Parachat A’haré Mot – Comment préserver son identité

Parachat A’haré Mot – Comment préserver son identité

À la suite de la description du service de Yom Kippour, incluant l’offrande d’un taureau par le Cohen Gadol pour l’expiation, ainsi que l’offrande de deux boucs – l’un pour Hachem et l’autre vers Azazel, la Torah présente une série d’interdits qui semblent sans lien apparent. Cela commence par une mise en garde contre l’offrande de sacrifices en dehors du camp. La Torah interdit ensuite la consommation de sang, et ordonne par la suite de le couvrir. Enfin, sont détaillés les interdits d’inceste et autres abominations liées aux relations interdites.

Il nous faut comprendre le dénominateur commun entre ces interdits. 

Il semble qu’émerge ici un principe fondamental : pour que l’homme puisse se lier à des créatures et des êtres, que ce soit par la consommation ou le mariage, il doit assimiler cette relation comme faisant partie de lui-même, en l’intégrant dans son sens de soi.

Lors de l’acte de se nourrir, l’homme est face à une créature qui lui est étrangère. De même, cette rencontre avec l’extérieur se produit lors de l’union avec une femme. Cette interaction peut se développer de deux manières : la première, l’homme sort de sa sphère distincte et limitée pour explorer et englober une entité extérieure. La seconde implique l’extension de sa propre réalité pour transformer cette entité en une partie intégrante de son identité.

La raison de l’interdit de consommer le sang est explicitée dans le verset « Car le principe vital de la chair gît dans le sang, et moi je vous l’ai accordé sur l’autel, pour procurer l’expiation à vos personnes » (Vayikra 17:11). Le Ramban explique que l’âme se trouve dans le sang, et il convient de ne point mêler une âme périssable à une âme éternelle ; en revanche elle trouvera l’expiation sur le mizbea’h pour agréer l’Éternel. Il ajoute : « Car ce qui est consommé arrive dans le corps de celui qui le mange, et ils deviennent une seule chair. Si un homme consomme l’âme de toute être vivant et l’unit à son sang, ils deviendront un dans son cœur. Cela apportera de la grossièreté et de la brutalité à l’âme de l’homme, qui se rapprochera de la nature de l’âme animale de ce qui est consommé. Car le sang n’a pas besoin d’être digéré comme les autres aliments qui se transforment pendant la digestion ; ainsi l’âme de l’homme sera liée au sang de l’animal ».

En d’autres termes, le Ramban nous explique qu’il y a une grande différence entre la chair d’un animal et son sang, car la viande animale subit un processus de transformation par la digestion de l’homme avant de devenir sa chair. Ce n’est pas le cas du sang dans lequel réside l’âme : il reste un sang animal lorsqu’il est consommé par l’homme, qui risque alors de devenir aussi grossier qu’un animal.

Cependant, il y a une condition supplémentaire pour que la chair animale devienne chair humaine : l’animal doit être offert en sacrifice à l’entrée du michkan et non en dehors du camp, c’est-à-dire que le retrait de la vie de l’animal doit être fait au nom de D-ieu dans un but élevé. S’il est sacrifié en dehors du camp « cela sera compté comme le sang d’un homme, il a répandu le sang » (Vayikra 17:4), et non seulement il a versé le sang d’un animal en vain, mais comme l’écrit Rav Chimchon Raphaël Hirsch, cela équivaut spirituellement à tuer l’image divine en l’homme.

Nous pouvons maintenant proposer que ce soit aussi la raison de l’interdit d’inceste. « Que nul de vous n’approche d’aucune chair de sa chair, pour en découvrir la nudité » (Vayikra 18:6), « sa chair » signifie les proches parents, en d’autres termes les proches par le sang. Nous sommes à nouveau confrontés au problème du sang.

De fait, l’union conjugale consiste également à transformer l’autre en une partie de soi-même, comme il est dit « il s’unira à sa femme, et ils deviendront une seule chair » (Berechit 2:24). Toute relation dans laquelle il n’est pas possible de devenir une seule chair représente une sortie du « moi » et de l’unité de l’homme, et c’est probablement là que réside la gravité des interdits d’inceste.

C’est l’idée sous-jacente aux interdits d’union avec les proches, car c’est précisément à cause de leur proximité qu’ils risquent de brouiller le “moi” de l’homme, comme s’il n’avait pas d’individualité et faisait partie d’un mélange appelé famille. Même au sein de la famille, les individus doivent avoir un espace privé et intime. Chaque membre du foyer doit avoir sa propre identité, distincte et unique. Et c’est à partir de cette singularité qu’il peut s’unir à sa femme et devenir une seule chair. La proximité du sang amènera l’homme à brouiller son sens du moi, au lieu de l’élargir.

En résumé, les interdits mentionnés dans cette paracha nous enseignent que l’homme peut se lier aux créatures à condition de les faire devenir une partie intégrante de son « moi », et qu’elles complètent son unicité, mais pas lorsqu’elles effacent son identité et le font sortir de son domaine propre.

Une seule chose ne s’unit jamais de manière essentielle au « moi » de l’homme : les péchés. C’est l’idée du bouc envoyé à Azazel, décrit dans notre paracha. Ce bouc est envoyé précisément à l’extérieur car il porte tous les péchés d’Israël, et comme l’explique le Maharal, cela signifie que ces péchés ne font pas ontologiquement partie du peuple juif mais appartiennent à l’extérieur. C’est pourquoi deux boucs sont offerts en ce jour d’expiation, un à l’intérieur et un à l’extérieur, car les mitsvot nous appartiennent intérieurement, mais les péchés n’appartiennent pas par nature au peuple d’Israël, comme il est dit : « Il n’a point vu d’iniquité en Yaacov, et il n’a point vu de perversité en Israël » (Bamidbar 23:21).

Dans la paracha suivante, Kedochim, la Torah invite l’homme, à travers plusieurs mitsvot, à aller vers l’autre et à l’aimer, etc. Mais il semble que comme préalable, notre paracha exige que l’homme préserve son « moi » sans aucun compromis, et ce n’est qu’avec un profond sens de l’identité qu’il peut aller vers l’autre. La Torah n’exige pas un don par abnégation de soi, mais un don comme expression de soi-même, un don qui élargit le « moi ».

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.

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