Aucune place à la subjectivité pour être vecteur du Divin
Cette semaine, dans la nuit de motsé chabbat à dimanche, un incendie s’est déclaré dans notre Beith Hamidrach. Par une infinie bonté du Ciel, les pompiers ont été immédiatement alertés et sont arrivés à temps pour éviter le pire. Aucun dommage grave n’est survenu, mais la schoule fut remplie de cendres et de suie au point de ne pouvoir y rester ni l’utiliser sans un nettoyage en profondeur suivi d’une aération prolongée et une réfection des peintures.
Cet incendie évoque en moi le début de la paracha de cette semaine, qui démarre par la mort des deux fils de Aharon Hacohen par le feu Divin.
La fumée et les cendres du Beith Hamidrach qui ont rendu le Beit Haknesset inutilisables m’ont également rappelé le verset suivant de la paracha « parle à Aharon ton frère, qu’il ne vienne pas à tout moment dans le Kodech, dans l’enceinte du rideau, en face de la Kapporet qui est sur le Aron, et il ne mourra pas, car c’est dans un nuage que J’apparaîtrai sur la Kapporet ».
Dans le même esprit, il est dit au sujet de Moché rabbénou à la fin du séfer Chémot « Moché ne pouvait venir vers la Tente d’Assignation car la Nuée y résidait, et le Kavod hachem emplissait le Michkan » (40; 35). Cependant, quelques versets après, le séfer Vayikra commence par « Il appela Moché… depuis la Tente d’Assignation », et Moché pénètre à l’intérieur du Kodech Hakodachim.
Que s’est-il passé entre la fin du séfer Chémot où Moché n’est pas autorisé à entrer dans le Michkan, et le début du séfer Vaykra où Hachem l’appelle précisément à l’intérieur du Kodech Hakodachim ?!
De même l’on peut s’interroger dans notre paracha sur le sens à donner aux korbanot qui permettent à Aharon de pénétrer dans le Sanctuaire. Et concernant la faute des fils de Aharon, on peut se demander quel est le lien avec l’ordre donné à Aharon de ne pas pénétrer dans le Kodech sans avoir effectué au préalable le seder de la Avoda ?
Une seule faute, beaucoup d’interprétations
La faute des fils de Aharon est clairement explicitée par le verset, dans le fait qu’ils amenèrent « un feu étranger qui ne leur avait pas été ordonné d’apporter » (Vayikra 10; 1). Pour autant, nos sages (Zevahim 115b) ont multiplié les explications pour justifier la nature de cette faute – certains disent qu’ils entrèrent alors qu’ils avaient bu du vin, d’autres qu’ils entrèrent sans s’être sanctifiés les mains et les pieds, d’autres affirment qu’ils enseignèrent une halakha devant leur Rav, d’autres encore prétendent que c’est parce qu’ils n’étaient pas mariés. Quel est le dénominateur commun à ces fautes, et surtout pourquoi nos sages se sont écartés du sens littéral du Texte ?!
Nous trouvons d’ailleurs une explication supplémentaires justifiant leur mort, rapportée par Rachi dans la Parachat Ekev (Devarim 9; 20), qui dit que Hachem a voulu faire mourir les fils de Aharon en raison de la faute du veau d’or. Moché pria pour Aharon, et sa Téfila fut agréée pour moitié : deux enfants restèrent en vie et deux autres moururent.
On peut se demander pour quelle raison ce sont les fils de Aharon qui furent punis pour leur père. De plus, il nous importe de comprendre ce que signifie le fait que la téfila de Moché ne soit agréée qu’à moitié, pour deux enfants qui restèrent en vie alors que les deux autres moururent ?
Nous relevons une faute supplémentaire à la fin de la Parachat Michpatim (24; 11) dans le passouk « Hachem ne laissa pas sévir Son Bras sur ces élus des Bnei Israel; et après avoir joui de la vision divine, ils mangèrent et ils burent ». Rachi écrit au nom du midrach Tanhouma que l’intention du verset porte sur Nadav et Avihou qui regardaient Elokim d’un cœur arrogant, pendant qu’ils mangeaient et buvaient.
Pourquoi donner autant de raisons à la mort des fils de Aharon, et pourquoi périrent-ils précisément au moment de l’inauguration du Michkan ?
