Les Talmidei Hakhamim comparés à la Tribu de Lévi
Nous connaissons tous l’affirmation que les Lomdei Torah sont semblables au Chévet Lévi.
La source à cette assertion trouve son origine dans les propos bien connus du Rambam (fin des lois concernant Chemita et Yovel):
De même que les Léviim furent séparés des usages du monde, comme par exemple d’être dispensés de participer aux guerres, ne pas avoir de part d’héritage spécifique… tout cela, dans la mesure où Hachem pourvoit à leurs besoins; de même est considéré comme étant consacré et véritablement sanctifié « kodech kodachim», chaque individu qui s’adonne corps et âme et se voue à Hachem pour Le servir au sens le plus large du terme, en faisant de Lui son unique lot et sa part d’héritage.
Ces propos du Rambam viennent étendre le statut du Lévi à tout le Peuple Juif. Ainsi chaque Israel devient apte, à travers ses choix et efforts personnels, à atteindre le niveau du Lévi !
Il ne faut surtout pas s’y méprendre et penser que le Rambam distribue de tels titres à des communautés entières, ce n’est absolument pas le propos. Ainsi qu’il l’exprime lui-même, il est question d’individus choisis qui sont parvenus à gagner une dimension exceptionnellement élevée. Par contre, s’appuyer sur ces dires pour en profiter et se soustraire à ses obligations civiques ou autres, reviendrait à complètement dénaturer l’intention initiale.
Il ressort de tout cela malgré tout, que le Rambam compare au Lévi assigné au service du Beith Hamikdach, tout celui qui s’est totalement détaché des préoccupations matérielles de ce monde pour se vouer exclusivement à Hachem.
Notre Paracha cette semaine, véhicule justement un message nous renseignant sur la kédoucha spécifique aux Léviim, au sujet de laquelle il y a lieu d’établir un parallèle avec celui qui a fait le choix de se consacrer entièrement au Service d’Hachem, tel que le présente le point de vue du Rambam.
La nomination des Léviim
La Paracha décrit en détail l’initiation au service des Léviim par Moché et les Bnei Israël.
Au travers des versets de la nomination des Léviim (dans notre paracha ainsi que celle de Bamidbar), nous pouvons remarquer que la Torah insiste à plusieurs reprises sur le fait qu’ils furent nommés à la place des Bnei Israel. Il n’existe aucun endroit dans la Torah qui ne mentionne que les Léviim ont remplacé les premiers-nés. Quelle est donc la raison qui justifie cette redondance ? S’ils remplacent finalement les premiers-nés, pourquoi mentionner ces derniers ? Rappeler ce fait une seule fois eut amplement suffi !
Ajoutons à cela, le fait que le verset prend également la peine de nous faire savoir que cette kédoucha appartenait initialement aux premiers-nés, ainsi qu’il est dit : « car tout premier-né M’appartient depuis le jour où J’ai frappé tout premier-né en Egypte, Je les ai consacrés… » (Bamidbar 8 ;17). Qu’est-ce qui peut bien pousser la Torah au moment de la nomination des Léviim, à nous rappeler la raison pour laquelle les premiers-nés étaient consacrés au Service Divin ? Il aurait davantage convenu que le verset donne au contraire la raison pour laquelle les premiers-nés ont été privés de leur droit en perdant leur kédoucha, et rappeler à cette occasion la faute du veau d’or.
Par ailleurs, il y a lieu de chercher à comprendre la raison pour laquelle Hachem ordonna de racheter les premiers-nés par les Léviim au moment de la faute du veau d’or, alors que le reste du peuple se rachetèrent eux-mêmes avec une offrande en chekalim. Et dans ce cas, pourquoi cette mitsva de racheter les premiers-nés s’est-elle perpétuée à travers les générations, dès lors qu’ils avaient déjà compromis leur kédoucha ?
Il y a également lieu de s’arrêter sur l’explication de Rachi au nom de Rabbi Moché Hadarchan quant à la raison pour laquelle il incombait aux Léviim de se raser la tête à l’occasion de cette nomination. Il indique que cette pratique de se raser la tête est venue au même titre que pour le métsora, car la faute d’idolâtrie – comme celle du métsora, donne à l’homme un statut de mort (l’idolâtrie est dénommée ‘zivhei métim’ – des offrandes de mort). C’est d’autant plus difficile à comprendre que les Léviim non seulement n’avaient pas fauté dans la faute du veau d’or, mais ont de plus été choisis pour leur kédoucha ! Comment expliquer qu’on leur demande de se conduire selon la loi du métsora en réparation de la faute de tout le reste du peuple, alors qu’ils furent justement sélectionnés et distingués pour avoir sauvegardé leur pureté ?
