Parachat Emor – Les fêtes juives, le secret du temps

Parachat Emor – Les fêtes juives, le secret du temps

Dans notre paracha apparaît le passage des fêtes, qui commence ainsi :

« Parle aux enfants d’Israël et dis-leur les solennités de l’Éternel, que vous devez célébrer comme convocations saintes. Les voici, mes solennités :

Pendant six jours on se livrera au travail, mais le septième jour il y aura repos, repos solennel pour une sainte convocation : vous ne ferez aucun travail.

Voici les solennités de l’Éternel, convocations saintes, que vous célébrerez en leur saison. » (Vayikra 23:2-4)

Vayikra 23:2-4

Les commentateurs se sont déjà interrogés : quelle est la raison d’associer le Chabbat aux fêtes ? Le Chabbat ne semble pas être appelé un Moed, aussi pourquoi est-il inclus dans le passage des Moadim ?

Il faut également comprendre l’ordre des versets. Pourquoi, après avoir ordonné le Chabbat, le texte répète « Voici les solennités de l’Éternel etc. », après l’avoir déjà mentionné au début ?

On peut aussi s’interroger sur l’interprétation nos Sages (Roch Hachana 22a), qui lisent le verset ainsi “אשר תקראו אַתֶּם” et non “אֹתָם”, insistant sur le fait que la sanctification des fêtes ne s’applique pas d’elle-même mais dépend de « vous », par la fixation du nouveau mois confiée au tribunal rabbinique. Pourtant, ce verset s’applique également à l’ordonnance du Chabbat, alors que la sainteté du Chabbat est fixe et permanente de semaine en semaine, ne dépendant aucunement de la date contrairement aux fêtes.

Le temps : une illusion née de la contraction de l’Infini

L’énigme du temps a occupé l’humanité depuis ses premiers jours. Le temps est-il la cause du changement et du mouvement ou est-ce l’inverse, le changement et le mouvement qui donnent une expression au temps ? Le temps est-il une entité objective ou est-il lié à notre conscience ? Est-il absolu ou relatif ?

Les sages de la Kabbale affirment que dans la réalité spirituelle, le temps et l’espace n’existent pas du tout. C’est-à-dire que pour le Dieu Infini, la notion de temps n’a pas de sens. Le temps est donc une création en soi. Ainsi, le Ramban interprète le verset « D-ieu appela la lumière jour, et l’obscurité il l’appela nuit » (Berechit 1:5) comme signifiant que le temps fut créé. Dans le Guide des Égarés (Partie II, Chapitre 30), le Rambam exprime la même idée « Mais le temps a été créé, car il découle du mouvement de la sphère céleste, et la sphère céleste est une création ».

En d’autres termes, le concept du temps est une conséquence de la contraction de l’Essence Divine, de la même manière que l’espace est une conséquence de cette contraction. Cette dernière a abouti à la dispersion de cet infini en parties matérielles, au point que sa compréhension dans sa totalité est devenue impossible.

Le monde physique est en fait un vêtement du monde spirituel, sous forme de fragments matériels. Tout comme dans l’espace physique l’on ne peut être à deux endroits à la fois, chaque lieu étant distinct, de même ces éléments matériels sont divisés dans le temps. Et tout comme cet habit de l’Infini s’exprime à travers le monde entier, il s’exprime également à travers la totalité des temps : passé, présent et futur. Chaque instant n’est qu’un minuscule point de la réalité spirituelle infinie.

On peut l’illustrer par une métaphore : un homme assis sur une chaise regarde à travers un appareil qui ne lui permet de voir qu’une mince portion de la réalité à chaque instant. En même temps, la chaise tourne lentement sur son axe sans que l’homme ne perçoive ce mouvement. Après un temps, il aura vu la réalité entière, non pas d’un seul coup d’œil englobant, mais comme une suite de points dans l’ordre.

Nous voyons la réalité comme changeante de façon continue, créant l’illusion du temps, mais cela vient d’une vision fragmentée de la véritable réalité spirituelle où tout est un et indivisible.

Une “goutte d’encre” sur la toile de l’infini

À la lumière de cela, le temps ne semble pas être une ligne droite d’événements changeants et éphémères à l’infini. Comme l’enseigne le Arizal, le temps progresse de manière cyclique, chaque année reproduisant les mêmes instants. Car chaque point du temps est basé et construit sur le monde spirituel, chaque instant du présent est enraciné dans une échelle spirituelle infinie.

Chaque point du temps est semblable à une goutte d’encre déposée sur un arrière-plan spirituel, comme si la réalité physique du présent était imprimée à chaque instant sur une base divine, sans jamais s’effacer. Jusqu’à ce qu’à la fin des temps, une image complète se dessine. C’est ce que dit le verset « Alors je donnerai aux peuples une langue pure pour qu’ils invoquent tous le nom de l’Éternel » (Tsefania 3:9). C’est-à-dire qu’à la fin des jours, lorsque toutes les parcelles du temps seront révélées à l’humanité, on pourra assembler tous les instants de l’histoire du début à la fin – et alors il y aura un langage clair. C’est-à-dire, chacun percevra que tout se joint au Nom Divin qui transcende le temps.

Comme dit précédemment, le temps n’existe que sur la toile de fond de la réalité spirituelle. Les fragments du temps que nous vivons dans le monde physique sont imprimés et enracinés dans le monde spirituel. Cela semble être la logique sous-jacente à la « mémoire » ou au « souvenir », car chaque événement et point du temps n’est pas vraiment remplacé mais existe éternellement.