Les Cohanim résident entre le ciel et la terre
Nous savons que le Michkan vient établir un lien entre le ciel et la terre. Comme l’écrit le Ramban, le Michkan est la continuité de Matan Thora : ce qui se produisit de façon dévoilée au moment de Matan Thora existe dans le Michkan de façon cachée. Et de même que Matan Thora fit la jonction entre le ciel et la terre : Sa voix dans le ciel et Son feu sur la terre, de même, le Michkan est le pont qui relie le ciel à la terre.
En vertu de cette approche, les Cohanim qui assurent le Service dans le Sanctuaire se tiennent au point de jonction entre le ciel et la terre. Cette idée ressort de la discussion Talmudique (Nédarim 35b) pour savoir si les Cohanim sont les représentants du peuple ou les émissaires de Hachem, et Tossefot d’ajouter que les deux points de vue sont pareillement justifiés. En effet, ils se situent justement au niveau du pont entre Hachem et son peuple. C’est pourquoi ils sont en même temps les envoyés d’Hachem et les représentants du peuple.
Pour cette même raison, Pinhas a mérité la prêtrise, car il était parvenu à se transformer à la fois en représentant du peuple et du Ciel en une seule action. Il se leva au sein de l’Assemblée animé par un sentiment de responsabilité vis-à-vis du peuple, alors qu’au même instant il brûlait de jalousie pour le Kavod Hachem.
Une seule condition : aucune trace de subjectivité
Ce niveau de représentant de Hachem en même temps qu’émissaire du peuple est très délicat et particulièrement sensible. Déjà, être le représentant du peuple, et à plus forte raison de Hachem, est une grande chose qui en soi n’est pas simple, mais être les deux en même temps est certainement réservé aux personnes d’exception !
La condition obligatoire à cela est l’annulation de soi. Seule une personne qui annule son égo entièrement peut se tenir à ce niveau paradoxal de pouvoir en même temps être le représentant du peuple et l’émissaire de Hachem.
Ce fut le statut de Moché Rabénou au moment de Matan Thora, comme explique le Maharal que la Thora ne pouvait être donnée qu’à la personne la plus humble parmi tous les hommes.
Rav Chimchon Raphaël Hirsch z”l ajoute que c’est pour cela que les loulkhot étaient gravées des deux côtés (Chémot 32; 15). Si les Tables n’étaient écrites que d’un seul côté, il y aurait eu une interruption entre la personne qui lirait les dibérot et le peuple, il fallait donc que l’écriture soit lisible également du côté du peuple, ainsi la personne qui transmet la Thora n’est pas représentatif de lui-même, car la Thora s’adresse directement au peuple sans autre intermédiaire !
Tout comme il en fut ainsi au moment du Matan Thora, il fallait qu’il en aille dans le Michkan qui en est le prolongement. Aharon, le Cohen Gadol, ne s’accordait aucune importance ainsi qu’en témoigne le texte « et Aharon qu’est-il pour que vous murmuriez contre lui ? » (Bamidbar 16; 11). Pour être ce point de rencontre entre le peuple et Hachem, la condition sine qua none est l’annulation de soi, la disparition de toute trace de subjectivité.
Ainsi explique le Mechekh Hokhma (Aharei Mot) ce que disent nos sages « les deux nourriciers, ce sont Moché et Aharon ». A l’instar de la maman qui ne mange qu’au profit de son enfant, tandis que la nourrice elle, mange également pour elle-même, Moché et Aharon ne pensèrent pas à eux-mêmes, ils ne conçurent aucun sentiment de supériorité à l’égard de leurs frères, mais se contentèrent de n’être que ces canaux de transmission en leur faveur.
Nadav et Avihou ont consommé la présence divine
L’essence de la faute du veau d’or tient justement dans le fait que le peuple a pu penser que l’intermédiaire avait une valeur propre. Lorsqu’ils ne virent pas Moché redescendre du mont Sinaï, ils ressentirent alors le besoin de fabriquer un nouvel intermédiaire fait d’or. Par cela, ils causèrent une rupture entre le ciel et la terre, déchirure que le Michkan vient justement réparer en instaurant un lien perpétuel entre le terrestre et le divin.