La Kédoucha des premiers-nés : en tant que représentants de tout le peuple
Il ressort de tout ce protocole, une idée novatrice. Les Léviim ne remplacèrent pas les premiers-nés, ils en devinrent les émissaires.
Expliquons nous:
La raison pour laquelle la Kédoucha appartenait à l’origine au premiers-nés est, comme l’explique le Seforno, du fait que ces derniers étaient appelés à être punis pour les fautes de la génération en place, étant de hauts dignitaires (du temps de la makat békhorot – la mort des premiers-nés en Egypte). Hachem les sauva en les consacrant à Son Service.
Comment comprendre que ce sauvetage des premiers-nés se fit par le biais de cette entière consécration à Hachem, alors qu’il suffisait de se contenter du sang badigeonné sur les linteaux des portes des Bnei Israel ?
Ce n’est vraiment pas par hasard que la Kédoucha fut accordée au cours de cet épisode aux premiers-nés précisément. Pour la même raison que la chute des égyptiens devait se réaliser par la mort de leurs premiers-nés, la naissance du Peuple Juif devait, elle, se concrétiser par la consécration et la sanctification de ses premiers-nés. Il faut se rendre à l’évidence sur le fait que l’aîné exerce son influence sur toute la famille par sa grandeur. Hormis cela, ce sont les premiers-nés qui ont ouvert la matrice de leur mère et tracé le chemin à tous les suivants. Par là même, sont-ils les représentants de tout le peuple. C’est pourquoi, la dernière plaie de l’Egypte a spécifiquement concerné les premiers-nés. A la même mesure, les premiers-nés d’Israel étaient les responsables de tout le Peuple Juif. C’est ce qui explique que cette plaie soit justement celle qui généra la consécration des premiers-nés d’Israel. Seul l’anéantissement de l’impureté de Mitsraïm pouvait faire place à la Kédoucha d’Israël.
Lorsque les Bnei Israël fautèrent à l’occasion du veau d’or, les premiers-nés ne purent se prévaloir à nouveau de leur kédoucha, particulièrement, lorsqu’ils sont les plus importants et sachant qu’ils exercent leur influence sur le Peuple. Dans un tel contexte de faute, et responsables à ce point, il devenait impossible qu’ils restent Kédochim pour Hachem.
Les Léviim : délégués de chaque premier-né
Les juifs alors aptes à recevoir cette kédoucha furent ceux qui n’avaient pas fauté, en l’occurrence, les Léviim.
Pourtant, il existait une autre déficience, car contrairement aux premiers-nés, représentants de tout le peuple, les Léviim ne représentent qu’une tribu par elle-même. Comment faire dans ce cas, pour être emblématique de tout le peuple ? Le Peuple Juif ne se sentira pas représenté sous leur bannière comme il pouvait l’être à travers ses premiers-nés. Au temps où la Avoda se faisait par le biais des aînés de famille, toutes les familles étaient représentées dans le Mikdach, ce qui n’est pas possible à réaliser dès lors que les Léviim ne sont qu’une seule tribu.
Il est vrai que les Léviim n’avaient pas fauté, mais cela ne suffisait pas pour que l’essentiel soit rétabli, c’est-à-dire, représenter tout le peuple ! Comment les Bnei Israël allaient-il accepter que leur Avoda s’accomplisse par l’intermédiaire d’une seule tribu ?
C’est là, que se cache le fondement de la nomination des Léviim. Ainsi que nous l’avons mentionné, les Léviim ne remplacèrent pas les premiers-nés des familles. Ces derniers restèrent propriétaires de leur kédoucha. Les Léviim devinrent leurs délégués, ceux qui accomplissent pour eux la Avoda, et non pas ceux qui font cette Avoda à leur place. Il ne s’agit pas d’un échange de titre mais de rôle ! C’est là, la raison pour laquelle le verset insiste à plusieurs reprises sur le fait que les Léviim viennent à la place de chaque premier-né, car toute la kédoucha des Léviim provient de celle de ces derniers. Ils sont le réceptacle de cette kédoucha des aînés. Les premiers-nés symbolisent le potentiel de cette kédoucha et les Léviim en sont les exécutants. C’est également ce qui explique que la kédoucha des premiers-nés ne s’est jamais annulée jusqu’à ce jour, ce qui justifie la mitsva de rachat. Ajoutons à cela qu’ils retrouveront leur Avoda au Mikdach léatid lavo !
