Ce fut lorsque Paro renvoya le peuple (chemot 13; 17)
La guémara Meguila (10b) nous dit que le mot « Vayéhi – ce fut » augure d’un épisode tragique et malheureux par la suite. Le Or Ha’haim s’étonne dès lors que la Thora l’emploie concernant la sortie d’Egypte des Bnei Israel.
Pour quelle raison utiliser à cette occasion un langage annonciateur de douleur plutôt qu’un terme laissant présager la joie ?!
Nos Sages résolvent cette difficulté en affirmant (Chemot Rabba 2; 7) que le malheur en question, au moment de la sortie d’Égypte, concerne Paro et les Égyptiens. Il ne s’adresse pas à Israel. Cependant, dans le Zohar Hakadoch, il est expliqué que ce moment fut également un moment difficile pour les Bnei Israel qui se sentirent « brisés au point de s’exclamer ‘malheur’ ». Ce propos exige un éclaircissement. Comment imaginer que le Peuple Juif, enfin libéré d’un esclavage terrible et d’un joug ignoble, puisse en cet ultime moment se sentir triste et déprimé ?!
Un autre sujet de la paracha attire tout particulièrement l’attention : la Chira que le peuple chanta à l’unisson sur la mer, au point de donner son nom au chabbat où on la lit « Chabbat Chira » ! Le Midrach (Chémot Rabba 23; 4) va jusqu’à affirmer que depuis l’instant de la Création du monde, HKBH attendait ce moment. Israel est celui qui initia le chant de louanges à HKBH. Avant cela, personne jusqu’alors n’avait entonné une Chira vers Hachem, pas même Adam Harichon ! « Il créa Adam Harichon, qui ne dit pas de Chira; Il sauva Avraham de la fournaise ardente et des rois, et celui-ci ne dit pas non plus de Chira; de même Hachem sauva Ytshak du couteau, et il n’entonna pas de Chira… Lorsque vinrent les Bnei Israel au bord de la mer et qu’elle se fendit pour eux, ces derniers entonnèrent aussitôt une Chira à HKBH – comme il est écrit « sa bouche s’ouvre avec sagesse ».
Il nous faut comprendre ce Midrach, car il ne paraît pas possible que cette génération de rescapés d’Égypte atteignirent un niveau où ne parvinrent pas nos Avot hakédochim. En d’autres termes, qu’est-ce qui a pu motiver les Avot à ne pas dire de Chira ?!
Trois types de Téfila
Le Zohar Hakadoch cite trois niveaux de Téfila, qui sont évoqués sous forme allusive dans le livre des Téhilim : la Téfila de Moché, la Téfila de David et la Téfila du pauvre.
Rabbi Tsadok HaCohen de Lublin explique que la ‘Téfila du pauvre’ émerge de celui qui, démuni de tout, se trouve en détresse. La personne n’argumente pas, elle ne demande même pas, elle se contente de crier du plus profond de son cœur. Ce « pauvre » qui prie est comparé à celui qui fait part à son ami de ses malheurs et de ses soucis pour épancher son cœur. Une telle Téfila est entre toutes la plus puissante. Elle transperce les cieux et permet aux autres téfilot d’être agréées. Le roi David désirait d’ailleurs parvenir à ce niveau de Téfila, comme il est dit « Téfila pour David… Hachem ! Tends l’oreille, réponds-moi, car je suis un pauvre et un misérable » (Téhilim 102; 3).
Un autre type de Téfila est la « Téfila de Moché, ich Elokim ». Cette prière exprime le sentiment de petitesse de l’homme. Cela signifie que l’être humain, pourtant apte à atteindre de très hauts niveaux spirituels, ressent malgré tout sa condition d’homme limité, matériel et éphémère… Il réagit en louant, glorifiant et aspirant intensément à connaître Hachem dans Sa grandeur. Ainsi que David l’exprime : « Mon âme est assoiffée de Elokim, du D-ieu Vivant » (Téhilim 42; 3).
Si la ‘Tefila du pauvre’ exprime un cœur brisé provenant d’une détresse existentielle, la ‘Tefila de Moché’ exprime l’humilité de celui, parvenu au plus haut niveau, qui a compris les limites et la non-valeur de l’Homme.
Il existe aussi un troisième type de Téfila : celle du ‘Baal Téchouva’, nommée ‘Tefila de David’. David est considéré comme le pionnier du processus de Téchouva, ainsi que nos Sages l’ont défini (Moed Katan 17b), car il a « fondé le joug de la Téchouva » (par ses actions il a enseigné la puissance de la repentance).
Le roi David supplia D-ieu pour revenir vers lui, comme nous pouvons trouver dans sa prière: « Lave-moi à grandes eaux de mon iniquité, purifie-moi de mon péché, car je reconnais mes fautes et ma faute est sans cesse face à moi… Détourne Ton regard de mes fautes et efface toutes mes iniquités. Elokim ! Crée en moi un cœur pur et renouvelle en moi un esprit droit » (Téhilim 51).
Une telle Téfila est celle d’une personne qui éprouve de la honte et se sent détruite par son passé. Tel était le ressenti du roi David, brisé par ses manquements envers la Volonté divine. C’est ce qui lui fit dire « Je suis un vermisseau et non pas un homme, l’opprobre des gens, objet de mépris pour le peuple » (Téhilim 22). David prie de tout son cœur de revenir entièrement vers HKBH, comme il l’exprime lui-même : « Un cœur pur, Elokim, crée en moi ».
