Parmi les nombreux commandements énumérés dans notre paracha qui définissent le peuple d’Israël comme une nation sainte, nous comptons le commandement suivant : « Ne vous adressez point aux idoles, et ne vous fabriquez point des dieux de métal » (Vayikra 19:4).
L’expression « elohei massekha », que l’on peut traduire par « dieux de fonte », est inhabituelle, voire étrange. Il nous faut aussi comprendre ce que cette seconde partie ajoute à ce qui a été dit précédemment : « Ne vous tournez point vers les idoles », qui ordonne de ne pas se tourner vers quelque idolâtrie que ce soit. Qui plus est, la nécessité d’ajouter le mot « לכם – pour vous » n’est pas non plus évidente à première vue.
Ces indices suggèrent qu’il y a ici un commandement particulier, se référant à un type spécial d’idolâtrie, plus subtil et caché que la simple idolâtrie. Il semble que l’expression « de fonte » fasse ici allusion au péché du veau d’or, appelé dans la Torah « veau de fonte » (Chemot 32:4), comme l’écrit Ibn Ezra dans la paracha Ki Tissa (Chemot 34:17), et fait référence à un certain type d’idolâtrie.
L’idolâtrie à travers le métal coulé
L’origine du terme « veau de fonte » provient de la description de la manière dont le veau d’or fut créé, semblable au processus de coulée du métal en fusion dans un moule, comme décrit dans les versets : « Alors tout le peuple se dépouilla des anneaux d’or… Il les reçut de leurs mains, les jeta dans un moule et en fit un veau de métal » (Chemot 32). “Massekha” vient de la racine “nessekh”, en raison du fait que ce veau fut créé en faisant fondre des morceaux d’or.
Il reste cependant à comprendre pourquoi ce terme spécifique à la fonte des métaux est devenu un nom pour l’idolâtrie et le culte païen, comme dans notre paracha « idoles de fonte », et comme nous le trouvons à plusieurs endroits dans le Tanakh : « Ils se firent une idole de fonte » (Melakhim II 17, Hoshéa 13) dans le contexte de la fabrication d’une statue et de l’idolâtrie.
Le veau d’or : figer la forme de D-ieu
Une interprétation intéressante se trouve dans les écrits du Rabbi d’Izbitsa. Dans son livre Mei HaShiloach, il suggère que le péché du veau d’or fut appelé « veau de fonte » parce qu’il symbolisait le désir du peuple de figer D-ieu dans une forme rigide et immuable, reflétant la façon dont ils L’avaient vu au Mont Sinaï. Au lieu d’embrasser la nature dynamique et évolutive du dévoilement de la volonté divine, ils cherchaient à mouler et restreindre Son essence.
Dans ce contexte, le concept de « fonte » fait allusion à l’acte de couler du métal dans une forme statique et inaltérable. Selon le Mei HaShiloach, cela constitue le cœur de la faute du veau d’or. D-ieu se manifeste sous d’innombrables formes dans le monde, et il est erroné de Le limiter à une seule image et de la déclarer comme la représentation exclusive de la divinité pour Israël. Cette limitation reflète la déclaration coupable faite lorsque le peuple a dit : “Voilà tes dieux, ô Israël” (chemot 32).
C’est aussi une sorte d’idolâtrie, beaucoup plus subtile et bien moins visible. Le peuple ne cherchait pas vraiment d’autres dieux, mais voulait des « idoles de fonte », c’est-à-dire revêtir le D-ieu véritable d’une sorte de masque facilitant à l’homme de se tenir face à Lui et de connaître Sa volonté. Cette forme d’idolâtrie révèle le désir de l’homme de confiner la divinité dans une forme fixe, gérable, abandonnant ainsi le lien profond et dynamique entre l’humanité et l’essence infinie de D-ieu.
Idolâtrie de la fonte : briser les modèles fixes
Dans notre paracha, qui précise la voie vers la sainteté et comment devenir une partie du peuple élu afin d’être « un royaume de prêtres et une nation sainte », l’un des commandements est de s’abstenir de toute forme d’idolâtrie, en particulier du culte des « idoles de fonte ». Ce commandement symbolise le fait que les gens doivent éviter de construire un mode de vie basé sur des routines rigides et immuables, et se garder d’adhérer à des schémas de pensée fixes et inaliénables.
