Souccot – La véritable joie: quand l’homme agit

Souccot – La véritable joie: quand l’homme agit

La joie particulière à Souccot: à la fois liée à la récolte et à l’expiation des fautes

La fête de Souccot est une période de joie, à tel point qu’elle est dénommée Zeman Sim’hatenou. À ce sujet, le Rambam écrit que bien toutes nos fêtes soient des occasions d’allégresse et qu’il nous incombe même la mitsva de nous réjouir, Souccot porte en elle une joie supplémentaire… Quelle est donc la nature de cette sim’ha additionnelle ?

A trois reprises, la Torah nous ordonne de nous réjouir à l’occasion de la fête de Souccot :

  • ושמחת בחגך – tu te réjouiras durant ta fête (Devarim 16;14)
  • והיית אך שמח – tu ne seras que joie (Ibid15)
  • ‘ושמחתם לפני ה – vous vous réjouirez devant Hachem (Vayikra 23; 40)

Pourtant pour la fête de Chavouot, la mitsva de sim’ha n’est mentionnée qu’une seule fois. Quant à Pessah, il n’est évoqué dans la Torah, aucune ordonnance de sim’ha la concernant.

Nos Sages (rapportés par Daat Zekenim) expliquent la raison de cette lacune vis-à-vis de Pessah par le fait que les produits de la terre n’ont pas encore été moissonnés, pas plus que les fruits de l’arbre n’ont été cueillis. Ce qui explique qu’il ne soit pas encore question de sim’ha.

En ce qui concerne la fête de Chavouot, la récolte a effectivement été coupée, ce qui justifie l’injonction de sim’ha, mais pas davantage – les fruits de l’arbre n’ayant pas encore été ramassés, et la récolte n’étant pas encore engrangée.

Par contre à Souccot, alors que la récolte a été moissonnée, les fruits des arbres cueillis, que tout a finalement été entreposé à l’abri, et de plus, une fois que nous avons été pardonnés de nos fautes à Yom Kippour, la sim’ha est mentionnée à trois reprises : une première fois pour le stockage de la récolte, une deuxième pour la cueillette des fruits, et une troisième pour le pardon des fautes commises.

Ainsi, la sim’ha supplémentaire de la fête de Souccot ne tiendrait pas uniquement à l’engrangement des récoltes, mais elle est également liée au pardon de nos fautes à Yom Kippour.

Cela requiert un éclaircissement. Quel lien existe-t-il entre la joie consécutive aux récoltes et celle du pardon des fautes ? Ce sont là, à première vue, deux données sans rapport aucun !

La véritable joie: Lorsque l’homme est impliqué

Précisément à partir de là, il nous est permis d’apprendre un principe fondamental sur le sens de la sim’ha de Souccot en particulier, ainsi qu’à toute sim’ha de façon générale.

La plus grande sim’ha qui puisse être pour l’homme provient de l’aboutissement de ses efforts dans un processus qui le mène à un objectif escompté. Entre celui qui reçoit un cadeau dont il rêve depuis longtemps sans avoir jamais réussi à l’obtenir, et celui qui s’est investi corps et âme dans un projet à long terme, envahi par le doute de le voir ou non aboutir, et qui finalement se réalise, lequel des deux éprouvera la plus grande joie ? Il ne fait pas l’ombre d’un doute que le deuxième homme sera transporté d’une satisfaction bien plus grande.

Il en va ainsi pour ce qui touche à la réussite dans le domaine de l’éducation des enfants; pareillement pour ce qui touche au monde des affaires et du commerce… dans la réussite d’une entreprise qu’une personne aurait montée de ses propres mains par exemple. Il s’agit là, d’une joie bien plus intense et profonde, que celle éprouvée par tout cadeau reçu sur un plateau.

En réalité, l’essentiel de la joie d’une personne tient dans l’investissement fourni et les forces qu’il a déployées.

L’enthousiasme du public au cours des téfilot des Yamim Noraïm résonne encore à mes oreilles, dans son « amen » enthousiaste et à l’unisson alors que l’officiant n’a pas encore fini de dire « שערי פרנסה טובה – Hachem ouvre les portes de la subsistance ». Une telle flamme pour une demande purement matérielle en ce jour kadoch m’a bien souvent interpellé, au point de me demander comment était-il possible que le tsibour en soit à ce point dynamisé ! Bien plus tard, j’ai compris que cet enthousiasme ne provenait pas forcément d’un appétit matérialiste. En effet, j’ai relevé que c’est pratiquement la seule chose parmi la liste des 50 « portes », qui soit une « œuvre de l’homme » et pour laquelle il emploie d’ailleurs la majeure partie de son temps. Nous reconnaissons-là, à nouveau, que l’enthousiasme de l’homme dépend essentiellement de son implication.