Le processus que traverse celui qui fait Téchouva
Selon Rabbi Tsadok, le ‘baal téchouva’ traverse un processus cyclique dont le cheminement comprend trois étapes :
Au début de son parcours, il se sent dans l’obscurité… S’ensuit, une période d’enthousiasme et de lumière qui le propulse dans une kédoucha intense. Grâce à cette lumière, son cœur s’enflamme d’une puissante volonté de s’attacher à la spiritualité. Mais après cette période, arrive celle de la chute. A ce stade, il réalise que cette lumière qu’il a vécue n’était que temporaire et qu’elle lui fut accordée en cadeau pour un certain temps uniquement. Après quoi, il revient à la banale réalité du quotidien tandis que cette lumière s’évapore.
Alors, le baal techouva se renferme dans une dépression intérieure, telle que l’a vécue le roi David en se repentant de sa faute. A ce moment, il se sent rempli de honte par rapport à son vécu d’antan, c’est ce qui le pousse à prier la Téfila de David. Cependant, la distance qu’il ressent qui le sépare de Hachem est précisément le support qui lui permettra de s’attacher à nouveau à Lui, et à gagner ce niveau à propos duquel il est dit : « A l’endroit où se tiennent les baalei téchouva, les tsadikim ne peuvent se tenir » (berahot 34b ).
Le cheminement intérieur des Bnei Israel en sortant d’Egypte
A la lumière de tout cela, Rabbi Tsadok explique le cheminement intérieur des Bnei Israel en quittant l’Egypte en le comparant à celui du baal téchouva.
En Égypte, les Bnei Israel étaient plongés dans l’obscurité spirituelle la plus totale, au bas des 49 portes d’impureté. La nuit de la sortie d’Égypte, Hachem se révéla à eux dans une clarté extraordinaire et sans limite. Ils sortirent la main haute, sans le moindre filtre séparant entre eux et HKBH. Mais aussitôt après cette grande lumière, survint la chute brutale. C’est alors qu’ils se désolèrent au fond d’eux, se remémorant qu’ils furent plongés en Égypte dans la plus profonde impureté au point de presque atteindre le stade de ne plus pouvoir en sortir à tout jamais. Il se sentirent alors brisés.
Cet instant-là est crucial, c’est le moment de la transformation et de l’intériorisation. En même temps, c’est également celui du « Vayéhi », de la détresse et de la dépression. Cette profonde affliction vient exprimer une grande proximité de la personne avec D-ieu. Elle éveille le languissement, elle est la raison de l’explosion en Chira – « A ce moment-là, chantèrent Moché et les Bnei Israel ».
Cette analyse nous permet également de comprendre pourquoi les Avot n’exprimèrent pas de Chira. Eux représentaient les fondements inébranlables de la Emouna, au point de ressentir à chaque pas et voir dans la moindre action la présence du maître du monde. Pour eux, seule pouvait convenir la « Téfila de Moché » qui exprime la petitesse de l’homme face à son Créateur. Pour les Avot n’existait aucune place pour ces « lumières » du baal téchouva. C’est également ce qui explique qu’ils ne passèrent pas non plus par le stade du « renouvellement de l’attachement à Hachem ».
Le lien avec Tou Bichevat
Il est intéressant de relever que la période choisie pour fêter les arbres est celle qui parait la moins propice. Ce n’est certainement pas la plus éclatante en ce qui les concerne. Les arbres ont passé l’automne, ils ont perdu leurs feuilles et leurs couleurs, ils ont l’air morts et desséchés. Le Talmud (Roch Hachana 14) nous révèle le secret du pourquoi le 15 Chevat est choisi en tant que nouvel an des arbres : c’est le moment où, l’essentiel des pluies tombées, la sève s’élève à nouveau dans l’arbre (voir Rachi).
Chaque année, l’arbre se décompose et perd toute son identité et sa splendeur. Néanmoins, à cette même période, il est arrosé par d’abondantes pluies. Les pluies sont un cadeau du Ciel que la terre désire. La première pluie de la saison est appelée « révi’a », de la racine « rové’a» [fusion], tel que l’explique rabbi Abbahu dans le Talmud (Taanit 6b) : « Quelle est la signification du terme pluie – revia ? Il fait référence à une matière qui pénètre, c’est-à-dire qui fait fructifier la terre ».
L’arbre, qui était près de sa fin, reçoit subitement l’arrosage des pluies, il se trouve dans cette phase « lumineuse ». Mais cette « lumière » ne lui rapporte aucun produit sans l’étape suivante : la montée de la sève dans l’arbre. Ce n’est que lorsque l’arbre intériorise ces bienfaits et les connecte à lui, que s’éveille en lui ce potentiel de faire mûrir à nouveau ses fruits.
C’est précisément au cœur de la sécheresse et du désespoir que je parviens à intérioriser et à me construire à nouveau, grâce au « cadeau-lumière » que le monde envoie à mon intention. C’est ce qui engendre l’éclosion d’une nouvelle vie, l’expression d’un chant tel le nourrisson qui émerge à la vie et explose en un cri, sa Chira !