Le jour de l’inauguration du Michkan, la faute de Nadav et Avihou consista en quelque sorte à reproduire à l’intérieur même le Sanctuaire l’erreur qui conduisit au veau d’or. Tout comme le peuple, ils péchèrent par la consécration du vecteur, car « ils apportèrent devant le Seigneur un feu profane sans qu’il le leur eût commandé » (Vayikra 10; 1). Rabbi Yéhouda Halevy a ainsi ces mots fameux : « la seule différence entre le veau d’or et les Kerouvim du Aron tient dans le fait que nous avons reçu l’ordre de le faire pour les seconds, mais pas pour le premier ! ».
C’est également ce qui ressort de toutes les fautes mentionnées par nos sages. Nadav et Avihou n’ont pas suffisamment effacé leur être propre, et malgré leur très grande proximité avec Hachem, ils ont mêlé à leur sacerdoce une part de subjectivité personnelle.
Le Targum Onkelos traduit le verset « et après avoir joui de la vision divine, ils mangèrent et ils burent » (Chemot 24; 11) par « ils étaient heureux de voir leurs sacrifices acceptés comme s’ils avaient mangé et bu », ce que le Mechekh Hokhma explique comme suit : leur rapport à la vision divine était le même que lorsqu’on mange et on boit, autrement dit ils ont consommé la présence divine, marque d’une once d’irrespect de leur part.
A l’opposé de Moché et Aharon que l’on compare aux seins d’une mère allaitant son bébé de façon pure et totale, Nadav et Avihou peuvent être comparés à ceux d’une nourrice qui pense également à ses propres besoins et son propre accomplissement. C’est la raison pour laquelle Hachem a sanctifié son nom en les retirant du Klal, puisqu’eux se sentaient au-dessus du peuple.
Quand Aharon dût choisir entre être l’émissaire de Dieu ou du Peuple
Revenons à notre question initiale, à savoir pourquoi les enfants de Aharon devraient être punis à sa place pour la faute du veau d’or ?
Les commentateurs font remarquer que lors de l’inauguration, Aharon fut ordonné d’approcher un sacrifice expiatoire, tandis que le peuple lui devait approcher un korban ola. Ils nous expliquent que le sacrifice expiatoire vient pour pardonner sur un acte, tandis que l’holocauste vient pour les pensées. C’est pourquoi, le peuple qui avait également fauté dans son cœur devait amener une ola, tandis que Aharon qui n’avait péché que par l’action n’y était pas tenu. Car Aharon n’éprouvait aucun désir pour le veau d’or, bien au contraire, il fut contraint et forcé par le peuple à sa réalisation, ainsi que décrivent nos sages comment il essaya de retarder au maximum l’échéance.
Nous avons introduit que le rôle du Cohen est de servir de vecteur entre HKBH et son peuple. Lors de la faute du veau d’or se posa à Aharon un dilemme insurmontable, car alors la volonté d’Israël s’était écartée de celle de Hachem. Fallait-il continuer à être cet émissaire du peuple, cessant ainsi d’être le représentant de la volonté divine, ou bien rester l’envoyé de Hachem en se coupant du peuple ? Aharon, qui était perpétuellement en quête de paix sociale, choisit alors de se tenir aux côtés du peuple dans la faute, pensant qu’ainsi il les protégerait et pourrait leur apporter une expiation.
Le Avot de Rabbi Nathan rapporte que la méthode de Aharon était de dire chaleureusement bonjour même aux mécréants, ainsi les jours suivants ils n’osaient plus fauter de peur d’avoir trop honte lorsqu’ils le rencontreraient à nouveau, et ainsi ils faisaient repentance. Autrement dit, la nature de Aharon était d’être avec l’homme dans la faute, c’est pourquoi il choisit d’accompagner le peuple dans la faute pourtant gravissime du veau d’or.
La mort de Nadav et Avihou pour rééquilibrer le choix de Aaron
Dès lors, nous pouvons peut-être dire que HKBH a finalement accepté que Aharon fasse passer sa proximité avec le peuple avant sa mission au service du divin. Mais Hachem a alors exigé de lui qu’il fournisse un substitut qui, lui, serait totalement dévoué au Ciel même au prix de rompre son attache avec le terrestre.
C’est là le sens de la mort de Nadav et Avihou, comme l’a exprimé Moché par les mots « Je serai sanctifié par ceux qui me sont proches » (Vayikra 10; 3), autrement dit ils sont devenus des émissaires divins de façon absolue et sans restriction aucune, même s’ils doivent pour cela se détacher de la terre et du peuple qui y vit.