Il devient plus facile dès lors, de comprendre le lien qui peut exister entre le pardon des fautes et la sim’ha de l’engrangement des récoltes. La joie de voir ses fautes pardonnées ne provient pas de l’état de pureté engendrée, mais bien de tout le processus que l’homme a initié pour y parvenir. C’est la raison pour laquelle on ne retrouve pas cette sim’ha à la période du Matan Torah, qui est pourtant le moment où nous avons mérité de regagner le niveau de Adam Harichon avant le péché originel. A ce moment-là, nous avons reçu la Torah comme cadeau du Maître du monde, sans aucun effort de notre part. Tandis que Yom Kippour est justement le jour où tout repose entre nos mains, a travers la possibilité de confesser ses fautes et revenir vers Hachem, en parvenant ainsi à ce même niveau de Matan Torah par nos propres efforts.

Ce principe est exprimé dans les propos du Gaon de Vilna qui explique pourquoi nous fêtons Souccot précisément en cette période de l’année, d’autant que cette fête commémore les nuées de Gloire. Nous aurions dû célébrer cette fête aussitôt après Pessah ! Le Gaon explique que les nuées de Gloires disparurent aussitôt après la faute du veau d’or et réapparurent à la suite de Yom Kippour. Ainsi l’évocation des nuées de Gloire au moment de Souccot, correspond à celles révélées de nouveau après Yom Kippour, suite à la faute du veau d’or. Il reste néanmoins à justifier pourquoi se référer spécifiquement au retour des nuées d’après Yom Kippour et non pas à celles apparues à la sortie des Bnei Israël de Mitsraïm ? La réponse reste la même. Les nuées de Gloire qui suivirent la sortie d’Egypte furent offertes gratuitement par Hachem. Alors que la sim’ha la plus intime et profonde provient de celle, façonnée par nous-mêmes, méritée par nos propres efforts, après avoir fait téchouva.

Pessah, Chavout et Souccot: « La Fille, la Sœur et la Mère »

C’est ce qui vient s’opposer à la fête de Pessah où tout s’est présenté à nous par Hachem et où nous étions sous l’emprise des miracles et des prodiges du Maître du monde. De même pour Chavouot où le Don de la Torah fut entièrement le fait de Hachem, et où l’homme ne participa que dans son acceptation de la Torah. Quant à la fête de Souccot, tout a pour origine l’homme, selon sa propre décision de faire téchouva sur la faute du veau d’or. C’est ce qui leur fit mériter le retour des nuées de Gloire.

Le Mechek’h ‘Hokhma dans la Parachat Vethanan (5; 15) confirme ce propos, et explique ainsi le Midrach Chir Hachirim (3; 11) « בעטרה שעיטרה לו אמו – au moyen de la couronne par laquelle sa mère l’a couronné ».  Le Midrach donne l’image d’un roi qui avait une fille unique qu’il aimait tellement qu’il l’appelait « ma fille », comme il est dit dans Téhilim (45; 11) « שמעי בת וראי – Ecoute ma fille et regarde » ; il ne se détache pas de son amour pour elle et la surnomme « ma sœur » comme il est dit dans Chir Hachirim (5; 2) « פתחי לי אחתי רעיתי – ouvre-moi, ma sœur, mon amie » ; il est toujours autant attachée à elle au point de l’appeler « ma mère » comme il est dit dans Yechaya (51; 4) « הקשיבו אלי עמי ולאמי אלי האזינו – Ecoutez-moi Mon peuple, et ma mère, prêtez oreille à mes paroles ». Cette évolution dans le langage nous renseigne sur ces trois périodes qui se sont écoulées depuis la sortie des Bnei Israël de Mitsraim. Au début de l’histoire du peuple juif, au moment de la sortie d’Egypte, Israël est assimilé à la fille de son Père, à qui tout est donné sans compter. Au moment de l’événement du Matan Torah, Israël se définit en tant que « sœur » dans une relation bilatérale et de respect mutuel de donneur-receveur. Arrivent les dix jours de téchouva avec la construction du Michkan, Israël se définit alors comme « mère », celle susceptible d’exercer son influence et qui seule, s’active à cet effet.

