Parachat Térouma –  La Torah et Israël : Qui au service de qui ?

Parachat Térouma – La Torah et Israël : Qui au service de qui ?

L’arche sainte et son couvercle

Dans notre paracha, Hachem ordonne la construction du Michkan et de ses ustensiles. Nous tâcherons ici d’approfondir celui d’entre eux qui est certainement le plus important : l’Arche sainte – Aron, et son couvercle – Kapporet.

En lisant les versets décrivant la confection du Aron et des Kerouvim, l’on ne peut manquer d’être interpellé :

Le verset indique au début ‘Tu placeras dans l’Arche sainte le Témoignage’ (Chémot 25; 16), puis requiert de confectionner la Kapporet et de la placer sur le Aron. Puis, à nouveau, le texte revient sur sa première ordonnance, mentionnant ‘Tu placeras dans l’Arche sainte, le Témoignage’. La question est pourquoi cette redondance s’impose-t-elle?! De plus, pourrait-on envisager qu’après avoir déposé la Kapporet sur le Aron, on puisse y placer le Témoignage ? Quelle est alors la place de ce dernier verset qui ne respecte pas la chronologie ?

Il nous appartient également de comprendre le verset qui ordonne par la suite d’introduire l’Arche du Témoignage dans le Kodech Hakodachim (Chémot 26; 33), avant de continuer ‘et tu placeras la Kapporet sur l’Arche du Témoignage dans le Kodech Hakodachim’ (34). Pour quelle raison est-il nécessaire d’insister et d’ordonner de poser la Kapporet alors que le Aron se trouve déjà dans le Kodech Hakodachim ? Et pourquoi mentionner à nouveau « dans le Kodech Hakodachim » ?

Le Aron et la Kapporet, un seul élément ?

On peut se demander si le Aron dépourvu de Kapporet s’appelle-t-il Aron ou non ? Rachi et le Ramban s’opposent à ce sujet.

Selon le Ramban, sans sa Kapporet le Aron ne saurait être considéré comme un ustensile. C’est ce qui justifie la répétition, pour nous éviter de de penser que le Aron seul avec le Témoignage constitue déjà un objet, alors que ce n’est pas le cas tant que la Kapporet n’est pas présente.

A l’inverse, pour Rachi, le Aron seul est déjà un élément en soi. Le Aron et la Kapporet sont donc deux entités à part entière. Il répond également à la redondance évoquée, qui vient souligner à travers le premier verset que le Témoignage est placé dans ce que l’on peut déjà considérer comme un Aron, avant même qu’on ait mentionné la Kapporet. Cela, car le Aron acquiert son titre même en l’absence de Kapporet.

Il se pourrait même qu’il y ait une implication halakhique à cette divergence d’opinions. Nous savons qu’il convient de fabriquer les ustensiles « lichma », soit pour la fonction de l’ustensile lui-même, ainsi qu’il est expliqué dans Rachi (25; 8). S’ils fabriquaient la Kapporet avec l’intention qu’elle soit pour le Aron, cela serait-il valable ? Selon Rachi, le Aron étant un élément propre et la Kapporet également un ustensile en soi, il n’est donc pas question d’imaginer pour la Kapporet une confection en vocation du Aron. Par contre, d’après le Ramban c’est possible et même souhaitable, tous deux étant considérés comme un tout.

Lequel est le plus important ?

Nous parviendrons peut-être à combiner les deux interprétations. La Kapporet supportait les deux Kerouvim, qui venaient exprimer deux choses :

1/ Les Kerouvim sont décrits « couvrant de leurs ailes ». Cette formulation a une connotation de protection, car la Kapporet avec ses Kerouvim protège la chose la plus précieuse cachée à l’intérieur du Aron, le Témoignage. Cela nous rappelle ces « Kerouvim » que HKBH plaça à l’entrée du Gan Eden ‘Il fit résider à l’Est du Gan Eden les Kerouvim pour le garder » (Béréchit 3; 24). Dans cette optique, le Aron et le Témoignage qu’y se trouve à l’intérieur sont l’essentiel, et la Kapporet vient à son service.

2/ On peut toutefois proposer une vision alternative, dans laquelle la Kapporet constitue l’essentiel tandis que le Aron et le Témoignage viennent à son service. Hachem dit à Moché (25; 22) ‘Je parlerai avec toi de dessus la Kapporet entre les deux Kerouvim’. Même s’il est vrai que la sainteté de cet endroit découlait de l’arche dont la kédoucha est inestimable, on trouve entre les Kérouvim un dévoilement supplémentaire de la Chekhina. Si nous prenons comme analogie un roi et son peuple, qui est le plus élevé ? Le roi. Mais qui est au service de qui ? Ce n’est pas le peuple qui est au service du roi, mais bien ce dernier qui est au service du peuple. De même, le Aron et le Témoignage étaient au service de la Kapporet et des Kerouvim. Selon cette approche, la Kapporet qui porte les Kerouvim est bien l’essentiel.