Chaque instant, une pierre éternelle à l’édifice du temps

Sur cette base, on peut dire que la définition du temps est la rencontre entre le fini et l’infini, entre le monde physique et le monde spirituel.

Car sans monde spirituel, le changement ne fait que remplacer l’instant précédent, et dans une certaine mesure on demeure dans le présent. Mais en définitive, le temps n’est pas un remplacement, mais un ajout à ce qui était auparavant, un point supplémentaire dans le tableau, et cela n’a de sens que lorsqu’il est construit sur un monde spirituel infini.

Le temps n’est pas un présent qui se prolonge, mais plutôt une composition élaborée à partir de moments individuels du présent, chaque point étant étroitement lié à celui qui le précède, contribuant ainsi au tableau global.

À la lumière de tout cela, on peut s’avancer sur la question philosophique de savoir si le temps est une réalité véritable ou seulement phénoménale, et s’il est absolu ou relatif. Il semble juste de dire que dans la constellation du monde physique, le temps est une réalité véritable. Mais puisque le monde physique lui-même est enraciné dans le monde spirituel où la notion de temps n’existe pas, alors le temps est nécessairement relatif.

On peut ainsi proposer une explication spirituelle à la théorie de la relativité d’Albert Einstein, selon laquelle plus on se déplace rapidement, plus le temps ralentit, et si on atteint la vitesse de la lumière, le temps s’arrête. Le mouvement rapide indique moins de matérialité. C’est l’explication de la vitesse de la lumière, qui est la première création et la plus proche de la réalité infinie du Créateur. Pour cette raison, elle est moins contractée et peut contenir l’espace entier en moins de temps. Et plus l’on se rapproche de l’infini, plus la notion de temps s’estompe.

Le Shabbat, pierre angulaire des fêtes d’Israël

Nous pouvons désormais voir le lien entre le Chabbat et les fêtes. Mais avant cela, je voudrais souligner la profonde différence qui les sépare.

Le Chabbat est une sorte de Monde Futur, c’est-à-dire qu’il exprime l’Infini dans son essence même. Certes, il se revêt des aspects de ce monde-ci, avec le précepte de manger et de se délecter des choses matérielles, mais dans son essence il ne relève pas de ce monde. Son but est de faire sortir l’homme complètement du monde du travail et de l’action, et de le détacher des activités du quotidien. L’homme pénètre dans la demeure du Divin, dans l’Infini, sorte de Monde Futur.

À l’inverse, les jours de fête permettent les « travaux pour la subsistance », c’est-à-dire qu’ils ne représentent pas une entrée dans la demeure divine, mais au contraire lient la vie active et les actions de l ‘homme au monde spirituel.

On pourrait dire que pour le Chabbat, nous sommes invités par le Divin, tandis que pour les fêtes, nous invitons le Divin dans notre monde.

À la lumière de cela, voyons le sens des Moadim. Une fête est en fait le lien entre un point temporel en ce monde et le monde spirituel, c’est verser l’encre sur la toile de fond spirituelle et infinie. Les fêtes sont essentiellement le tableau du peuple d’Israël. Lorsque nous sanctifions ces jours, cela signifie que nous établissons qu’ils seront dessinés sur un arrière-plan éternel, et que c’est là notre tableau. C’est pourquoi, chaque année, nous revivons ces moments, car ils sont imprimés sur une base éternelle.

Pour cette raison, notre paracha détaille toutes les fêtes, et selon l’ordre indiqué comme précise le Sifri (Devarim 127) : « L’Écriture mentionne le passage des Moadim en trois endroits : dans le Livre de Vayikra – en raison de leur ordre ». Car puisque nous construisons un tableau, il y a un lien entre toutes les fêtes, et l’ordre est également important.

Cet arrière-plan infini, c’est le Chabbat. Sans observer le Chabbat, nous n’aurions aucun lien avec la réalité spirituelle infinie, et ne pourrions établir notre tableau au moyen des Moadim. Sans Chabbat, les fêtes seraient comme de l’encre répandue dans les airs.

On comprend maintenant l’ordre des versets. Le premier verset « Dis-leur : Voici les solennités de l’Éternel, les saintes convocations que vous publierez », introduit le passage des Moadim. Mais puisque l’essence même de ces fêtes est de relier et d’imprimer ces événements sur la toile de fond du Chabbat, le verset poursuit : « pendant six jours on se livrera au travail etc. ». Car comme dit précédemment, sans le Chabbat, les fêtes n’ont pas de sens.

Plus encore, le Chabbat fait partie intégrante de ces mêmes fêtes, car le terme “Moed” exprime le lien entre ces événements et le Chabbat. Il s’avère donc que si le Shabbat n’est pas un Moed dans son essence, il fait partie intégrante des Moadim, car c’est lui qui donne à ces jours la possibilité d’être appelés comme tels. C’est pourquoi la Torah à introduit d’abord le Chabbat, puis elle reprend « Voilà les solennités de l’Eternel » pour détailler les Moadim eux même, qui sont l’autre face de la médaille.

About The Author

Ancien élève de la yechivat Hevron Guivat Mordehai. Auteur de plusieurs livres sur le Talmud et la Halacha. Roch Kollel Michné-Torah à Jerusalem.