Le lien profond entre la joie d’emmagasiner la récolte et celle du pardon des fautes

C’est là, également, la raison de la joie procurée par l’engrangement des récoltes. Le stockage de la récolte dans sa ferme procure à l’homme cette sensation forte qu’il s’agit là du fruit de son travail ! C’est ce qui en même temps, le conduit à en éprouver une profonde joie. Il est bien évident que la pousse d’une récolte revient à Hachem, mais il est néanmoins impossible d’occulter l’investissement inouï de l’homme dans son labeur de la terre. Ainsi, la récolte qui voit le jour est le fruit de ses efforts, et c’est pour lui l’occasion d’une puissante sim’ha.

Nous en revenons au fait que la sim’ha d’emmagasiner sa production est superposable à la joie procurée par le pardon des fautes pour l’homme, dans le sens où il est entièrement impliqué dans ce processus.

Il faut même y voir quelque chose de plus profond, car c’est là où l’homme s’implique le plus, comme dans le cas de la culture de la terre, qu’il est susceptible d’en oublier Hachem. Aussitôt après avoir introduit sa récolte dans son domaine, il peut en arriver à penser que ce résultat provient de sa seule force et initiative. C’est justement à ce moment précis, qu’apparait la joie du pardon pour les fautes commises, dont l’origine provient également de l’action de l’homme. Elle vient prouver à la personne que sa propre force et son action sont également à même de la rapprocher de Hachem. Dans ce cas, il est parfaitement juste d’affirmer que même si l’œuvre de l’Homme lui procure de la joie, cette joie n’est véritablement justifiée que lorsque l’action réalisée nous rapproche du Maître du monde et ne produit pas au contraire, l’effet inverse h”v.

C’est ainsi que nos Sages ont admis que l’intention du passouk « ‘ושמחתם לפני ד – vous vous réjouirez face à Hachem » soit de prendre avec soi les quatre espèces – Etrog, loulav, hadass et ‘arava – au Beith Hamikdach. Le Gaon de Vilna écrit à ce sujet que si le Etrog reste indépendant des autres espèces c’est pour permettre à l’homme l’y associer lui même par son action. Cela signifie que le choix pour l’homme de devenir Tsadik en vertu de ses actions, reste entre ses mains.

Sim’hat Torah: en rapport aux secondes Lou’hot où l’homme devient une partie intrinsèque de cette Torah

Nous pouvons dès lors proposer une explication au fait que la clôture de la fête de Souccot se fasse par Simhat Torah. De même que Souccot est consécutif au pardon des fautes, dans le même esprit, les réjouissances de Simhat Torah sont en rapport avec la réception des deuxièmes tables de loi à Yom Kippour. Contrairement à Chavouot, fête du Don de la Torah, où l’usage est d’étudier la Torah, à Simhat Torah, la pratique est de danser avec la Torah ! En effet, à Chavouot, tout nous était offert par Hachem et notre mission ne consistait qu’à recevoir la Torah ! C’est ce qui justifie notre Limoud durant cette fête. Par contre, à Simhat Torah nous célébrons le second don de la Torah, œuvre de l’Homme, contrairement aux premières tables, écrites du « doigt de D-ieu ».

Au sujet de ces secondes tables, le Midrach écrit qu’elles sont plus grandes que les premières, car il est dit ‘טוב-bon’ à leur sujet. Le Midrach écrit ailleurs qu’en même temps que les deuxièmes lou’hot, par la force de la Techouva, nous avons acquis  la Torah Orale, qui offre à l’homme la possibilité de devenir un partenaire à part entière. En effet, c’est par ses efforts que l’homme s’approprie la Torah et qu’elle devient sienne. Sa compréhension subjective fait partie intrinsèque de cette Torah. C’est là, la puissante sim’ha ressentie à Simhat Torah.

Nous portons les Sifrei Torah à Simhat Torah en allusion à la brisure des lou’hot. Moché a brisé les lou’hot pour exprimer qu’il appartenait à l’homme de les façonner à nouveau, et à Simhat Torah, nous portons la Torah avec ses lettres, car cette Torah appartient à l’Homme !

Pour conclure en une phrase, la dimension de Souccot est d’être l’apanage de l’action humaine. Et c’est précisément pour cela que la Sim’ha y est si intense !

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.