C’est pourquoi lorsque le Aron fut pris en captivité du temps des fils de Elie, il est désigné comme ‘l’arche de l’Alliance de l’Eternel Tsévakot, qui trône sur les Kérouvim’ (Chmouel 1 4; 4). Ainsi lorsque David le ramène à Yérouchalayim, il est dit ‘l’arche du Seigneur, à laquelle est apposé le nom, le nom de l’Eternel Tsévakot, qui siège sur les Kérouvim’ (Chmouel2 6; 2).

Dès lors, on comprend parfaitement les répétitions dans les versets. La Thora a voulu nous enseigner que ce n’est qu’après avoir préparé la Kapporet avec les Kerouvim qui la chevauchent que nous pourrons introduire les tables de la loi, qui serviront cette même Kapporet. Nous comprenons également l’insistance du texte qui enjoint de placer la Kapporet dans le Kodech Hakodachim, malgré le fait que ce soit de toute évidence la place du Aron et de fait également celle de la Kapporet. Le verset vient nous enseigner que la ‘pose’ de la Kapporet doit être faite dans le Kodech Hakodachim et non pas en dehors. Cette façon de faire exprime que la Kapporet n’est pas un couvercle qu’il convient de poser dehors. Elle prend tout son sens exclusivement au sein du Kodech Hakodachim, et là, elle est jointe au Aron avec les Loukhot de l’alliance.

La Thora et Israël

Cette précision, de savoir que les Kerouvim sont un but en soi et non pas uniquement un auxiliaire, recèle un secret très profond.

Rachi rapporte les Paroles de nos Sages qui ont décrit les Kérouvim comme masculin et féminin, garçon et fille. Ainsi, le verset insiste ‘leurs faces tournées l’un vers l’autre’, et le Netsiv d’expliquer que cela vient symboliser un amour puissant, comme celui du fiancé qui regarde sa fiancée. A ce sujet, sont connues les paroles de la guémara dans Yoma :

« Au moment où Israel montait à Yérouchalayim pour les fêtes de pèlerinage, on ouvrait à leur intention la Parokhet et on leur montrait les Kerouvim qui étaient enlacés, et on leur disait alors voyez l’Amour que vous porte Hachem ».

Yoma 54b

Les Kerouvim correspondaient en quelque sorte à un sismographe mesurant le lien d’affection entre Israel et HKBH, et le moment de la fête constituait le summum du dévoilement Divin dans le Michkan.

Après ces explications, nous pouvons ajouter que si le Aron avec les Loukhot symbolise la Thora, les Kerouvim façonnés à l’image de l’homme représentent Israel et leur lien avec HKBH.

Il est dit dans le Tana Debé Eliahou :

Il m’arriva un jour de passer d’un endroit à un autre, je rencontrai un homme qui connaissait la Thora mais pas la Michna, Il me dit, Rabbi, dis-moi une seule Parole, je crains que tu ne m’en veuilles peut-être, Je lui dis, si tu me demandes des Divrei Thora, pourquoi t’en voudrais-je… Il me dit, Rabbi, je possède deux choses en mon cœur et je les aime d’un amour intense, la Thora et Israel, mais je ne sais lequel des deux a préséance sur l’autre. Je lui dis, l’habitude des gens est de dire que la Thora précède tout, comme il est dit Hachem me créa au début de Son action (Michlei 8; 22), mais j’aurai dit que Israel Kedochim sont prioritaires, comme il est dit : « Israel est une chose sainte appartenant à Hachem, prémices de Sa récolte » (Jérémie 2; 3).

Tana Debé Eliahou – paracha 15

Son intérieur paré avec amour

Le Michkan est la demeure d’Hachem. Le lieu le plus intime de toute maison est la chambre à coucher. Quelle est donc cette pièce dans le Michkan ? C’est l’endroit du Kodech Hakodachim, appelé ‘chambre des lits’(Melahim 2; 11). Dans cette pièce, ne règne que et uniquement de l’amour, tel qu’il est dit ‘son intérieur a été paré avec amour’ (Chir Hachirim 3; 10).

Où donc se dévoile cet amour et envers qui ? A partir de l’union des deux Kerouvim, enlacés l’un à l’autre comme le décrit la guémara. Là est décrit ce qui est le plus précieux et cher à Hachem : Am Israel. Il est vrai que notre nation n’en est pas une sans sa Thora comme l’affirme Rabbi Saadia Gaon. Il est vrai que la Thora est la valeur la plus précieuse de tous les éléments de la Création. La question est de savoir qui est au service de qui ? La Thora est au service d’Israel !

About The Author

Ancien élève de la yéchiva de Poniewicz. Auteur de plusieurs brochures, en particulier sur le traité Horayot, l'astronomie et le calendrier juif. Se spécialise sur les sujets de Hochen Michpat. Co-directeur du centre de Dayanout Michné-Tora à Jerusalem.

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