La Torah rappelle ainsi à l’homme : ne transformez pas vos modèles de pensée, vos habitudes et vos schémas de comportement en vos dieux. Permettez-vous de rechercher constamment la vérité.
Bien souvent, nous nous emprisonnons dans une certaine image de ce à quoi notre vie est censée ressembler. Un moment vient où une personne doit s’ouvrir à la possibilité que le but de sa vie puisse être totalement différent de ce qu’elle avait imaginé.
Démasquer les désirs : à la recherche de l’origine divine
Même en ce qui concerne les plaisirs de ce monde, aussi petits soient-ils, auxquels une personne s’habitue jusqu’à ce que le retrait devienne un défi, ce phénomène est appelé « masque ». Il incombe à l’individu d’approfondir et de discerner si son désir vient de Dieu. Le Rabbi d’Izbitsa a en outre expliqué que pour déterminer si un désir vient de Dieu, il faut d’abord laisser le « désir primaire » s’apaiser. Si le désir persiste au-delà de ce point, cela indique son origine divine. Avant cette enquête, il reste une possibilité que le désir provienne d’un motif extérieur.
le Rabbi illustre ce principe à travers le récit des allégations portées contre le prophète Yirmiyahou. Après la destruction du Premier Temple, lorsque les réfugiés lui ont demandé conseil pour savoir s’ils devaient fuir vers l’Égypte par crainte de représailles babyloniennes, Yirmiyahou, sur la base de sa prophétie, leur a conseillé de rester dans leur pays. En réponse, certains l’ont accusé de mensonge et de manipulation à des fins personnelles, insinuant que son scribe, Baruch ben Neria, avait influencé ses décisions. Ce récit souligne une vérité importante : même la prophétie nécessite un examen minutieux pour discerner si elle transmet réellement la parole de Dieu ou si elle reflète les désirs personnels de l’individu impliqué.
Ne restez pas coincé avec vos vieux vêtements
Cette idée ressort également de la paracha précédente concernant le Cohen Gadol, la Torah mentionne qu’il portait une tenue spéciale de quatre vêtements en lin blanc et simple le jour de Kippour. Ces vêtements étaient « à usage unique », car il était interdit au Cohen d’utiliser les mêmes vêtements l’année suivante pour Kippour, mais ils devaient être mis à la Gueniza comme l’apprennent nos Sages du verset : « Il les déposera là » (Vayikra 16:23) – enseignant qu’ils doivent être mis de côté.
Pourquoi ne pas réutiliser ces vêtements l’année suivante à Kippour ? En fait, nous explique le Keli Yakar dans son livre Olelot Efraïm, ce commandement exprime l’essence de Kippour, c’est-à-dire la capacité à se renouveler et à se libérer des schémas de comportement et des « vieux vêtements ».
Bien souvent, nous sommes accros à nos zones de confort et à nos limites. Nous sommes englués dans la boue du ressentiment, de la haine, de la jalousie, des mauvaises habitudes, de la culpabilité, etc. Le message crucial de Kippour est que je peux recommencer à zéro. L’âme est capable de libération et de changement. À Kippour, je peux devenir une nouvelle personne. Je peux me défaire de mes « vieux vêtements », car ce ne sont que des vêtements. Ils ne constituent pas le cœur de mon être.
Pour conclure
Il semble que le message qui résonne dans notre paracha est clair : ne laissez pas vos schémas de pensée, vos habitudes et vos comportements devenir votre idole. Restez ouverts à la recherche de la vérité authentique.
Alors qu’on pourrait percevoir cette approche comme plus confortable et moins contraignante, permettant de tenter de se soustraire aux obligations halakhiques, un examen approfondi révèle le contraire. S’écarter de règles fixes et rigides ne procure pas l’apaisement procuré par une routine familière, mais met l’individu au défi d’approfondir l’essence intérieure de l’âme, dans l’aspiration à s’aligner sur la volonté du Créateur. Cela engage un voyage intérieur au-delà des comportements appris, encourageant une connexion et une compréhension plus profondes.