C’est ce qui nous fournit également l’explication au fait que les Léviim eux-mêmes, devaient se raser la tête comme le métsora, bien qu’ils n’aient pas pris part à la faute du veau d’or. Leur ressenti devait être celui d’une personne qui se tient à la place d’un premier-né et non pas de celui qui a pris sa place. Et cela, au point de faire « comme si » ils avaient eux-mêmes fauté ! Il était donc important qu’ils ressentent dans leur chair, la réparation pour tout le Peuple. C’est ce qui justifie qu’il fallut réunir toute l’assemblée des Bnei Israël de manière à ce qu’ils posent leurs mains sur leurs têtes pour en faire leurs délégués.
En cela s’explique la répétition du verset (8 ;17) en parlant des Léviim « donnés, ils me sont donnés… » que le Seforno justifie comme étant « donnés eux-mêmes- qui se sont donnés eux-mêmes pour Mon Service… et qui se sont donnés également pour les Bnei Israël ». Sont évoquées ici les deux conditions précitées : 1/ ils seraient kédochim et purs de toute faute – 2/ ils seraient affiliés à tout le Am Israel. Dans notre Paracha, c’est le sens des expressions : ‘du milieu des Bnei Israël’ et ‘de la part des Bnei Israël’.
De même, concernant le maasser richon qu’ils donneront aux Léviim, selon les termes du Seforno : « pour que mon Service soit accompli entre tous ».
Le Lévi : séparé et en même temps associé
Il n’en demeure pas moins un certain paradoxe concernant les Léviim. D’un côté, ils se doivent d’être séparés comme il est dit (8 ;14) « Tu sépareras les Léviim du sein des Bnei Israël », et comme l’explique le Midrach au sujet du verset « ils sont plantés dans la Maison d’Hachem », car ils ne bougeaient pas du Beith Hamikdach. A ce sujet le Hizkouni écrit justement que c’est la raison pour laquelle les Leviim n’avaient ni part, ni héritage dans la terre d’Israel, ils ne s’affairaient à rien d’autre qu’au Service Divin, de peur que leurs mains n’en viennent à apprendre un métier profane. C’est là également le sujet de la récupération des maassrot, à propos duquel le Seforno écrit : de sorte à ce qu’ils puissent servir Hachem Ytbarakh.
Cependant, d’un autre point de vue, les Léviim sont les délégués de chaque premier-né de famille, et se doivent de représenter tout le Peuple. Il leur appartient également d’exercer leur influence sur la nation entière et lui enseigner la Torah et ses lois, et sans cette condition de substitution aux aînés de famille, ils n’ont aucune kédoucha.
La kédoucha est réservée aux Lomdei Torah qui s’associent au Peuple
A la lumière de tout ce qui précède, il apparait que ce principe s’accorde avec celui du Talmid Hakham qui, bien qu’il doive s’éloigner des préoccupations matérielles de ce monde à l’instar du Lévi, doit en même temps composer et établir un lien authentique avec le Klal Israel. Comme le Lévi qui n’est pas kadoch sauf s’il se substitue véritablement au premier-né de famille, de même, le Talmid Hakham est le délégué du Peuple, il est son émissaire, et tant qu’il agit pour son compte et se coupe du Peuple, il ne peut être assimilé au Lévi et ne détiendra pas non plus de kédoucha particulière.
Concernant les Léviim, ce principe s’est réalisé à travers plusieurs actions, comme par exemple la pose des mains des Bnei Israël sur leur tête au moment de leur nomination, le don des maassrot, etc. A travers ces différents actes, s’est créée une relation étroite entre les Léviim et le Peuple. Ce dernier a pu ressentir que bien qu’étant une Tribu à part, les Léviim étaient néanmoins leurs représentants attitrés !
Chez les Lomdei Torah, cela exige un travail personnel et spécifique pour parvenir au niveau d’être les représentants du Peuple.
Et malgré l’aspect de détachement inévitable des Lomdei Torah, ils sont tenus d’aimer le Peuple avec tout ce qu’il présente comme différenciations et dans toutes ses composantes. Cela, dans l’esprit d’être ses meilleurs émissaires. Dans cette optique, il leur appartient de prier pour lui, d’étudier en sa faveur, le rapprocher de notre Père au Ciel et lui enseigner Torah et Mitsvot…
En résumé et pour conclure, ce retrait du monde matériel et cette union avec Hachem ne suffisent pas pour donner au Talmid Hakham cette dimension si particulière. Le préalable est d’être ce fidèle émissaire du Peuple en se liant à lui. La comparaison avec les Léviim n’est possible qu’à cette seule et unique condition. Et ce n’est que de cette façon qu’il est permis d’accéder à une authentique Kédoucha.