acte de l’enfant suffit pour le père

Cependant, selon les avis considérant l’acte du petit suffisant pour le père, il semblerait que David vola son père en insistant pour le restituer à Avraham. Même si nous pouvons affirmer (ainsi que le Pit’hei ‘Hochen l’écrit, dans ses lois sur l’objet perdu chap. 9 note 69) que tant que l’argent ne fut pas dans la propriété effective de son père, le vol en question n’est qu’une institution rabbinique ‘pour maintenir les voies de paix’ (Darkei Chalom), et que la loi sur ce type de vol stipule que les juges ne peuvent pas sortir cette somme du voleur, malgré tout, certains décisionnaires écrivirent que la restitution reste obligatoire. [Cf. Responsa ‘Mayim Rabim’ (‘Hochen Michpat §14). Voir Responsa du Radbaz (Partie 1 §503) qui écrit que dans un refus de le restituer, on peut l’excommunier et le nommer ‘pêcheur’…]

[Mais il se pourrait que dans notre cas, cela soit différent car David rendit l’argent à son propriétaire volontairement, c’est donc lui qui vola son père. Quand il le rendit à Avraham, il y’a eu un changement de propriété, et quand son père eut vent de l’histoire il fit certainement Yéouch. Avraham lui étant inconnu. Nous avons donc un abandon d’une part et un changement de propriété d’autre part, selon le Rambam qui n’exige aucun ordre particulier dans ces opérations, il y aurait aucun devoir de rendre cet objet volé…]

Selon les diverses réflexions précitées, nous pouvons trancher qu’Avraham ne devra pas rendre cet argent.

Conclusion

Avraham peut conserver les 150 ₪ , il n’y a aucun risque de vol vis-à-vis du père de David.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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