Deux enfants sur terre et deux autres au ciel, liaison entre ciel et terre
On peut également expliquer ainsi comment se fait que la téfila de Moché ait fonctionné à moitié seulement. Du fait que Nadav et Avihou ont été choisis pour représenter la partie divine de la Kéhouna, il restait à attribuer la seconde partie de cette mission aux deux autres enfants de Aharon, Eléazar et Itamar, qui pouvaient eux représenter la partie terrestre du sacerdoce. Et par le fait qu’une partie de ses enfants se trouvaient au ciel tandis que l’autre partie restait sur terre, s’accomplissait ainsi la liaison entre le ciel et la terre, et partant la venue de la Che’hina dans le Michkan le huitième jour d’inauguration.
L’annulation de soi, condition pour entrer en intimité avec Hachem
En définitive, on peut dire que la condition indispensable pour entrer dans le Kodech est l’annulation de soi. C’est uniquement à travers cette faculté que Hachem appelle Moché à entrer dans le Saint des Saints, de par la modestie extrême qui est la sienne, ce qui explique pourquoi le mot Vayikra est écrit avec un petit Aleph.
Le Midrach illustre cela avec la parabole suivante :
Un roi avait ordonné à son serviteur de lui construire un palais. Ce dernier entreprit de le réaliser sans plus tarder. Chaque fois qu’il construisait une paroi, un mur, un poteau, une cloison, il y écrivait le nom du roi. Une fois l’édifice terminé, le roi s’installa dans son nouveau palais. Là où ses yeux se posaient, quel que soit l’endroit, il pouvait remarquer que son nom y était gravé. Il ne put s’empêcher de penser en son for intérieur : mon fidèle serviteur m’a rendu un tel honneur ! Comment cela ? Alors que moi je résiderai tranquillement à l’intérieur de ma demeure, il demeurerait dehors ?!
C’est de la sorte que les choses se passèrent lorsque Hachem demanda à Moché de lui construire un Michkan pour y faire résider Sa Che’hina. Au sujet de chaque élément, chaque détail qui fut fabriqué, il est écrit : « cela fut réalisé selon l’ordre que Hachem donna à Moché ». Le Maître du monde dit, tout cet Honneur que m’a rendu Moché, et c’est Moi qui résiderais à l’intérieur alors qu’il resterait dehors ? Appelez-le, de sorte qu’il entre au plus profond de Mon intimité – c’est ce qui justifie l’emploi du mot Vayikra.
C’est justement cette sensibilité de Moché qui lui valut le mérite de pénétrer dans le Michkan. Ainsi explique le Sfat Emet (Vayikra, année 637) en voyant cette modestie, cette annulation de soi de Moché rabénou, il n’y avait aucun risque que la présence de Moché à l’intérieur même de la Tente d’Assignation réduise le Kavod de la Che’hina.
De même, le commandement à Aharon dans notre paracha vient indiquer qu’il ne pourra pénétrer comme bon lui semble, mais toujours selon le protocole établi par Hachem, avec les habits spécialement dédiés et les sacrifices consacrés à cet effet, tout cela afin que l’entrée dans l’endroit le plus saint soit fait dans la soumission la plus totale et non par initiative personnelle.
Conclusion
Rappeler le Kavod Hachem en toute occasion comme l’illustre notre machal est une chose fondamentale en soi et permet effectivement cette jonction entre ciel et terre. L’analyse du comportement de Moché et de Aharon dans cette Paracha, à travers leur effacement, nous permet de comprendre la manière d’introduire et de faire régner Hachem ici-bas. L’une de ces manières, Aharon nous l’enseigne lorsqu’il garda le silence suite à la mort tragique de ses fils וידום אהרון – pourtant il ne manquait pas de parler aux gens puisqu’il était réputé pour aimer la paix et la poursuivre comme nous l’enseigne la michna dans Avot en nous invitant à faire partie des disciples de Aharon. Ce traité qui nous enseigne également qu’il n’existe de meilleur remède pour l’homme que le silence et que nous devons nous spécialiser dans cet art !
Une nouvelle occasion de réfléchir à ce sujet du “verbe” spécifique à l’Homme qui le distingue de l’animal, une condition cependant, l’utiliser pour faire la jonction entre le ciel et la terre en glorifiant le Ciel et en répandant le bien sur terre.